Bipeurs piégés au Liban : "cynisme" et "déshumanisation" occidentale

lundi 30 septembre 2024

Les médias ont loué une "attaque spectaculaire" d’Israël, sans trop se soucier des victimes civiles et du droit international

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Les médias français ont largement couvert les attaques aux bipeurs et aux talkie-walkies des 17 et 18 septembre au Liban. Mais davantage pour souligner la "prouesse technique" que pour en questionner le possible crime de guerre.

Le 17 septembre 2024, des centaines de bipeurs piégés ont explosé au Liban, tuant douze personnes, dont deux enfants, l’ambassadeur d’Iran au Liban et deux professionnels de santé, et en blessant plus de 3 000, selon le ministère libanais de la Santé. L’attaque, non-revendiquée mais immédiatement imputée à Israël, visait les membres du groupe paramiliataire islamiste chiite Hezbollah, dont l’un des hauts commandants a été blessé dans l’attaque. Le lendemain, 18 septembre, ce sont des talkie-walkies qui ont explosé à leur tour, tuant neuf personnes et blessant plusieurs centaines. Comme les bipeurs, les talkie-walkies sont des dispositifs utilisés par les membres du Hezbollah, mais aussi par des professionnels de santé dans les hôpitaux libanais. En France, dès le 17 septembre et l’attaque aux bipeurs, les médias ont couvert la nouvelle sous un angle particulier : celui de la "prouesse" et du "spectacle".

Une "attaque spectaculaire" et une "prouesse technologique"

Au lendemain des explosions, le Monde écrit qu’une "attaque d’une sophistication inédite, imputée à Israël" qui "a plongé le Liban, mardi 17 septembre, dans le chaos et la panique", tandis que le Figaro s’extasie sur "une attaque sans précédent" et "une opération spectaculaire et complexe à organiser" : "Avec cette attaque, Israël a réalisé une nouvelle démonstration de sa supériorité technologique et opérationnelle, près d’un an après l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas. [...] En profitant de son avance technologique, Israël espère prendre l’ascendant." Dans son édito pour Libération, le directeur de la rédaction Dov Alfon loue lui aussi une "opération militaire inouïe" : "Tout y est, la prouesse technologique, le secret des préparatifs, l’audace opérationnelle, l’indifférence aux conséquences politiques, la rapidité de réalisation et la réalisation inconcevable de tous les objectifs visés."

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Pour le Parisien, cette "incroyable explosion" est "une opération inédite, d’une envergure exceptionnelle". La rubrique Pixels du Monde consacre un article spécifique pour expliquer la technicité de "cette opération hautement risquée et extraordinairement sophistiquée". C’est également le champ lexical de la victoire militaire et de l’exploit technologique qui va se répandre dans le reste des médias français. Un "ancien espion français" a également expliqué en interview vidéo au Monde qu’il s’agit d’un "coup de maître de la part des Israéliens", mais lui a précisé, sur X, qu’il "caractérise le niveau technique de l’opération, sans jugement moral ni justification stratégique" - une nuance qui n’est pas soulignée par les articles de presse louant la supériorité technologique israélienne. Ni par le Figaro, qui multiplie les articles sur "une attaque inédite par son ampleur mais techniquement éprouvée par Israël", "massive" et "spectaculaire". L’Express choisit de donner la parole à un militaire, le vice-amiral Coustillière, qui revient sur une "attaque majeure et sans précédent" et "la préparation longue et minutieuse qu’a imposée une telle opération". Il ne tarit pas de compliments, parlant de "vraie prouesse", d’une "maîtrise assez impressionnante" : "C’est une opération extrêmement complexe, qui demande un temps de préparation et un coût important." Le Nouvel Obs préfère souligner le danger de la situation en décrivant "un événement d’une ampleur sans précédent". Dans la presse étrangère, même son de cloche : l’accent est mis sur la victoire logistique. Le New York Times, notamment, titre sur un "cheval de Troie moderne" que serait l’utilisation de bipeurs piégés, et parle de "succès tactique".

À la télé aussi, ce qu’on retient, c’est le "spectacle" de ces explosions. Quotidien (TMC) parle d’une "attaque spectaculaire" ; sur LCI, on nous décrit une "incroyable opération", un "coup de maître" et David Pujadas estime qu’elle suscite "une forme d’admiration" chez les spécialistes ; sur BFMTV, c’est "une opération d’une grande technicité humaine et technique", voire "un scénario digne d’un film d’action hollywoodien". France 2, un peu plus sobrement, décrit "une attaque inédite"... mais parle aussi de "scénario sidérant". Sur Europe 1, l’avocat-éditorialiste d’extrême droite Gilles-William Goldnadel considère même que l’attaque aux bipeurs est "une prouesse technologique unique", et une "opération extrêmement ciblée, difficilement critiquable d’un point de vue moral, avec très peu de dégâts collatéraux.

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Source : Arrêt sur Images - Pauline Bock Rédactrice en chef adjointe