Bienvenue à At Tuwani – Palestine

vendredi 26 octobre 2018

Il est 7h quand nous nous réveillons après une nuit à la belle étoile, sur le toit d’une maison. Ici, nous sommes à Al Tuwani, un petit village palestinien entouré de collines arides et de champs d’oliviers. Ça pourrait être un joli endroit où venir se promener, boire un thé avec les habitant-e-s et admirer le travail de tissage et de broderie des femmes du village. Mais peu de personnes viennent encore par ici. Et pour cause, des colons israéliens ont pris domicile sur une colline en face dans les années 80 et ont fait de la vie des habitant-e-s un enfer.
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Bienvenue à At Tuwani – Palestine

Cette nuit là, nous sommes accompagné-e-s de Bilal et de Mahmoud. Deux jeunes qui ont grandi en faisant face à la violence des colons et des soldats israéliens. Mahmoud habite la maison depuis laquelle nous surveillons la colline des colons. Il a déjà fait de la prison, tout comme Bilal, sa maison a déjà été attaquée et ses oliviers coupés. Son frère a failli être tué par un colon quelques jours plus tôt. Dans le village, personne ne dort jamais vraiment sur ses deux oreilles. Téléphones allumés, les habitants sont prêts à sortir de leur lit en pleine nuit s’il faut venir défendre le village. Défendre le village, c’est défendre les troupeaux, les maisons, les cultures, défendre leur droit à vivre ici, sur une terre qu’ils occupent depuis des siècles.

Le ciel est clair ce jour là, les étoiles filantes se succèdent, mais ce n’est pas le moment pour s’émerveiller de la beauté du ciel. Nous observons la colline et la puissante lampe torche qui s’agite entre les arbres face à nous. Mahmoud braque sa lumière sur les arbres, nous montrant des silhouettes. Les colons sont là. Mais ils n’approcheront pas davantage tant que nous les surveillons. Bien qu’armés, ils peuvent être assez lâches, affirme Mahmoud.

Nous agitons la lumière, montrant ainsi notre présence. Un long moment s’écoule sans que rien ne se passe. Bilal rentre chez lui, nous sommes deux internationaux ce jour là pour prendre la relève et il semble soulagé de pouvoir rejoindre son lit. Au moindre souci, nous l’appelons comme convenu.

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Pour les habitant-e-s du village, la présence d’internationaux est un appui important. Soldats comme colons ne peuvent se permettre d’être aussi violents en présence d’étrangers. Un groupe d’une organisation italienne actif dans le village depuis un certain temps vient de partir, faute de moyens. Bilal semble désespéré et triste, il aimerait que nous puissions être là plusieurs jours.

Nous restons avec Mahmoud sur le toit, enveloppés de couvertures. Nous attendons. Je demande à Mahmoud comment les colons peuvent ne pas se lasser de ce qui semble être presque un jeu pour eux. Ils ne travaillent pas, me répond-il, ils peuvent dormir dans la journée, recevant un salaire de l’État israélien pour leur seule présence dans cet endroit. Le quotidien des habitant-e-s de ce village me semble tellement insupportable, je ne peux m’empêcher d’être admirative de la force de Mahmoud. Il résiste depuis qu’il est né, et le fera probablement toute sa vie.

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Des silhouettes se dessinent au loin, des pas s’approchent de la maison. J’ai la respiration qui s’accélère, moi je n’ai jamais connu une once de ce qu’ils vivent ici, et j’ai peur. Trois soldats apparaissent. Nous sommes soulagés, loin d’être des enfants de chœur, les soldats ne sont pas aussi dangereux que les colons. Ils ont été placés en bas de la colline, pour protéger les colons des Palestiniens et inversement. En réalité, ils ne protègent pas les Palestiniens, ils avancent main dans la main avec les colons. Un soldat demande à Mahmoud pourquoi il agite sa lampe et ce que nous faisons sur le toit, ce à quoi il répond en hébreu (il a appris l’hébreu en prison) qu’il a le droit d’être sur son toit, et qu’il surveille son champ d’oliviers des colons. « Nous sommes là, ne vous en faites pas » déclare un soldat. Ils font demi tour, et nous restons là, écoutant Mahmoud nous expliquer qu’ils viennent repérer combien nous sommes, pour le dire aux colons. « On ne peut pas leur faire confiance » affirme-t-il.

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Vingt minutes plus tard, une lumière éclairant le champ d’olivier se rallume. Mahmoud agite sa lampe, cherchant à voir où se cachent les colons. Nous attendons à nouveau. La nuit est calme et silencieuse. Les colons sont rentrés chez eux. Ils ne feront rien ce soir. Mahmoud va se coucher, et nous continuons à observer cette colline maudite pendant un temps avant de s’endormir. Demain, nous devons nous lever tôt pour accompagner des enfants à l’école. L’armée israélienne a le devoir de les protéger des colons, mais étrangement, elle manque souvent à ses prérogatives. Dans ces cas là, les enfants peuvent être frappés par les colons.

Ici la Palestine.

At-Tuwani (en arabe ﺍﻟتﻮﺍﻧﻲ‎ or ﺍﻟتوانة) est un petit village palestinien dans les collines du sud d’Hébron/al-Khalil. Il est situé au sud-est de Yatta.

Source : Lila, une militante française d’ISM actuellement en Palestine occupée