Avec "Apeirogon", Colum McCann signe un huitième roman ambitieux et bouleversant

dimanche 13 septembre 2020

Avec, sur la forme, une originalité très efficace et sur le fond une puissante ambition, "Apeirogon" s’inspire du combat de deux pères victimes du conflit israélo-palestinien

"Ici, tout est géographie." Tout est histoire aussi. Chaque caillou lancé par la fronde des enfants sur l’oiseau de passage comme au visage de l’ennemi porte en lui la violence d’un conflit enraciné dans les siècles. Le 4 septembre 1997, un attentat-suicide dans le centre de Jérusalem entraîne la mort de huit personnes, dont Smadar Elhanan, 13 ans. Dix ans plus tard, à quelques kilomètres de distance, Abir Aramin reçoit une balle à l’arrière du crâne en sortant de l’école. L’ambulance qui la secourait mettra plusieurs heures pour franchir les checkpoints séparant territoires palestiniens et israéliens. Abir s’éteindra dans l’hôpital où Smadar était née. "La première option est évidente : la vengeance. Quand quelqu’un tue votre fille, vous voulez être quitte." La vengeance n’est pourtant pas la solution que retiennent les pères endeuillés de Smadar et d’Abir qui décident, à travers le mouvement pacifiste des Combattants pour la paix, d’unir leurs voix "pour tenter d’empêcher que d’autres endurent cette souffrance insupportable" engendrée par la perte d’un enfant, et de parcourir le monde pour ­raconter leur histoire, cette histoire dont Colum McCann s’est emparé pour son huitième roman, le plus ambitieux, en lice pour le Booker Prize 2020.

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Rami Elhanan est israélien et s’oppose à l’occupation. Bassam Aramin est palestinien et a étudié l’Holocauste. Tous deux sont pères de fillettes assassinées. Jusqu’à la mort de sa fille, Rami vivait une existence sans nuages, quand Bassam avait passé sept ans en prison, où il avait appris l’hébreu, d’abord pour combattre son ennemi, ensuite pour faire la paix avec lui. Si leur lutte pour susciter le dialogue entre les peuples est au cœur d’Apeirogon, roman protéiforme s’inspirant de la figure géométrique au nombre infini de côtés qui lui donne son titre, le récit divisé en 1.001 fragments (en référence aux contes des Mille et Une Nuits) traverse les siècles et les continents pour dessiner les contours d’un conflit outrepassant les frontières d’Israël et de la Palestine.

Une œuvre qui tutoie l’universel

Des routes empruntées par les oiseaux migrateurs à la guerre du Kippour, du camp de ­Theresienstadt à l’espoir suscité par les accords d’Oslo, ces fragments entrent en résonance avec les destins brisés de Smadar et d’Abir qui font eux-mêmes écho à cette citation de Borges : "Etre avec toi ou ne pas être avec toi est la mesure de mon temps." Au centre du roman, les témoignages de Rami et de Bassam, devant lesquels le narrateur s’efface après nous avoir immergés dans le contexte dans lequel ils s’inscrivent, bouleversent autant qu’ils remettent en perspective une histoire ne se résumant plus à deux peuples éternellement présentés comme ennemis, à une langue de terre prise entre la Méditerranée et le Jourdain, mais qui nous concerne tous.En cela, Apeirogon – dont les droits ont été achetés par la société de production de Steven Spielberg – s’affranchit des limites de la fiction pour tutoyer l’universel et pour créer, à l’instar de Bassam et de Rami dans leurs prises de parole, son propre alphabet.

"Apeirogon", de Colum McCann, traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude, Belfond, 512 pages, 23 euros.

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Source : le Journal du Dimanche

JPEG - 174 ko Colum McCann est un nouvelliste et romancier.
Après des études de journalisme au St Joseph’s College de Dublin, la seule formation en journalisme à l’époque en Irlande, il travaille comme rédacteur pour l’Evening Herald puis devient correspondant junior pour l’Evening Press de Dublin dans les années 1980. Il avait déjà fait ses premières armes en recevant le prix du jeune journaliste de l’année pour son travail sur le sort des femmes battues de Dublin.
À l’âge de 21 ans, il décide de se rendre aux États-Unis. Il parcourt ainsi 20 000 kilomètres à travers l’Amérique, multipliant les petits boulots. Il décide ensuite de partir vivre au Japon, avant de revenir aux États-Unis, à New York, où il vit aujourd’hui.
Il est lauréat des prestigieux prix de littérature irlandaise Hennessy (1992) et Rooney (1994) pour ses nouvelles.
Il accède à la notoriété avec "Et que le vaste monde poursuive sa course folle" (Let The Great World Spin, 2009) - prix littéraire du Festival du cinéma américain de Deauville, élu meilleur livre de l’année par le magazine Lire et lauréat du prestigieux National Book Award 2009.
Il est également auteur d’une remarquable biographie romancée sur Rudolf Noureev, "Danseur" (Dancer, 2009). Il est aussi le maître d’œuvre d’Être un homme (Belfond, 2014), qui rassemble soixante-quinze textes d’auteurs majeurs de la scène internationale.
Il enseigne l’écriture créative au Hunter College de l’Université de la Ville de New York et à l’European Graduate School.
Ses ouvrages, traduits en 26 langues, ont été en partie publiés dans des revues.
son site : http://www.colummccann.com
Source : Babelio