Comment Israël entrave le traitement du COVID-19 à Jérusalem-Est

jeudi 30 juillet 2020

La pandémie de COVID-19 n’instaure aucune égalité.

Loin de là : elle a révélé le caractère inégalitaire de systèmes de santé censés être modernes et a conduit au bord du gouffre ceux qui étaient déjà dégradés.

Le cas de Jérusalem-Est occupée est particulièrement révélateur.

La pandémie a démasqué et exacerbé les horreurs de l’occupation militaire israélienne de cette ville, selon un nouveau rapport produit par Al-Haq, groupe palestinien de défense des droits humains, Medical Aid for Palestinians, organisation caritative britannique, et le Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center.

JPEG - 226.9 ko Des Palestiniens et des Israéliens protestent contre le déplacement forcé imminent d’une famille palestinienne contrainte de quitter sa maison dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, le 3 avril 2020. Sharona Weiss / APA images

Israël a occupé Jérusalem-Est en 1967 et l’a annexée officiellement en 1980.
Le droit international impose à Israël des obligations spécifiques : garantir la santé et d’autres services de base aux Palestiniens qui vivent sous sa domination militaire.
Non seulement Israël ne respecte pas ses obligations, mais l’inaction et la violence présentes de façon systémique et constante à Jérusalem-Est sont devenues de plus en plus évidentes au cours de la pandémie.
Israël a adopté une attitude de poursuite des affaires courantes pour ce qui est de l’oppression des Palestiniens.

Les autorités israéliennes n’ont pas mis sur pied en temps et en heure des installations de tests pour le COVID-19, elles n’ont pas fourni de données complètes et fiables pour suivre la propagation du virus, elles ont harcelé et arrêté des militants palestiniens de la santé, et elles ont empêché l’obtention par les hôpitaux d’équipements essentiels.

“Les Palestiniens sont devenus mal équipés pour faire face à une crise de la santé publique, sans parler de l’éruption d’une pandémie comme le COVID-19”, souligne le rapport.

Absence d’installations de tests
Il a fallu plus d’un mois après le premier cas confirmé de coronavirus en Israël pour que celui-ci mette en place une installation de tests à Jérusalem-Est. Cette installation accessible en voiture a été montée dans le quartier de Jabal al-Mukabbir, à proximité du mur d’annexion d’Israël, à la suite de pressions juridiques exercées par des groupes palestiniens de défense des droits humains.

Il a fallu encore attendre presque deux mois pour qu’Israël mette en place des centres de test au-delà du mur, et cela uniquement après qu’Adalah, groupe palestinien de défense des droits humains, a adressé une requête à la Cour suprême d’Israël. Les retards dans la réalisation de tests sur les Palestiniens avaient une nature discriminatoire : en effet, “le contraste est flagrant avec le sentiment d’urgence et la réaction rapide aux besoins de la population juive israélienne”.

On pouvait considérer que les retards “discriminatoires” étaient l’élément qui caractérisait le mieux l’inaction d’Israël en matière d’efforts pour endiguer la maladie.

Mais les retards n’étaient pas le seul problème.

“Pour bénéficier d’un test dans ces centres, il faut être membre d’un organisme israélien de soins de santé privé, ce qui n’est pas le cas d’une partie importante de la population palestinienne”, indique le rapport. Israël accorde des soins de santé gratuits aux résidents palestiniens officiels de Jérusalem-Est, soit seulement 40 pour cent de la population.

Quand Israël a occupé Jérusalem-Est en 1967, il n’a décompté que les Palestiniens qui étaient physiquement présents dans la ville. Ceux qui étaient à l’étranger, quelle qu’en soit la raison – y compris le travail ou les études – n’ont pas été comptés et ont été “dépouillés arbitrairement de leurs droits de résidence à Jérusalem”.

À ce jour, les Palestiniens doivent prouver que leur “centre de vie” est à Jérusalem afin de vivre dans la ville où ils sont nés.

Décentralisation du traçage

Le suivi du nombre de cas confirmés à Jérusalem-Est s’est fait selon un processus incohérent et peu fiable.

En raison de la nature de l’annexion par Israël de Jérusalem-Est, le ministère israélien de la Santé est le seul organe ayant accès aux chiffres relatifs aux Palestiniens infectés par le virus dans la ville.

En l’absence de données ventilées, précise le rapport, trois instances différentes décomptent les cas confirmés : le ministère israélien de la Santé, la municipalité de Jérusalem, sous contrôle d’Israël, et des groupes appartenant à l’Alliance de Jérusalem contre la pandémie de coronavirus.

Cette situation donne lieu à des chiffrages disparates, si bien que ni le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne ni l’Organisation mondiale de la Santé n’ont une vision claire de l’étendue de l’épidémie à Jérusalem-Est.

Abandon et définancement des hôpitaux

Les effets de l’abandon chronique des hôpitaux palestiniens de Jérusalem-Est et de leur affaiblissement par Israël sont devenus évidents au cours de la pandémie.

Les Palestiniens de Cisjordanie occupée et de Gaza dépendent des hôpitaux de Jérusalem-Est pour obtenir des soins qui ne leur seraient pas accessibles ailleurs.

Trois hôpitaux de Jérusalem-Est ont été désignés pour les soins liés au coronavirus : l’hôpital al-Makassed, l’hôpital Augusta Victoria et l’hôpital Saint-Joseph.

“La pandémie a frappé à une période où tous ces hôpitaux faisaient déjà face à des conditions économiques exceptionnellement difficiles et à un sous-financement chronique”, souligne le rapport.

En 2018, l’administration Trump a amputé de plus de 25 millions de dollars l’aide concédée à six hôpitaux de Jérusalem-Est.

À eux tous, les trois hôpitaux désignés pour accueillir les malades du COVID-19 n’ont que 22 respirateurs et 62 lits pour ces patients.

Certes, les Palestiniens peuvent solliciter un traitement médical dans les hôpitaux israéliens, mais “la disponibilité des hôpitaux israéliens ne décharge pas les autorités israéliennes d’occupation de leur responsabilité concernant l’affaiblissement délibéré, la dégradation et l’abandon systématique des hôpitaux palestiniens de Jérusalem-Est”, affirme le rapport.

Attaques contre les militants de la santé

Les forces israéliennes ont persisté à attaquer les militants de la santé pendant la pandémie. Israël a ciblé et interpellé systématiquement les militants qui distribuaient des brochures d’information dans la ville, et a arrêté des Palestiniens qui désinfectaient de façon bénévole des espaces publics, notamment les mosquées.

Les forces israéliennes ont même fait une descente dans un centre de tests du quartier de Silwan, soutenant d’abord qu’il était géré par des médecins dépourvus de permis avant de donner comme prétexte de la fermeture du centre la supervision de ses activités par l’Autorité palestinienne.

En fait, le médecin assurant l’administration du centre avait un permis délivré par Israël, comme il l’a confirmé aux groupes de défense des droits humains qui ont établi le nouveau rapport.

“Quel que soit le prétexte donné, le seul fait que les Palestiniens aient été forcés de mettre en place par eux-mêmes un centre de tests, et la fermeture ultérieure du centre par la puissance occupante témoignent de la carence constante d’Israël, qui ne remplit pas ses obligations de mettre en œuvre sans discrimination les droits des Palestiniens à la santé et à la vie”.

Il y a actuellement presque 12 000 cas confirmés de COVID-19 en Cisjordanie occupée. Ce chiffre comprend plus de 2 100 cas à Jérusalem-Est.

Il y a 75 cas confirmés dans la Bande de Gaza. À ce jour, 70 Palestiniens sont morts de cette maladie.

En refusant aux Palestiniens les soins de santé de base – et, pire encore, en attaquant leurs installations de soins – Israël a rendu inévitable un accroissement de la mortalité.

Traduction : SM pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada