CONFERENCE-DEBAT AU TOURSKY AVEC SAMA JABR ET...

mercredi 24 septembre 2014

CONFERENCE-DEBAT AU TOURSKY AVEC SAMA JABR ET SALAH HAMOURI, le 19 septembre 2014.

SAMAH JABR, Psychiatre et Pédopsychiatre de Jérusalem-Est
Dommages invisibles en Palestine
Conséquences de la guerre et de la vie sous occupation, sur la santé mentale

SALAH HAMOURI , Ancien prisonnier politique palestinien, étudiant en droit et militant de Addameer (association d’aide aux prisonniers politiques et à leurs familles)
La vie dans les geôles israéliennes
Conditions de détention des adultes et des enfants et impact sur les familles

Samah Jabr :
La guerre a des effets à long terme et provoque un traumatisme post-générationnel. Mais pour les Palestiniens, le stress post-traumatique n’existe pas puisque la menace est réelle.
Face à ces traumatismes répétés, il y a trois réactions possibles : « Agir, Fuir ou Moisir »

(N.B : Bien que la conférence se soit tenue en français, Samah Jabr a utilisé l’expression anglaise « Fight, Flight or Freeze » qu’elle n’a pas traduit et qui littéralement signifie : « Se battre, s’enfuir ou se figer sur place » Cette expression peut être rendue en français par « Agir, Fuir ou moisir »)

Maintenant, il y a des « boat people » aussi parmi les Palestiniens, ce qui indique leur degré de souffrance. Plutôt affronter la mort que la réalité. Mais ceux qui « freeze » ( = qui se figent, ou moisissent) sont ceux qui souffrent le plus. Faire face, résister aident à la résilience. Mais Gaza est la seule zone de guerre dont on ne peut pas fuir. Le traumatisme est donc non quantifiable. Par exemple, pendant les bombardements de l’opération « Bordure de Protection », des corps ont été ensevelis et n’ont été retrouvés brûlés qu’au bout de 3 semaines : absence de processus de deuil.
La guerre apporte l’humiliation, touche aux croyances, érode la psyché sociale, la pression devient intériorisée. Quand la résistance est éliminée, le fossé entre Palestiniens et Israéliens, y compris Arabes, s’agrandit ; les crimes des hommes envers les femmes, l’utilisation des drogues s’accroissent, et la violence devient structurelle.
Mais les réactions à chaud sans éducation ne servent pas à grand-chose. Les Palestiniens s’engagent dans le boycott mais sans réflexion ni éducation politique. Cependant, la résilience demeure la norme et la maladie mentale l’exception. Rester en Palestine donne un sens à leur vie, c’est une forme d’action, de résistance et de spiritualité : l’homme agit mais Dieu dispose. Ceux qui sont entourés par la famille s’en sortent mieux.
La torture, comme la guerre, est faite pour casser le psychisme des détenus et briser les familles. Il n’y a pas de justice restorative = Israël ne paye jamais le prix, c’est l’impunité totale. Par exemple, suite à l’enlèvement puis au meurtre du jeune Palestinien brûlé vif, on a découvert que le principal suspect israélien souffrait de troubles mentaux. Mais les trois jeunes Palestiniens qui, suite au meurtre, s’en sont pris au tramway illégal de Jérusalem ont écopé de trois ans de prison et de 1 million de shekels chacun au titre de dommages et intérêts. Comme ça, les parents vont devoir partir de Jérusalem-est, on confisque les biens des Palestiniens. Mais quand Israéliens et colons commettent des crimes, on évoque des problèmes « d’incapacité mentale ».
La réparation psychologique vient de l’action : ceux qui s’engagent souffrent moins de troubles. La solidarité au niveau psychologique est très importante mais ça ne doit pas se faire au détriment de la prise de décision politique. Les groupes de solidarité sont réactifs, ils se sentent mieux d’agir mais ils sont impulsifs. L’unité palestinienne est dégradée : après la reconstruction et les donations, la situation en Palestine sera pire car le Président Palestinien, Mahmoud Abbas, n’a à offrir au peuple que le choix entre « le pain ou la démocratie ». 2/3 du budget sont consacrés à la « sécurité ».
Que peut-on faire de l’étranger pour plus de solidarité ?
Il faut prévoir les crises, anticiper, décrypter la désinformation comme celle des « frappes chirurgicales ». Il faut qu’il y ait des lanceurs d’alerte, des sentinelles dans les associations et ne pas réagir après coup, il faut impliquer les avocats, les médias. L’aide financière ne sert à rien si elle n’est pas couplée avec une position politique. Faire de la charité peut financer la corruption mais elle n’est pas d’un grand secours sur du long terme.

Salah Hamouri :
Les manifestations de solidarité qui ont eu lieu en France et partout en Europe ont aidé les Palestiniens, surtout après l’interdiction de manifester venant de François Hollande. Cette solidarité a renforcé l’idée auprès des Palestiniens d’un combat juste. Il ne s’agit pas d’une guerre religieuse mais politique.
Ils sont 6 200 prisonniers politiques palestiniens dont 2 000 ont été arrêtés cet été, pendant l’opération « Bordure de Protection ». Parmi eux se trouvent 32 parlementaires élus.
Depuis 1967, 1/3 des Palestiniens sont passés dans les prisons israéliennes : il n’y a aucune différence de traitement entre enfants, femmes ou hommes ; il n’y a pas de tribunal spécial pour enfants. Les enfants sont isolés des adultes. Menottés mains et pieds, levés à 4 h du matin, amenés au tribunal par les Forces Spéciales, les détenus passent entre 12 et 14 heures dans des bus qui sont des frigos l’hiver et des fours l’été, et ce, sans aucun arrêt en chemin.
Au tribunal militaire, ils sont entassés, 25 dans une pièce ne pouvant contenir que 5 adultes et ils restent menottés de 4h le matin à 18h le soir. Pendant l’incarcération, il n’y a aucune communication physique avec les parents, et parfois pas même de droit de visite. Quand ils ont droit à une visite, elle se fait derrière des vitres et ils se parlent par micros interposés. Les femmes enceintes sont obligées d’accoucher, pieds et mains liés. Pendant deux ans, le bébé restera avec elle en taule, puis il sera envoyé au loin dans la famille.
1 400 prisonniers malades ne reçoivent jamais des soins adaptés à leur état. Les prisons sont même devenus des centres de recherche sur les prisonniers-cobayes. Les étudiants israéliens en médecine se font la main sur les détenus et à peu près 250 détenus sont morts en prison.
Si un prisonnier meurt en détention, son corps n’est pas remis à la famille tant que sa peine n’est pas achevée. Si à sa mort, il lui restait dix ans à purger, pendant dix ans, son corps est gardé au froid, dans un cimetière à numéros. C’est un moyen de plus de briser le moral des familles.
Il y a 2 500 prisonniers en détention administrative. La détention administrative est préventive, c’est-à-dire qu’elle est appliquée au moindre soupçon visant un Palestinien vis-à-vis de la sécurité d’Israël. Le détenu administratif n’est pas informé des soupçons qui pèsent sur lui et ne peut donc en contester la validité. Il peut être incarcéré pendant 6 mois, indéfiniment renouvelables. C’est une torture psychologique insoutenable. Alors qu’ils croient qu’ils vont être relâchés, ils sont remis en prison pour 6 mois.
Les prisons sont aussi devenus une source de revenus. La bouffe est à base de paille ( la paille dont on fait les balais) ; ils sont donc obligés de payer pour pouvoir se nourrir et la nourriture en prison est deux fois plus chère qu’ailleurs. L’argent ainsi gagné sert à construire de nouvelles prisons. Israël est un des rares pays où ce sont aux détenus de payer pour l’édification des murs de leur prison.
Les visites sont aussi un moyen de torture. Il y a 3 catégories de visites :
Les Palestiniens nés en Israël et à Jérusalem : ils ont droit à 45 mn de visite tous les 4 jours.
Les Palestiniens de Cisjordanie : la famille doit obtenir un permis spécial auprès de la Croix-Rouge. On demande à la mère de vendre un lopin de terre pour un droit de visite. Ou alors, les adolescents de la famille sont obligés de collaborer sinon pas de visite.
Les Palestiniens de Gaza : Jusqu’en 2012, les prisonniers n’avaient pas de droit de visite mais ils en ont obtenu une avec leur grève de la faim en 2012. Mais ils n’ont aucun contact physique et les familles sont fouillées. Tout ce qui est dit pendant la visite est enregistré. Donc un problème au sein de la famille devient un levier et un moyen de chantage. C’est pourquoi les familles finissent par se taire ; rapidement, les familles et le prisonnier deviennent des étrangers. « Famille » veut dire « famille proche », pas les cousins. Après un certain temps survient l’aliénation. La famille et le prisonnier deviennent des étrangers.
2/3 des détenus ont une vie bien organisée en prison, avec des élections discrètes comme responsables de la culture, de l’organisation, de cours politiques.
La grève de la faim est la dernière arme. Il faut 3 à 4 ans de préparation avant la mise en œuvre car il faut organiser l’élection des chefs de file, envoyer des messages. La décision doit être collective, une fois gréviste, il faut aller jusqu’au bout car sinon tu lâches les copains. Les grévistes sont souvent isolés pour briser la grève et pourtant les demandes des grévistes de la faim sont simples : pouvoir recevoir des visites ou des livres. Les Israéliens vont très loin dans le but de faire cesser la grève de la faim : une fois, ils ont voulu nourrir de force 2 grévistes avec du lait mais le lait n’est pas allé dans l’estomac mais les poumons. Les Palestiniens sont morts étouffés.


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