Cisjordanie : « C’est comme vivre à côté du diable »

vendredi 17 février 2017

En début de semaine, Israël a légalisé rétroactivement 3 921 habitations sur des terrains palestiniens. A Qusra et à Jalud, des villages cernés par ces colonies, on craint de nouvelles spoliations et attaques.

Au centre de la Cisjordanie, le long de la route qui va de Ramallah à Naplouse, les colonies israéliennes champignonnent depuis les années 90, redessinant les Territoires palestiniens. Des patelins palestiniens se retrouvent donc encerclés par ces voisins peu commodes. Des terres agricoles ont été saisies et les habitants ne reconnaissent plus le paysage.

A Qusra, Abdel Azim Wadi, le maire, s’alarme : « Dans les années 80, il y avait les colonies traditionnelles comme Shilo, et on s’y était presque habitués. Et puis, comme des lapins, elles ont donné naissance à un tas d’avant-postes, et maintenant, nous sommes complètement séparés de l’ouest et du sud de la Cisjordanie. » Dans cette région stratégique, au centre de la terre promise revendiquée par certains colons, l’expansion des colonies est un véritable drame pour les Palestiniens. Fine moustache, allure dynamique, le maire Abdel Azim Wadi passe donc son temps à essayer de sauver son village de 5 300 habitants : « Déjà que la présence des colons avait du mal à passer, le vol des terres et les attaques, c’est trop ! » s’étrangle l’édile.

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« Mauvais voisin »

L’épée de Damoclès supplémentaire vient du Parlement israélien. Une loi en faveur des colons y a été votée en début de semaine. Ses promoteurs misaient sur un laisser-faire de Donald Trump. Petite surprise : cinq jours avant de recevoir Benyamin Nétanyahou, le président américain a déclaré vendredi au quotidien Israel Hayom ne pas croire que l’expansion des colonies soit « bonne pour la paix ». D’après l’organisation « la Paix maintenant », le texte prévoit de légaliser 3 921 logements construits sans autorisation officielle dans des colonies et sur des terrains propriétés de Palestiniens. Cinquante-cinq avant-postes - des établissements sauvages et illégaux - devraient aussi pouvoir s’étendre.

Qusra est justement pris en tenaille entre une colonie autorisée et un avant-poste.

Les minarets de ses mosquées et ses habitations en parpaings nus font face aux maisons aux toits rouges bordées d’inscriptions géantes en hébreu. Abdel Azim Wadi évalue la situation ainsi : « On pourrait devoir coexister pour de bon avec les colons et ça peut éventuellement fonctionner avec certaines colonies. Mais ce qui m’inquiète, c’est le cas de figure dans lequel on a un mauvais voisin, comme Esh Kodesh. » Etabli en 2000, cet avant-poste limitrophe de Qusra abriterait une quinzaine de familles. Certains de ses habitants ont été reconnus coupables d’agressions envers des Palestiniens, notamment de l’enlèvement d’un adolescent en 2007. Nada Youssef vit dans la dernière ferme de Qusra, aux portes de cette petite communauté. « C’est comme vivre à côté du diable : chaque jour, j’attends la nouvelle attaque », raconte cette mère de famille nombreuse de 75 ans. Son exploitation a été la cible de plusieurs incidents depuis le début de l’année, comme ces jets de bombes lacrymogènes qui contaminent le bétail et le lait.

Abdallah Mohammed, le maire du hameau voisin, Jalud, a perdu le compte des attaques : « La situation est devenue totalement déséquilibrée, de toute façon. D’un côté, vous avez des colons qui violent les lois chaque jour tout en recevant des soutiens variés et forts, et de l’autre, des propriétaires terriens dans leur bon droit, qui n’ont pas assez de soutiens pour obtenir gain de cause. »

Frénésie

Sur son bureau, des dizaines de cartes s’étalent : israéliennes, palestiniennes, internationales, anciennes, réalisées à partir de photos aériennes ou plus rudimentaires. Autant de documents relatifs aux terres perdues par les localités palestiniennes. Elles témoignent de ce qu’ont été Jalud ou Qusra avant la colonisation. La dernière est celle d’une colonie qui devrait émerger dans les mois à venir. Abdallah Mohammed pointe une oliveraie devenue sauvage par manque d’entretien ou de nouvelles maisons construites par les colons, toujours plus proches de Jalud. D’autres cartes indiquent les lieux des attaques.

Médecins du monde recense une moyenne de près de trois incidents par semaine dans la région (dégradations d’habitations, insultes, intimidations, harcèlement, attaques à l’arme blanche, tirs…). Le maire a beau s’accrocher à ses cartes, il est déboussolé. La loi de légalisation des colonies prévoit des compensations financières pour les propriétaires palestiniens, mais pour cet agriculteur, cela n’a aucune importance : « En plus de légaliser le vol de terres, ça met en place des ventes sous la contrainte. » Ces cartes ne sont pas seulement les mémentos d’un faste agricole et d’une vie paisible. Elles sont aussi utilisées dans les recours devant la justice israélienne. Mais elles ne peuvent suffire pour gagner la bataille : « La prochaine génération ne peut plus lutter contre ces lois, ces saisies militaires, toute cette violence qui nous entoure. »

source : Libération-Par Chloé Rouveyrolles , samedi 11 février 2017

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