À Beyrouth, le cri de désespoir des réfugiés palestiniens

mardi 24 septembre 2019

Le Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire, à l’initiative du sit-in hier dans le centre-ville de Beyrouth, a désavoué les dirigeants et partis politiques palestiniens.

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Des drapeaux palestiniens, mais aussi canadiens, australiens, européens. Voilà ce que brandissaient, hier, des milliers de manifestants rassemblés place des Martyrs et venus en bus depuis les camps palestiniens du Liban, Aïn el-Héloué, Nahr el-Bared, Beddaoui, Bourj el-Brajneh, Chatila, Dbayé… Mais aussi du camp de Yarmouk en Syrie. Depuis le cœur de Beyrouth, ces milliers de réfugiés palestiniens ont lancé un appel à la communauté internationale : « Accordez-nous l’asile humanitaire collectif ! » Un appel assorti de lettres aux ambassades d’Australie, du Canada, et à la Commission européenne au Liban notamment, où sont énumérées les violations de leurs droits et les discriminations dont ils sont victimes. Hier, dans le centre-ville de la capitale, ces manifestants, hommes, femmes et enfants, ont réclamé l’attention des chancelleries des pays d’émigration et exprimé leur refus de rester réfugiés à vie. Ce mouvement est le troisième en moins de deux mois de candidats malheureux à l’émigration, parmi lesquels des Libanais de Tripoli, la semaine dernière, en face de l’ambassade du Canada.

Otages du droit au retour

À l’appel du Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire qui se dit apolitique et de ses deux sections, l’une représentant les réfugiés palestiniens du Liban et l’autre ceux de Syrie, les manifestants n’ont pas seulement dénoncé leur profonde misère matérielle et psychologique car leurs droits les plus basiques sont bafoués depuis 72 ans. Ils ont aussi, et pour la première fois, publiquement désavoué l’ensemble des organismes, partis politiques et dirigeants palestiniens, dont ils se considèrent aujourd’hui les otages sous prétexte du droit au retour. Des dirigeants qu’ils accusent de s’enrichir à leurs dépens et de les maintenir dans des conditions de vie dégradantes, dans des prisons appelées camps, pour continuer à en tirer profit. Ils n’ont pas manqué d’égratigner au passage l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient), qui ne couvre que 10 % des soins de santé et ne parvient pas à assurer à leurs enfants une éducation digne de ce nom. Ils ont enfin réclamé que leurs dossiers soient transférés au HCR (Agence des Nations unies pour les réfugiés).

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Le refus de rester réfugié à vie
Rassemblés en cercle place des Martyrs, hommes d’un côté, femmes de l’autre, les manifestants entonnent des chants patriotiques palestiniens et esquissent quelques pas de dabké. Sur les pancartes et calicots qu’ils arborent bien haut, des slogans dessinés à la main. « Nous réclamons l’asile humanitaire », dit l’un d’eux. « Je suis un réfugié palestinien depuis 1948 au Liban et je ne bénéficie toujours d’aucun droit humain ni même celui d’être propriétaire de ma maison », dit un autre. « Transférez nos dossiers de l’Unrwa au HCR », peut-on encore lire, ou « Hébergez-nous dans vos pays en toute sécurité afin que nos enfants ne subissent pas le sort du petit Aylan », en référence au petit Syrien dont le corps avait été rejeté sur une plage de Turquie en septembre 2015.

Parmi les nombreuses revendications également, « le droit à une existence digne, qui est le droit de tout être humain », « le droit à la sécurité », « le refus de rester réfugié à vie ». Saïd Salim, un père de famille qui a trouvé refuge dans le camp de Aïn el-Héloué après avoir fui la Syrie, énumère à L’Orient-Le Jour ses « revendications qui sont celles de tous ». « Nous réclamons l’asile humanitaire, car nous voulons vivre dans la dignité, assurer l’avenir de nos enfants et soigner nos malades », dit-il. Turki Naufal, lui aussi réfugié palestinien de Yarmouk, renchérit. « Palestiniens du Liban ou de Syrie, nous sommes tous pris à la gorge. Non seulement nous sommes apatrides, mais nous n’avons pas le droit de travailler et ne bénéficions ni de droits ni de liberté. Même diplômés, nos enfants n’ont aucune perspective d’avenir », dénonce-t-il.

Le camp palestinien de Yarmouk n’a toujours pas été reconstruit depuis sa destruction il y a sept ans. Ses anciens habitants, dont une grande partie a trouvé refuge au Liban, se disent dans l’impasse car ils craignent d’être enrôlés de force dans l’armée syrienne s’ils venaient à rentrer chez eux.

Parmi les manifestants, de nombreuses personnes à handicap ou présentant des maladies chroniques. Des parents d’enfants malades affichent les factures non payées par l’Unrwa, les soins non administrés. Le père d’un enfant cardiaque crie son désespoir. « Mon fils a besoin d’une transplantation cardiaque. Ici, il n’a aucune chance de survie. » Une mère montre l’ordonnance de son fils qui souffre d’épilepsie. « Pour le traiter, nous devons rassembler plus de trente millions de LL. L’Unrwa n’en a couvert qu’un million », révèle-t-elle impuissante.

Des diplômés réduits à être porteurs ou carreleurs
Un représentant du Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire, de Syrie, Mou’aawia Abou Hmayda, s’adresse aux manifestants. « Nous sommes nés réfugiés. Nous sommes aujourd’hui au fond du gouffre et devons réagir. Car nous ne voulons plus vivre ainsi. Nous refusons que nos enfants diplômés en médecine, en génie ou en droit n’aient d’autre choix que d’être porteurs, carreleurs ou vendeurs de légumes », martèle-t-il. « Nous voulons voyager, partir, émigrer dans des pays qui respectent les droits humains », crie-t-il, repris par la foule en colère.

Le comité à l’origine du mouvement de protestation est né il y a trois ans au Liban qui n’abrite plus, selon le dernier recensement, que quelque 170 000 réfugiés palestiniens. À sa création, le comité comptait une petite centaine de membres. « Mais aujourd’hui, il peut compter sur 43 000 adhérents palestiniens, du Liban et de Syrie, tous bénévoles », assure Yasser Darwiche, l’un de ses responsables, qui ajoute que « la grande majorité du peuple palestinien est en faveur de l’asile humanitaire collectif ». Et de préciser que « conformément à la demande des Forces de sécurité intérieure, la participation au sit-in n’a pas été massive, mais représentative ».

C’est alors qu’intervient Wissam Rida, coordinateur du mouvement au camp de Nahr el-Bared, qui accuse publiquement les factions politiques palestiniennes, et plus particulièrement l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), d’avoir « fait pression sur la population du camp pour l’empêcher de participer au sit-in » et d’avoir même « contraint le comité à fermer ses bureaux ». « Que les hommes politiques nous laissent tranquilles ! Qu’ils aient pitié de nous car nous n’en pouvons plus ! Nous en avons assez d’être les otages du droit au retour, alors que nous sommes privés de tout confort et que nous sommes confinés dans de grandes prisons », accuse-t-il, évoquant le chômage élevé (indépendamment de l’initiative du ministre du Travail), l’absence d’infrastructures et le taux élevé de cancer dans les camps.

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Le chômage, Nadia Yassine, réfugiée au Liban, le vit au quotidien depuis qu’elle a obtenu un master de l’Université libanaise en sciences sociales. « Je n’ai jamais réussi à me faire embaucher parce que je suis palestinienne, même en tant qu’enseignante », déplore-t-elle.

Émigrer clandestinement, une solution envisagée
Parmi les manifestants, ceux qui ont eu recours à l’émigration clandestine pour fuir une situation intenable ne se comptent plus. Et ce face au refus des ambassades occidentales de leur accorder des visas. « Mon fils est porté disparu. Il a voulu rejoindre l’Italie à partir de la Libye. J’ai appris que son embarcation a coulé et qu’il a été sauvé. Mais depuis, plus rien. Aidez-moi à le retrouver », supplie une femme de Syrie. Un homme raconte son périple en Europe via la Turquie. « Après deux ans en Allemagne, où j’ai tenté d’obtenir en vain un permis de séjour, j’ai été déporté. Et au Liban, je n’ai plus aucune perspective », regrette-t-il. Même les jeunes, qui ont poussé leurs études universitaires, se retrouvent dans l’impasse. Tel ce jeune étudiant qui n’a jamais reçu de réponse du Canada, alors qu’il avait présenté une demande de visa pour y poursuivre des études supérieures. « Je suis qualifié, assure-t-il. Non seulement j’ai un bon diplôme, mais j’ai aussi acquis une expérience professionnelle en Arabie saoudite. Pourquoi suis-je acculé à demander l’asile humanitaire collectif ? »

L’heure du départ retentit. L’hymne national libanais donne le coup d’envoi. Les manifestants se dispersent pour retrouver leur bus sous l’œil attentif des forces de l’ordre. Malgré leur profond désespoir, ces réfugiés palestiniens tiennent à remercier le pays du Cèdre. « Nous voulons remercier le Liban pour son hospitalité durant 72 ans », ont-ils écrit sur une pancarte, qu’ils continuent de brandir bien haut.

Source : Anne-Marie El-HAGE


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