Allez en Palestine !

samedi 27 juillet 2019

Mohamed est parti tout seul, réaliser son rêve de visiter la Palestine pendant 13 jours en octobre 2018. Il a la générosité de partager avec nous son voyage.

Un récit émouvant et empli d’humanité. merci Mohamed

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Arrivée à Tel-Aviv
Enfin arrivé à l’aéroport Ben Gourion après une escale de 12 heures à Istanbul où je n’ai quasiment pas dormi, je me retrouve, comme il me l’avait été prédit par mes camarades militants, bloqué. J’y ai passé la journée de 10h à quasi 18h, 2 interrogatoires officiels (plus un officieux "par les sentiments").
Les questions portées essentiellement sur l’islam et la pratique de ma foi. Le dernier interrogatoire était lui, moins formel, un agent de l’aéroport a sympathisé avec moi, m’a proposé des barres chocolatées, sandwiches, boissons. Mon envie de fumer avait pris le dessus sur l’appétit, il m’a fait sortir sur le tarmac avec les employés. On a discuté de tout et de rien, puis la discussion a vite viré en interrogatoire, en reprenant les mêmes questions posées précédemment.
Sortie de l’aéroport : c’est le jour de shabbat, il n’y a plus de moyens de transport, marche à pieds jusqu’à un abribus trouvé par hasard où j’ai pu avoir le dernier bus.

Al-Quds (Jérusalem)
En arrivant dans la capitale palestinienne, je me suis mis à chercher instinctivement le dôme du rocher au-dessus des toits. J’ai vite renoncé et gardé le peu de force qu’il me restait à trouver l’hôtel. Je continue à marcher et puis je m’arrête, me voilà envahi de frissons, je reste immobile, je me demande si je suis bien en train de voir ce que je vois...Au moment où je m’y attendais le moins, face à moi, semblable à la main tendue au naufragé, au phare qui guide le navire dans l’obscurité, à la lune qui guide le bédouin dans le désert. Le dôme du rocher vint à moi en illuminant la nuit, tel une lanterne de lumière divine, pure comme l’éther, suspendue à ce ciel étoilé, pour me souhaiter la bienvenue...
Je repris mon chemin en direction de l’hôtel, à la réception, le gérant constate que je suis exténué après cette journée (déjà précédée d’une nuit blanche puis interrogatoire et la marche pendant des kilomètres). « Bonjour reste-il un lit de disponible ? »
Il me répond « Monte sur la terrasse, il y a un repas gratuit, vas manger et reviens ». Je monte aussitôt, en redescendant je lui fais part de mon inquiétude en lui disant que je n’ai pas de réservation, il me répond « Ne t’inquiète pas, si il n’y a plus de lit de disponible, je te laisserais le mien et je dormirais par terre ».

Al-Quds>Ramallah>Naplouse
J’ai interpellé un homme dans la rue car je cherchais quel bus prendre pour aller à Naplouse.
Remarquant mon dialecte étranger, il me demande aussitôt d’où je viens. Je lui réponds que je viens de France et que je suis franco-tunisien « je suis ici pour voir l’occupation et la situation dans laquelle vous êtes ».
Il a fait plus que m’indiquer le bus, il m’a présenté directement le conducteur en insistant plusieurs fois « prends bien soin de lui, c’est l’un des nôtres ».
Cette phrase a été comme un électrochoc, il m’a fallu 31 ans pour entendre ça.
J’ai été très souvent exclu étant issu de l’immigration, en France en me rappelant
mes origines, en Tunisie en me rappelant le pays dans lequel je vis.
En 2018, en Palestine, à Ramallah, un palestinien me dit que je suis l’un des leurs.
Sans le savoir ce palestinien a recollé un morceau de mon identité, de ce qui fait qui
je suis et pour ça je lui serai éternellement reconnaissant.

Trois jours à Naplouse
Arrivée à Beit as-Sham. Un minibus vient me chercher puis, commence le ramassage des enfants devant chez eux et direction : l’école.
Le trajet jusqu’au Camp de réfugiés d’Askar est festif, au rythme des chansons palestiniennes, de danses, de chants, de sourires.
Je croise le regard d’yeux grands-ouverts, me fixant, s’interrogeant sûrement sur qui j’étais, ou sur ce que je venais faire ici, puis très vite une complicité se crée.
J’ai assisté les enseignants avec les enfants handicapés mentaux (et physiques).
Le manque de moyen éducatif est considérable, pas d’outils de travail pour développer leur motricité, manque de fauteuils roulants, très peu d’activités ...Ils n’ont qu’un vieux cahier en tissus pour leur apprendre à nouer des lacets, appuyer sur les boutons pressions et du velcro.
Rencontre avec Hakam YAISH qui travaille dans une boutique de téléphonie mobile où je suis allé acheter une puce pour mon téléphone.
Il m’a présenté tous ses amis et m’a fait visiter la vieille ville de Naplouse où j’ai mangé pour la première fois la Knafa. Il était nécessaire de décompresser après une journée chargée d’un sentiment d’impuissance au camp. On se retrouvait le soir boire un thé et fumer une chicha avec ses amis.
Je leur raconte le moment où j’ai vu le dôme du rocher pour la première fois et mon désir d’accomplir la prière vendredi prochain à Al-Aqsa.
Les grands sourires s’estompent avec pudeur...« Nous ne sommes jamais allés prier à la mosquée Al-Aqsa car nous ne sommes pas autorisés par Israël ».
Suis-je plus légitime qu’eux à prier à Al-Aqsa ? De quel droit une personne venant d’Europe, d’Amérique ou d’autres parties du monde serait plus légitime à vivre ou à se déplacer en Palestine qu’un palestinien ? La culpabilité m’envahis face à cette injustice, ce déni de droit et ce crime de guerre.

Deux jours à Tulkarem
j’y ai vécu un accueil formidable de la part de cette famille d’agriculteurs. Fayez me présente le projet « Un million d’oliviers pour la paix en Palestine », s’en suivent de nombreuses discussions.
J’ai visité leurs champs le lendemain, Fayez me raconte les agressions auxquelles il a dû faire face, le mur de la honte qui encercle ses terres, ses terres qu’il lui reste, une grande partie ayant été dévorée par cette machinerie coloniale inhumaine que l’on appelle Israël.
Les incendies, les poudres blanches rependues, auxquelles aucune plante n’a survécu, les tuyaux d’irrigations coupés etc. il me présente la fameuse « Usine à gaz », cette citerne contenant de la bouse de vache mélangée à de l’eau, le tout fermente avec le travail des bactéries anaérobies. Des microbulles de méthane vont se former et se regrouper sous une cloche celle-ci raccordée à un réchaud.
On dit que « Derrière chaque grand homme il y ’a une femme ».
Je tiens à rendre hommage à Mouna, l’épouse de Fayez, pour son écoute, sa gentillesse, pour ce temps précieux passé ensemble (et tous ses bons petits plats).

Retour à Al-Quds
A peu près à la moitié de mon voyage je décide de me reposer, de souffler, un besoin, de prendre un peu de recul sûrement, j’ai visité la vieille ville, je me suis laissé perdre dans ses ruelles ...
Le jour suivant, je suis allé à Al-Aqsa pour la prière du vendredi. Comment décrire ce moment-là ? Ce fut un moment tant attendu...en quittant l’auberge j’avais les jambes un peu lourdes, engourdies. Je foulais le sol d’un pas lent, hésitant et lourd, au début. Au fur et à mesure que la distance entre la mosquée et moi diminuait, je me sentais de plus en plus léger, une impression de flotter... d’être spectateur, d’avoir quitté mon corps. En passant la grande porte en bois, j’arrive sur l’esplanade des mosquées, je me rapproche du Dôme du Rocher, je regarde autour de moi, me voici sur le pont d’un vaisseau navigant dans les cieux, saillant les nuages ou encore dans la cour d’une forteresse céleste. Cette sensation de flottement qui semblait m’avoir gagné, semblait avoir une emprise sur tout ce qui m’entourait également. N’est-ce pas cela finalement être en paix ?

Après avoir prié, je rentre à l’hôtel, j’ai retrouvé Salah, un ami qui vit dans la vieille ville dont elle n’a plus le numéro de téléphone. Je suis très bien accueilli par la famille toute entière, je prends des nouvelles de Salah, on me prépare du thé et après une longue discussion je les remercie pour cet accueil et leur annonce que je vais devoir m’en aller.
Peine perdue, ceci est sous-estimer l’hospitalité palestinienne, la famille de Salah insiste pour que je reste partager le repas avec eux, s’en suit cinq minutes de négociations... où je fini par une reddition.
Un repas spécial a été préparé, un plat traditionnel qui coûte assez cher à base de cou de bœuf. Le repas était délicieux et chaleureux, seulement voilà ; je n’avais plus faim une fois mon assiette terminée. On m’a resservie deux autres assiettes...Je vous laisse imaginer dans quel état je suis reparti de chez Salah, d’une démarche incertaine, tenant mon ventre, vérifiant que tous mes organes sont bien à leur place...

Deux jours à Bethléem
j’ai visité la vieille ville et l’église de la Nativité. Je me suis ensuite dirigé vers le mur de l’Apartheid qui serpente dans la ville, trouvant le moindre prétexte pour « déborder » et engloutir toujours plus de Palestine.
J’ai passé pas mal de temps à admirer les peintures de Bansky et de bien d’autres sur le mur de la honte.
Je suis allé rendre visite à Bilal au camp de réfugiés d’Aida. Il était en compagnie
de sa femme et de quatre militants italiens de Rome. Ayant des notions d’italiens j’ai pu échanger un peu avec eux. A l’entrée du camp, une clé géante est là pour revendiquer le droit au retour juste en dessous de celle-ci, le portrait d’Abdel Rahmane Abdallah, 13 ans, gît sur le lieu où la barbarie sioniste a volé son âme en 2015 de plusieurs balles dans le torse alors qu’il jouait.
Nous sommes montés sur le toit pour voir le tracé du mur :
* à l’arrière-plan, sur une colline à environ 600m une colonie israélienne illégale (Gilo)
* au second plan une route qui longe la colonie en contrebas
* au premier plan deux vieilles maisons palestiniennes en pierres entourées d’une oliveraie qui part de la route et qui arrive jusque devant nous où le mur la sépare du camp de réfugiés.
Le constat est clair, le mur illégal n’a pas pour vocation de « protéger » la colonie, car dans ce cas il aurait été construit entre la route et la colonie. Mais voilà, à côté du camp se trouve la tombe de Rachel, donc on arrondi par excès, on s’approprie tout ce qu’il se trouve entre la colonie et la tombe de Rachel.

Une journée à Al-Khalil (Hébron)
Je suis arrivé un peu trop tôt, du coup j’en ai profité pour commencer à visiter.
En arrivant dans la vieille ville, je constate qu’elle est quasiment fantôme. J’arrive au checkpoint qui restreint l’accès au Haram al-khalil (tombeau des patriarches).
Au passage je montre mon passeport français fermé, on me fait signe de passer.
Une jeune soldat me parle en anglais, je fais mine de ne pas comprendre l’anglais et lui demande en français « vous parlez français ? » « Oui un petit peu... je t’aime » me répond-elle, je lui dis aussitôt« moi aussi je t’aime ». Elle se mit à rire avec sa collègue et me souhaitent la bienvenue en m’indiquant l’entrée de droite (qui est interdite aux musulmans, je l’ignorais).
Je poursuivis mon chemin, quand j’entendis crier derrière moi. Elle me rappelle et me demanda « muslim or jew ? », je lui répondis « muslim », elle me fait à ce moment-là signe de la main de dégager de l’autre côté...En gros dans la vie on est « muslim or jew » d’après Israël, le reste n’existe pas, ou importe peu.
Cette brève histoire d’amour entre cette jeune militaire et moi était une histoire mort-née...quelle tristesse !

Je suis resté une petite demi-heure à discuter devant l’accès de la mosquée avec une femme et un homme à l’entrée, je leur ai expliqué la raison de ma venue. Ils étaient très contents qu’on vienne de si loin leur rendre visite. Ensuite, je suis allé rejoindre Hisham qui travaille pour les droits de l’Homme, il est également guide à Hébron.
Il m’intègre donc à un groupe de militants franco-belge (dont des groupes locaux de l’AFPS). Nous visitons la vieille ville, avec toutes ses boutiques fermées, par ordre militaire ou à cause des difficultés liées à l’occupation. Hisham nous explique comment était la ville avant la colonisation : « La vieille ville d’Al-Khalil était un lieu économique, dynamique, où on n’arrivait même pas à marcher tellement les rues étaient noires de monde. Les gens venaient de partout pour faire leurs courses, la gare routière où tous les bus arrivaient a été fermée, puis déplacée et la rue des martyrs (de la gare routière au marché), fermée et murée. Petit à petit, la vieille ville est devenue une ville fantôme ».

A Hébron, certaines rues sont interdites aux palestiniens à pied, d’autres aux palestiniens véhiculés et d’autres interdites à tous les palestiniens.
Les nouvelles colonies sont en train d’entourer la ville, pour l’asphyxier et l’isoler, comme Israël avec le reste de la Palestine.
Sur le toit d’un immeuble palestinien, nous apercevons la rue des martyrs puis en face les colonies illégales, en regardant de plus près et notamment les balcons palestiniens vous vous rendez compte qu’ils sont plein de pierres plus ou moins grosses lancées par les colons israéliens extrémistes dont la haine semble couler dans leurs veines. Comment peut-on s’installer dans un logement déjà occupé, le vider de ses occupants, en être fier et poser une banderole géante écrite en hébreux « les enfants sont rentrés à la maison » ? Des familles chassent des familles.
Bien-sûr le procès sera rendu dans un an ou deux, les colons seront gentiment invités à partir et puis ils feront la même chose juste à côté avec une autre famille palestinienne.

Retour à Tel Aviv
A l’arrivée à l’aéroport dans le sherut (taxi collectif). Un dernier checkpoint, on prend mon passeport et on me demande de descendre, une jeune femme aussi. On me demande si c’est ma femme, je réponds « non ! », « vous êtes sûr ? » « Mais est-ce que vous la connaissez ? » « Non ! ». On nous demande de remonter dans le sherut, on nous rend les passeports, je vérifie qu’il y ait bien le visa à l’intérieur. C’était OK pour moi, mais pas pour la femme, elle se plaignit aussitôt de l’absence du visa dans son passeport et dans ce cas l’impossibilité de rentrer chez elle. L’agent israélien lui demande son passeport, le manipule et comme par magie, « madame votre visa était déjà à l’intérieur de votre passeport ».
Elle s’appelait Lubna originaire d’Irak, titulaire d’un passeport des Pays-Bas.
Pas d’interrogatoire au retour, mon bagage en soute a été fouillé, le cadenas a
disparu.

Ce voyage a changé ma vie, je pense avoir retranscris l’essentiel.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont motivé, aidé, orienté, accueilli
ou même juste souri.
Le gérant de l’Hôtel, cet inconnu à Ramallah, Amjad, Hakam et ses amis,
Fayez, Mouna et Odeh, Bilal et sa femme et pour finir Hisham.
J’ai été frappé par leur espoir, quand ici on désespère.
Je pensais voir un peuple en ébullition, j’y ai vu des hommes pleins de compassion.
Je voyais des problèmes, eux voyaient des solutions.
Ils vivent sous l’occupation, chaque moment passé à leurs côtés fut une leçon.
Je suis parti pensant les aider, au final ils m’ont sauvé.
Amitié militante, Mohamed.