Cinquante ans d’occupation – Et maintenant ?

mardi 15 août 2017

En juin 2017, les Palestiniens, partout dans le monde, commémorent cinquante ans d’occupation de la Cisjordanie, ainsi que de Jérusalem-Est et de la Bande de Gaza. Les Palestiniens se rappellent que ces cinquante ans n’étaient que la deuxième étape de la Nakba (la catastrophe) de la Palestine, quand Israël conquit le pays tout entier.

Quand nous regardons aux soixante-neuf années écoulées depuis la Nakba, nous constatons les expansions progressives de l’Israël sioniste. Israël est comme un bulldozer qui défonce la Palestine et s’en empare peu à peu. En fait, une des principales raisons pour lesquelles il n’a pas été possible de parvenir à une solution du conflit, c’est qu’Israël ne s’est jamais contenté de ce qu’il possédait de la Palestine et a toujours eu envie d’en posséder davantage. Israël a toujours eu faim de plus de territoire, a toujours trouvé moyen de manœuvrer avec les exigences de la paix et de les contrecarrer, et a toujours trouvé des moyens trompeurs pour en faire porter la faute aux Palestiniens. Israël voulait le pays sans sa population autochtone.
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Il y a toujours encore des parcelles de la Palestine qu’Israël convoite.

L’accaparement envisagé par le sionisme religieux n’a pas encore atteint son but. Le cœur de Jérusalem n’est toujours pas entièrement entre les mains d’Israël, qui attend le moment opportun pour s’en emparer. Israël ressemble à un tigre affamé qui attend le bon moment pour bondir sur sa proie et la dévorer. Sa cible est le secteur du Haram, qu’Israël appelle le Mont du Temple. Ces fanatiques sionistes religieux juifs guettent avec impatience l’occasion de pouvoir s’emparer de tout.

D’un point de vue palestinien, le sionisme a deux vilains aspects. Le premier était le sionisme séculier. Il a dépouillé les Palestiniens de 78 % de leur pays. Durant les années 1970, il a été remplacé par un aspect plus vilain encore : celui du sionisme religieux qui a occupé les 22 % restant. Ce sionisme religieux a dépouillé les Palestiniens de ce qui restait de la Palestine. Il est probable qu’une fois qu’il exercera son contrôle sur tout le pays, ce sionisme religieux se retournera contre l’idéologie sioniste séculière et la remplacera par la loi religieuse juive, la Halakha. Si cela devait arriver, tout ce qui restera de la démocratie israélienne disparaîtra et l’État d’Israël deviendra, comme le dit son nom, un État juif, à l’image de plusieurs de ses États voisins qu’il critique actuellement et dans lesquels la religion a la haute main sur tout.

Ces propos peuvent passer aujourd’hui pour une vision pessimiste et négative de l’avenir, mais si une religion, quelle qu’elle soit, s’empare du pouvoir politique, il ne reste plus de place pour la démocratie, pour l’égalité devant la loi, ou pour le respect des autres. Et si un tel raisonnement vous semble farfelu, écoutez donc ce que dit Betzalel Smotrich, Vice-Président de la Knesset (le Parlement israélien) et membre du parti Foyer Juif, qui a intitulé son programme politique « Plan d’assujettissement » (dans le journal Haaretz du 16 mai 2017). Selon son programme, « Les Palestiniens auront le choix entre trois options : ou bien quitter le pays ; ou bien vivre en Israël avec le statut de « résidents étrangers » parce que, selon la loi juive, il doit toujours y avoir une certaine infériorité ; ou bien résister, et alors l’armée israélienne saura ce qu’elle devra faire. » Smotrich s’est inspiré du Midrash du livre de Josué où Dieu avait ordonné aux anciens Israélites d’anéantir la population autochtone de Jéricho.

C’est la solution finale de Smotrich.

Avec le temps, cet aspect du sionisme est devenu toujours plus vilain et plus effrayant. Le gouvernement d’Israël a cru pouvoir le cacher aux chrétiens d’Occident et même aux juifs d’Occident. Mais il devient de plus en plus évident à un nombre croissant de personnes.

L’unification israélienne de Jérusalem est une farce. Israël a certes conquis Jérusalem-Est, mais n’a pas été capable d’unifier la ville. La population palestinienne refuse de l’accepter. C’est un territoire occupé. La plupart des Israéliens n’y mettent pas les pieds. La plupart des taxis juifs refusent de s’y rendre. Même les ambulances israéliennes ne s’y rendent pas sans escorte militaire. En dépit de la judaïsation de la ville entreprise par Israël, celle-ci reste encore largement une ville palestinienne.

Quels sont les défis qui nous attendent ?

Il est important de se rendre compte que le combat pour la justice prendra bien plus de temps que nous ne l’avions pensé d’abord, et qu’il exigera bien plus d’efforts. Il est peu probable que les Nations-Unies, les États-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe ou n’importe quelle autre organisation locale ou internationale ait la volonté ou le pouvoir de résoudre le conflit. Les Palestiniens sont devenus des victimes et ont été sacrifiés pour permettre à l’Occident de racheter son péché d’antisémitisme. Israël, avec son occupation, est soutenu militairement et économiquement par les pays occidentaux qui continueront à le défendre politiquement en dépit de ses violations des droits humains et du droit international.

Il faut que notre peuple palestinien s’investisse dans un pouvoir alternatif qu’Israël ne possède pas : le pouvoir de la non-violence. Il nous faut construire une culture de paix et de non-violence. Il faut que tous les jours des manifestations de masse non-violentes soient organisées partout dans le pays, jusqu’à ce que la communauté internationale entende à nouveau le cri des Palestiniens. Il faut que notre peuple découvre et croie au pouvoir extraordinaire de la non-violence. Israël a construit son État sur le pouvoir de la violence. Il nous faut construire notre État sur le pouvoir de la paix et de la non-violence. La non-violence peut prendre beaucoup de formes, par exemple celles de pressions politiques ou économiques, parce qu’Israël ne mettra pas fin à son occupation aussi longtemps qu’elle ne lui coûtera pas très cher. Aujourd’hui, elle est rentable pour lui.
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Pour les Églises locales et internationales : la justice et la paix sont du domaine de l’Église. Jésus a été très politique quand il disait : « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. » Construire la paix fait partie de l’essence même de l’œuvre de l’Église. Si ses ministres ne s’y engagent pas, il manque une dimension importante de leur ministère. Il faut que l’on entende la voix prophétique des dirigeants d’Églises. Et elle doit s’appuyer sur une stratégie claire de non-violence, et sur du courage.

Nous avons besoin de l’aide du peuple juif : Le conflit Palestine-Israël est certes un conflit entre l’Israël sioniste et les Palestiniens. Mais c’est aussi un conflit entre la justice et l’injustice, entre le droit international et les idéologies tribales et nationalistes. Un nombre croissant de Juifs prend conscience de la justice due aux Palestiniens sur la base des résolutions des Nations-Unies et du droit international. Nous les mettons au défi d’intensifier leur lutte contre l’injustice et l’oppression. Ils peuvent faire beaucoup plus qu’ils ne font. Nous avons besoin de leur aide.

Il ne peut jamais y avoir de paix sans justice, et la justice ne mourra jamais tant qu’il y aura des gens qui y aspirent, qui travaillent pour elle et se sacrifient pour elle. Cela pourrait prendre du temps, cela prendra peut-être du temps. En fait, le temps est venu pour que les Palestiniens, qui ne peuvent même pas venir en visite à Jérusalem, fassent leur le mot d’ordre de nos cousins : « L’année prochaine à Jérusalem. » Il faut que notre peuple continue à vivre dans l’espérance de la libération et de la paix en se souvenant des paroles de l’apôtre Paul : « [Nous savons] que la détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance. Et l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Romains 5, 3-5).

JPEG - 13.6 ko Naïm Ateek
Président du Bureau de Sabeel, Jérusalem