A l’est de Jérusalem, la colonisation au bulldozer

samedi 11 juin 2016

Atallah Abou Basser se souvient en détail de la dernière incursion israélienne, le 16 mai, dans son village. Ce bédouin palestinien, à la tête d’une communauté de cinquante-six familles, décrit l’irruption de dizaines de soldats israéliens, à l’aube, avec plusieurs bulldozers. Il narre la violence des militaires faisant sortir de force les habitants qui refusaient de quitter leur foyer. Des grenades de gaz lacrymogène ont été lancées pour repousser les habitants d’Al-Eizariya, situé à quelques encablures, venus soutenir les bédouins. Ce jour-là, les engins israéliens écrasent sept préfabriqués qui servaient de maison aux Palestiniens et plusieurs abris en tôle utilisés pour les animaux.

Le bédouin à l’allure frêle montre quelques ferrailles tordues, seule preuve du passage des bulldozers. Quarante-neuf personnes se sont retrouvées sans toit. Elles ont finalement été relogées dans de nouveaux préfabriqués donnés par une ONG. Atallah Abou Basser refuse pourtant de se laisser abattre : « Israël veut nous faire partir, mais nous resterons là. Lorsqu’ils détruisent nos maisons, nous les reconstruisons dès le lendemain. »

Cette colline ouverte aux vents s’appelle le djebel Al-Baba, « la montagne du pape » en arabe, car le roi Hussein de Jordanie l’a offerte au souverain pontife avant la guerre de 1967. Les bédouins s’y sont sédentarisés il y a une trentaine d’années. Mais, depuis plusieurs mois, le village subit des démolitions à répétition. Cette manière d’agir a ému jusqu’à Robert Piper, le représentant, dans les territoires palestiniens, du Bureau de coordination des affaires humanitaires. Dans un communiqué au ton inédit pour une agence de l’ONU, il a condamné la violation du droit humanitaire, rappelant qu’Israël a déjà dépassé les 600 destructions sur les cinq premiers mois de 2016, soit davantage que pendant toute l’année 2015. Elles ont toutes eu lieu en zone C, la partie sous contrôle israélien qui couvre environ 60 % de la Cisjordanie.

Avant 1995 et le plan d’expansion de Maale Adoumim (40 000 habitants aujourd’hui), Israël ne voyait pas d’inconvénient à la présence de ces nomades originaires du Négev, dans le sud d’Israël. Désormais, l’Etat hébreu a d’autres projets pour cette communauté comme pour la vingtaine d’autres qui résident à l’est de Jérusalem, une partie de la zone C que les autorités israéliennes appellent « E1 ».

Un Bédouin veille sur son troupeau devant un panneau indiquant le village d’al-Araquib, 12 mai 2010.
AFP Photo/ Hazem Bader

« Un couloir pour séparer le nord et le sud de la Cisjordanie »

Située entre la ville trois fois sainte et ce bloc de colonie, « la zone E1 revêt une importance stratégique », rappelle Adnan Abdelrazek, chercheur palestinien qui a enseigné à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Ces bédouins sont le dernier obstacle pour Israël avant de créer un couloir qui permettra de séparer définitivement le nord de la Cisjordanie du sud », analyse-t-il.

Dans un rapport dévoilé fin 2015, l’organisation israélienne La Paix maintenant affirme que 330 millions de shekels (76,5 millions d’euros) ont été alloués par le ministère du logement israélien à la relance de la colonisation en Cisjordanie. Plus de 55 000 habitations sont planifiées. Sans surprise, la première cible du ministère est cette fameuse zone E1 avec plus de 8 000 unités qui pourraient sortir de terre.

Cette révélation prouve que, malgré les pressions internationales, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou rêve toujours de rattacher à Israël cette partie de la Cisjordanie. « Certains groupes de colons font pression à la Knesset [le Parlement israélien] pour une annexion pure et simple de E1 par Israël. Ils ont des relais jusqu’au sein du gouvernement », accuse Sarit Michaeli, la porte-parole de B’Tselem, une organisation israélienne pour le respect des droits de l’homme dans les territoires palestiniens, qui s’est rendue sur place le 1er juin. L’association dénonce un « plan de déplacement forcé de populations » illégal au regard du droit international.

le 22 mai 2015 le village Al Araqib était détruit pour la quatre vingt quatrième fois
photo : Dany. Association France Palestine Solidarité de St Etienne

Le Cogat, l’autorité israélienne chargée de la coordination des activités dans les territoires palestiniens, se défend de vouloir déplacer ces communautés bédouines sans leur consentement. Des terrains leur ont été proposés à proximité, assure-t-on, mais les bédouins n’en veulent pas, estimant qu’ils ne correspondent pas à leurs besoins. Interrogé par Le Monde, Emmanuel Nahshon, le porte-parole du ministère des affaires étrangères israélien, estime qu’Israël « a le droit de détruire des bâtiments conçus dans l’illégalité », en rappelant que, dans la zone C de Cisjordanie, des permis de construire doivent être délivrés par l’administration israélienne. Il accuse même les ONG qui fournissent des structures provisoires aux Palestiniens, et l’Union européenne qui les finance, de « provocations ».

En visite dans un autre village détruit par l’armée, le 12 mai, le premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, s’inquiétait de la poursuite de la colonisation qui « met en danger l’idée même d’une solution à deux Etats ». Une solution que, pourtant, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou dit officiellement toujours soutenir, à la tête de la coalition la plus à droite de l’histoire du pays.

source : Nicolas Ropert, Le Monde, vendredi 3 juin 2016


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