Compte-rendu d’un voyage en Palestine (1ère semaine)

dimanche 17 janvier 2016

Compte-rendu d’un voyage en Palestine (1ère semaine)
Du 20 décembre au 5 janvier, Brigitte (BDS 34), Sarah (ISM et UJFP) et Pierre (UJFP) ont sillonné la Cisjordanie : Jérusalem, Jénine, Naplouse, Ramallah, Bil’in, Béthléem, Dheisheh, Al Mas’sara, Hébron, les collines du sud, Beit Ommar avec un passage à Tel-Aviv. Nous avons très souvent dormi chez de simples habitants et partagé leurs dures conditions de vie. Nous avons alterné les rencontres politiques et les visites chez des gens "ordinaires".
Les premiers mots qui nous viennent : la Palestine est mitée, émiettée. La colonisation est partout. Les colons armés agressent en permanence. L’armée omniprésente les protège. Quasiment tous nos interlocuteurs ont connu la prison. Les dirigeants israéliens ne masquent pas qu’ils veulent tuer. L’Occident sait tout et laisse faire volontairement. En absence de leadership, les propos et les stratégies des Palestiniens qui résistent sont très variés et parfois contradictoires. Les anticolonialistes israéliens, toujours au front, ne masquent pas les défaites subies. L’opinion israélienne a accepté l’idée qu’il n’y aura jamais de paix.

Voici quasiment sans modification ce que nous avons avons écrit au jour le jour.
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Jérusalem vue des toits

21/12/2015 - Hervé Magro, consul de France à Jérusalem, nous reçoit très longuement.

Il parle de situation coloniale, compare ce qui se passe aux cow-boys et aux Indiens.
Les diplomates français font des rapports réguliers très précis en parlant des exactions, des crimes impunis, des exécutions extrajudiciaires. Personne ne pourra dire "je ne savais pas".

Il constate que les Israéliens font ce qu’ils veulent sur l’entrée à Gaza. Beaucoup de refus par exemple contre les Suédois depuis la reconnaissance de la Palestine.
Le problème, c’est Paris et sa politique. Le mouvement de solidarité ne sait pas ou ne peut pas se faire entendre (les autres sont plus forts que nous en terme de lobbying).
Sur la question pour nous d’entrer à Gaza, les portes semblent fermées pour des séjours de groupe et/ou de longue durée. La procédure de coordination nous a été décrite en détail. Ce qui semble avoir le plus de chance c’est une demande individuelle pour un séjour, avec un projet précis, des interlocuteurs bien identifiés. Si possible pas des "ennemis d’Israël" et pour une courte durée.

Promenade dans Jérusalem
D’abord une drôle d’impression de la vieille ville (Le dernier passage de Pierre date de 2010).

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La vieille ville déserte, elle était grouillante avant l’Intifada

Plein de magasins fermés. Des rues vides notamment celle qui mène à l’esplanade des mosquées. Des soldats omniprésents avec des uniformes différents
Des Juifs religieux majoritaires, à Méa Sharim bien sûr mais ailleurs aussi.

Rencontre avec Michel Warschawski : "il y a deux Israël qui ne cherchent pas et ne peuvent plus dialoguer".
Dans le mouvement anticolonialiste (la petite roue), il y avait autrefois 15000 manifestants, 6000 Juifs et 9000 Palestiniens. Ils existent toujours mais ne manifestent plus ensemble. Les premiers manifestent à Tel-Aviv et les deuxièmes à Oum el Fahm.

Les anarchistes contre le mur ont disparu.

Michel ne croit pas à l’irréversibilité de la colonisation.
Il dit du bien du président Rivlin, de la droite historique mais moins raciste et moins corrompu que la classe politique.
L’AIC à Jérusalem n’a plus ses bureaux à l’étage. Juste le local du rez de chaussée.

22 décembre - Jénine

Itinéraire très facile de Jérusalem à Jénine via Ramallah avec les bus réguliers.
Aucun check-point. Sur les routes de contournement, les colonies aux noms bibliques : Shilo, Eli, Shavei Shomron, Kdumim, Yizhar. L’armée n’est visible qu’à Shavei Shomron.

Nous sommes reçus par la famille de Najet chez qui Sarah a vécu en 2011 au moment de l’assassinat de Juliano. Najet connaît bien plusieurs membres de la 166e mission et se souvient de Saadia, Mokhtar, Faouzia et de notre passage en octobre 2010. Elle connaît aussi Ziad Medoukh avec qui elle a fait ses études en Algérie. Elle habite en plein milieu du camp où alternent les maisons jaunes (reconstruites après le massacre de 2002) et les autres plus anciennes.
Nabeel qui nous avait emmené partout dans le camp en 2010 nous reçoit longuement au théâtre. Sa femme est portugaise, ils ont deux enfants, une fille de 6 ans et une autre qui vient de naître.
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Le Théâtre de la Liberté de Jenine
"Le théâtre va bien. Plusieurs générations s’y retrouvent à présent". La tournée à Paris s’est bien passée malgré le 13 novembre. Les salles étaient pleines et l’accueil chaleureux.
Le théâtre va fêter ses 10 ans en avril. "On veut honorer Juliano, pas en pleurant mais en pratiquant la résistance culturelle". Sur son exécution, la veille, Mikado nous disait la difficulté de ne pas savoir la vérité. Nabeel est plus catégorique : il y voit la conjonction d’Israël et de l’Autorité palestinienne pour laquelle il n’a que mépris et dont il dénonce la corruption (il parle de mafia). "Ma génération est perdue mais j’ai grand espoir dans la nouvelle". Il défend à fond la résistance, pas pour mourir mais au contraire pour vivre. L’art en fait partie. "On va raconter notre histoire, donner les clés. Je suis plein d’espoir".
Nabeel avait été longuement interrogé par l’Autorité palestinienne quand il avait monté "la ferme des animaux". Il a été emprisonné 40 jours par les Israéliens dans une minuscule cellule. En chemin pour la prison de Haïfa, il est passé par le village que sa famille a dû fuir lors de la Nakba.
Il a été accusé d’abord d’avoir tué Juliano puis d’avoir apporté des cigarettes à Zakaria Zubeidi ( au jour d’aujourd’hui emprisonné depuis deux ans par l’Autorité palestinienne). Comme les Israéliens s’énervaient de le voir sourire, il leur a répondu : "j’ai besoin de rêver. Rêver c’est être libre". Comme les Israéliens riaient et lui demandaient pourquoi il faisait du théâtre, il a dit : "je fais du théâtre parce qu’il y a l’occupation. Vous aussi votre projet a d’abord été un rêve. Dans 50 ans, l’occupation, ce sera fini". Il a plaidé coupable lors de son procès pour ne pas retourner en prison.
Sur les relations avec certains habitants du camp, il parle de "hate-love story".
"Quand on parle d’occupation on est aimé, quand on parle des droits des femmes, on est détesté".
Il parle de l’islam, se dit fier d’être musulman, et cite certains textes du Coran : "on ne peut pas juger les gens sans preuve". Et Dieu a dit à Mahomet "si tu as le coeur dur, les gens te fuiront".
Nous avons un échange sur l’Autorité palestinienne, pour laquelle il n’a que des mots très durs : "je n’accuse pas les gens mais les institutions". Il signale que dans l’Autorité, certains tirent un énorme avantage de la situation. Les Israéliens disent parfois : "si l’AP utilisait son argent correctement, la Palestine serait la Suisse". Face à l’argument que quoiqu’il en soit, les salaires versés par l’AP sont indispensables à de très nombreuses familles, Nabeel ne demande pas de l’argent pour les Palestiniens, il cite le proverbe chinois : "ne me donnez pas le poisson, apprenez-moi à le pêcher".
Il nous parle du théâtre qui monte la pièce "le siège", de celle en préparation "l’examen de maths", de ses ressources complètement indépendantes des institutions (l’aide des associations étrangères, notamment celle de France est très importante).
"L’assassin de Juliano pensait tuer le théâtre, il s’est trompé". Le théâtre coopère avec un théâtre indien du même genre dont le fondateur a été assassiné et le théâtre a mis en scène cet assassinat.
On échange sur le BDS et en particulier sur le BDS culturel. Nabeel est à fond pour "tant que l’apartheid ne sera pas tombé". Il explique que Juliano aussi était pour les actions collectives et pour le boycott. Il cite Ilan Pappé. Pour la situation actuelle, il refuse le mot conflit : c’est une occupation.
"Le théâtre sert à rappeler la mémoire de ceux qui ont été expulsés".

Et puis Najet a parlé de sa famille. Son père est issu d’une tribu de Bédouins Turkmènes du village d’Al Mensi à 27 Km de Haïfa et avait 7 ans au moment de la Nakba. Il a raconté son départ à pied et sans chaussure jusqu’à Jénine. Les forces armées des pays arabes coalisés avaient dit : "partez, vous reviendrez vite"..
L’ONU a "loué" pour 100 ans à un riche féodal palestinien le terrain sur lequel a été construit le camp de Jénine. Les habitants (2000 au départ, 16000 aujourd’hui) ont vécu sous tente jusqu’en 1953. Ils ont construit eux-mêmes leurs maisons. Les relations n’ont pas toujours été simples avec les habitants de la ville qui n’étaient pas réfugiés. Les réfugiés n’ont jamais possédé de terre.
Le père qui a pu tardivement aller à l’école est parti enseigner en Algérie (Tizi Ouzou) en 1964.. C’est là que Najet et ses sœurs également francophone sont nées.
Mais du coup, comme la famille n’était pas à Jénine en 1967, elle a perdu son droit à revenir en Cisjordanie. A partir de 1975, elle obtiendra des autorisations partielles de revenir (durée limitée et seulement une partie de la famille). Le retour se fera ... en 1997.
5 ans après, c’est le grand massacre commis en avril 2002 par l’armée de Sharon dont Najet garde des souvenirs terribles.
Une fille de Najet qui avait besoin d’une transplantation cardiaque est morte (à 13 ans) en 2013. L’Autorité palestinienne avait dit que payer pour cela, c’était "jeter de l’eau par la fenêtre". Le mari de Najet handicapé aurait besoin d’une prothèse. Là encore refus de payer pour qu’il soit soigné à l’étranger.
On comprend que la famille de Najet soit critique sur l’AP et sur l’état de la médecine palestinienne.
Dans le camp, un peu partout les effigies des "martyrs".
Parmi eux, un membre de la famille tué à 23 ans (juin 2015). Sur une autre photo, il est avec son équipe de football.

23 décembre - Jénine, Naplouse

D’abord une info privée qui nous semble significative : dans le camp de Jénine, la sœur de Najet qui nous hébergeait, a raconté cette histoire. Ils étaient très pauvres à leur arrivée. Ahlam est restée fiancée plus de trois ans. Et puis son nom est apparu sur une liste de bénéficiaires. L’Arabie Saoudite a payé son mariage, sa maison et les meubles. Il y a donc un saupoudrage d’argent qui arrive du Golfe en Palestine. Une goutte par rapport à ce qui pourrait être fait.

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Le centre d’activité des femmes du camp de Jénine

Le centre d’activité des femmes du camp de Jénine nous a beaucoup impressionné-e-s. il existe depuis 1998. Il a 297 membres et un bureau élu de 11 femmes, toutes bénévoles.
Les buts sont multiples : faire connaître aux femmes leurs droits. Les protéger ainsi que leurs enfants contre les violences familiales (hélas fréquentes), aider les femmes à réaliser leurs projets, améliorer leur situation économique, permettre aux familles pauvres d’avoir un petit salaire. Le centre organise des formations en couture, broderie, coiffure, artisanat, travail du bois. Il fait venir des médecins et des infirmières. Seules les formatrices sont rémunérées et le centre les choisit chez les chômeurs diplômés.
Parmi les élues du bureau, une femme est mère d’un prisonnier de 23 ans, en détention administrative à Meggido depuis plusieurs semaines. Son crime ? Etre membre du FPLP et avoir déployé un drapeau palestinien dans son université. Notre interlocutrice nous a décrit les fouilles humiliantes infligées aux familles qui viennent visiter un proche en prison.

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Enfants du camp de Jenine

La plus belle réalisation du centre, c’est leur action pour les enfants. Elles prennent en charge 30 enfants qui ont de gros problèmes : misère, malnutrition, absence de parents ou incapacité de ceux-ci à les éduquer pour cause de maladie par exemple... Le centre devient pendant plusieurs heures chaque jour la maison des enfants, un endroit où ils sont aimés, reconnus, socialisés et où ils mangent à leur faim. Et les progrès sont fantastiques.
Le financement du centre est actuellement assuré par l’AFPS après un passage de notre camarade François-Xavier Gilles (BDS-France et AFPS d’Albertville). Mais le financement va arriver à échéance. Comment continuer ? J’ai écrit à François-Xavier. Je suggère que l’UJFP participe à ce financement. Ce serait bien d’avoir les coordonnées du Philistin car il pourrait commercialiser les productions artisanales du centre.

Naplouse
Retour à "Project Hope" où Pierre était venu en 2008.
A cette épopque, la ville était encerclée par les check-points et régulièrement envahie par les troupes de l’occupant. Les internationaux présents ont joué un grand rôle car ils pouvaient franchir les check-points.
L’étau s’est desserré mais les affiches des martyrs de 2007-2008 sont omniprésentes.
Le souk est très animé. Rien à voir avec celui de Jérusalem désert (on vient d’apprendre l’attentat de la porte de Jaffa).
Il y a 4 camps de réfugiés à Naplouse, le plus important étant Balata (27000 hab).
Project hope assure avec une quarantaine de bénévoles des formations en langues (français, anglais), en art et informatique. Ils éditent notamment des bandes dessinées.
On aurait voulu rencontrer des militants politiques de Naplouse mais c’est fête (l’anniversaire de Mahomet). Reste un petit espoir pour demain.

24 décembre - Ramallah

Echec pour voir Neta Golan mais on ne désespère pas.

Le souk de Naplouse est incroyablement vivant avec un commerce (bouffe et vêtements) qui semble bien fonctionner. Sur le mont Gerizim (lieu saint des Samaritains), le palais d’un milliardaire palestinien ami d’Arafat domine la ville.

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A Ramallah, nouvelles constructions incessantes.

A Ramallah, les nouvelles constructions innombrables rendent la ville méconnaissable. Nous sommes hébergés par la famille d’un dentiste francophone que Brigitte a rencontré lors d’un voyage précédent. Il a eu un malaise cardiaque et on le verra à l’hôpital.
Sa fille est une jeune femme (26 ans) qui travaille dans des projets culturels. Pas de foulard, pas de mari. Elle nous explique qu’il y a 4 sortes de papiers pour les Palestiniens, selon qu’ils soient de Cisjordanie, de Jérusalem, de Gaza ou d’Israël. Elle va partir en Thaïlande avec deux copines. Il y a 3 statuts différents et c’est un véritable casses-tête, à commencer par le fait que les habitants de Cisjordanie ne peuvent pas passer par Ben Gourion. Elle connaît les animateurs du théâtre de la liberté. Elle pense que la culture joue un rôle dans la résistance palestinienne. Elle croit dans le BDS.
L’hôpital où nous allons dépend du gouvernement. Il a l’air de bien fonctionner, même s’il y a 3 malades par chambre. Rien à voir avec l’hôpital de Gaza où Pierre est allé il y a deux ans jour pour jour devant le cadavre de la petite Hala.
Notre interlocuteur est très en colère contre le Fatah et le Hamas. Il déplore que chacun défend des intérêts personnels qui ne sont pas ceux du peuple palestinien. Il pense que ni l’un ni l’autre ne sont pour l’unité. Il dénonce à la fois le manque de légitimité de Abbas, la comédie des négociations à laquelle il s’est livré pendant que la colonisation s’étendait. Il considère que le Hamas a un agenda qui vient de l’étranger (les frères musulmans). Sa conclusion : les deux gouvernements doivent dégager.
Sur l’opposition de gauche (le FPLP, Mustapha Barghouti), il regrette qu’ils ne soient pas plus audible. Sur Marwan Barghouti qu’il a connu avant son arrestation, il rappelle qu’il avait dit que jamais il n’accepterait un Palestinien arrivé sur un char américain et qu’il a accepté Abbas.
Notre interlocuteur dit qu’il y a plusieurs fronts : contre les deux gouvernements, pour la jeunesse en laquelle il a de l’espoir, pour le BDS. Il est pour un Etat unique laïque et démocratique mais est très inquiet sur l’état de la société israélienne. Elle dérive vers l’extrême droite et a peur d’une bombe démographique. Elle refuse toute idée d’égalité. C’est lui qui nous informe que, lors d’un mariage, des colons ont dansé sur l’image du bébé Dawabshé, tué par l’incendie criminel de sa maison.
Il est critique sur les attentats dont les auteurs ne réchappent pas.
Pour lui comme pour tous nos hôtes, la famille unie semble avoir un rôle très important, y compris pour résister.
Dans certains endroits de Ramallah, la police de l’Autorité est très visible

25 décembre - Bil’in

Il n’y a que 17 Km de Ramallah à Bil’in. Nous sommes accueillis par Abdalah Abou Rahma qui préside le comité populaire.
Ce comité s’est créé il y a 11ans. Il figure parmi une dizaine d’autres comités, certains tout aussi anciens, d’autres récents. Avec la construction de la colonie de Mod’in Ilit (55000 hab aujourd’hui), les Israéliens ont commencé à construire le mur en volant 58% des terres de ce village de 2000 hab.

Après le jugement de la cour israélienne, les villageois ont pu récupérer une partie des terres volées. Les Israéliens ont mis 4 ans à démonter l’ancien mur pour le reconstruire un plus loin. Il reste 25% des terres volées. Sur les terres récupérées, les villageois ont replanté des oliviers (beaucoup avaient été incendiés), installé l’électricité, une piscine, un jardin d’enfant ...

Pour la manifestation, notre hôte et un autre villageois ont un costume de père Noêl (on est le 25 décembre). Dans la manif, une trentaine de villageois, de nombreux enfants qui ont des frondes, une dizaine d’internationaux (dont un jeune de Chicago de JVP avec une pancarte "un autre juif pour la Palestine"). Une dizaine d’Israéliens dont Ilan Shalif, un vieil anarchiste que Pierre avait rencontré à Saint-Imier.
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Un militant de "Jewish voices for peace" à Bil’in

Les soldats sont à 100m. Ils sont sur le lieu de l’ancien mur, 1 Km avant le nouveau mur pour empêcher la manif de l’approcher. Les tirs de lacrymogènes démarrent sans sommation. Devant, notre "père Noël" harangue les soldats : "c’est mon pays, je suis non-violent". En face les soldats hurlent : "partez, c’est zone militaire interdite". Dans les oliviers, les enfants utilisent leurs frondes et les soldats nous arrosent de lacrymogènes. Ça faisait longtemps qu’on n’en avait pas respiré et c’est très désagréable, Certains villageois ont des masques.

Après la manif, Abdalah nous emmènera bien au-delà de l’endroit d’où les soldats nous canardaient. On découvre toute la zone reconquise, le mur avec ses graffitis et derrière, l’immense colonie religieuse de Mod’in Ilit.

En 11 ans de lutte, Bil’in a eu 200 emprisonnés (sur 2000 habitants) et deux morts. On verra la stèle à la mémoire de Pheel dont la mort est filmée dans "5 caméras brisées". En tout, les comités populaires (non-violents) ont eu une cinquantaine de morts. Notre hôte a passé un an et demi en prison. Il a été arrêté plusieurs fois puis relâché grâce à la vidéo. Les Israéliens ont forcé des gosses arrêtés à dire qu’Abdallah leur ordonnait de lancer des pierres. Les soldats ont débarqué chez lui. Il a pu s’enfuir mais les soldats ont brutalisé des voisins et tout cassé. Avec sa famille, il s’est réfugié à Ramallah (zone A). Les Israéliens ont donné l’ordre à la police palestinienne de se retirer et l’ont arrêté. Un autre habitant de Bil’in que Sarah connaissait (Bassem) a aussi connu la prison, notamment au moment de la naissance d’un de ses fils.

La cause de Bil’in a été popularisée partout. Abdallah a reçu à Genève le titre de "défenseur des droits humains". Au moment de la construction du mur début 2005, il y avait des manifestations quotidiennes et beaucoup de médias. Pour durer, il a fallu imaginer des modes d’action créatifs appuyés sur la traditionnelle manifestation du vendredi. Dès le début, le comité de Bil’in s’est adressé aux Internationaux et aux Israéliens (anticolonialistes) et cette coopération ne s’est jamais démentie.

De 2005 à 2013 se sont tenues à Bil’in des conférences annuelles des comités populaires. Le comité a reçu en 2007 une grande distinction, le prix Yasser Arafat.

Le comité coopère avec BDS. En particulier, il s’est attaqué à une chaine de magasins israéliens "Rami Levy" installés en bordure des colonies et vendant aussi aux Palestiniens.

Interrogé sur les jets de pierres, Abdallah dit que ça fait partie de la résistance non-violente et que, si on empêche les jeunes, on les perdra.

A côté du sapin de Béthléem, les comités populaires ont planté devant l’église de la nativité un "olivier de la solidarité" qui est en fait le corps mort d’un des plus gros oliviers déracinés par l’armée israélienne au cœur duquel ils ont planté une jeune pousse. Ils ont manifesté le jour de Noël, déguisés en Père Noël.

Il semble qu’à Bil’in, la mairie et le comité s’entendent bien. Un peu partout, un nouveau type de comités se crée intitulé "comités de protection". Ils patrouillent la nuit pour protéger les villageois contre les attaques des soldats et des colons. Ça rappelle le Bund contre les pogromistes.

Dans les villages, tous les leaders des partis politiques présents, sont représentés dans le comité populaire. Certains villageois de Bil’in ont été réticents au départ sur le comité et l’ont rejoint après la victoire obtenue (la récupération d’une partie des terres volées). Le mur traverse 140 villages mais il n’y a qu’une dizaine de comités qui ont tenu dans la durée.

Pour finir, Abdallah attend des internationaux le BDS, le soutien aux prisonniers et des voyages en Palestine pour témoigner, filmer, manifester. Il compte aussi sur des échanges permettant aux villageois de voyager et témoigner.

26 décembre - Béthléem

À l’AIC de Beit Sahour, nous sommes reçus par Nassar Ibrahim que Pierre et Sarah avaient déjà rencontré dans des voyages précédents. Son bureau est parlant : Lénine et Ghassan Kalafani, assassiné par les Israéliens en 1972, trônent en bonne place.

La discussion part très vite sur le Proche-Orient. Nassar a écrit un article sur le "terrorisme" qui est sur le site de l’AIC. "On ne peut pas séparer la politique de la France sur Palestine/Israël de l’ensemble de sa politique". Il pose la question de soutenir ou non la Palestine en terme d’intérêt.

Il dénonce avec une très grande virulence les interventions occidentales en Irak, en Syrie, en Libye dont la région continue à payer le prix. "De quel droit les Occidentaux vont nous dire quel chef d’État nous devons avoir ou ne pas avoir ?" "Sous Saddam Husseïn, il n’y avait pas de groupe terroriste en Irak". "J’ai vécu 25 ans en Syrie, un pays séculier. Il y avait l’école gratuite, l’assurance sociale, la sécurité alimentaire. Le pays n’avait pas de dette". "Vous (il parle de l’Occident) vous dites démocrate, mais vous êtes colonialiste." Il explique que le Proche-Orient paie des décisions prises par les Européens au début du 20ème siècle : fragmenter le Proche-Orient, empêcher toute unité, se le partager et il cite bien sûr les accords Sykes-Picot. La déclaration Balfour n’est qu’un élément de cette politique.

"La mémoire des gens est courte. L’Occident accepte la Palestine comme la terre promise des Juifs. Je peux accepter une terre promise mais je ne peux pas accepter un fait colonial". Il rappelle que dans la crise financière de 2008, nous avons payé le prix de cette crise. Et nous paierons le prix de la politique des interventions militaires occidentales. La politique israélienne mène à l’holocauste : "comment peuvent-ils penser que le monde arabe acceptera cela éternellement ?" L’Occident soutient Israël car il connaît le rôle de ce pays pour soutenir ses intérêts. Nassar dénonce avec force les États du Golfe qui sont les alliés de l’Occident et qui ont fabriqué la situation actuelle. Les impérialistes ont besoin d’ États à leur botte.

"Je ne demande pas à l’Europe de définir ma société. Je le ferai tout seul. Ne nous donnez pas de leçon, laissez les gens décider !"

La situation palestinienne est totalement liée à celle du Proche-Orient. Israël n’est pas seul. Nassar est critique sur l’OLP qui a des liens économiques avec Israël. Les partis politiques palestiniens disent "on ne peut pas avancer car on sera pas suivi". "Mais si vous pensez que les gens ne peuvent pas changer d’avis , alors un parti ne sert à rien. Sans leader et sans idée, il ne peut pas y avoir de mouvement. Les gens ordinaires sont en train de lutter. Vivre ici, c’est résister".

Les partis qui sont rentrés dans l’Autorité palestinienne ont perdu leur rôle. Il faut en reconstruire hors de l’AP. Il faut orienter l’Intifada des jeunes qui sont prêts à mourir.

Les Palestiniens maintiennent le front ouvert. Mais faire face à l’impérialisme en marche, c’est le travail de tout le monde, les Palestiniens ne s’en sortiront pas seuls. Actuellement, parce que c’est leur intérêt, les pays du Golfe soutiennent Israël.

Nassar combat l’idée qu’il faudrait dissocier la Palestine du monde arabe. La crise palestinienne et celle du monde arabe sont totalement liées. Nassar évoque une nation arabe, berceau de la civilisation, troisième nation après la Chine et l’Inde que l’Occident s’est acharné à diviser en créant des États et en créant la séparation dans le coeur des Arabes.

Pour finir, Nassar évoque l’organisation prochaine d’une "mission" AIC très politique. Environ 15 personnes avec des journées alternant conférences et visites politiques. Durée 1 semaine. Compter 500 à 600 euros hors voyage (voir le site alternativenews.org).
L’AIC manque de ressources financières, les donations sont les bienvenues.

A Béthléem, sur la place de la mangeoire devant l’église de la Nativité, on repère "l’olivier de la solidarité". Il est décoré avec au sol une étoile construite avec des grenades lacrymogènes. Nous entamons la discussion avec Ahmad, du camp d’Aïda : "nous sommes prêts à avoir froid et faim. Nous ne demandons pas assistance, nous résistons". Le camp refuse de payer l’eau et l’électricité. Pourquoi payer des taxes quand on ne reçoit rien en retour ? Ahmad nous demande d’amplifier le BDS.

27 décembre - Al Mas’ara

C’est un petit village de 1000 habitants à quelques Km de Béthléem. Sur la route, on est dévié par une route coupée (par l’armée). On passe au pied du mont Hérodion (mausolée du roi Hérode dominant le désert de Judée et devenu parc national israélien). On frôle la colonie de Tekoa (où vit Lieberman) et celle de Nigdim (où ont été relogés les colons de Gaza). On était venu ici avec la 166ème mission. C’est Mahmoud qui nous avait fait visiter le village où se trouve un des comités populaires. Mahmoud n’est plus là (il est depuis 8 mois en Angleterre pour finir une thèse en droit international) mais on est logé dans sa famille.
D’Al Mas’ara, on voit de nombreuses colonies : Efrat, Gilo, Tekoa et on réalise comment Bethléem est encerclé. Ici on est en zone rurale. La plupart des femmes sont diplômées mais il n’y a pas de travail pour elles. Elles sont dans les champs, font de l’artisanat et élèvent de nombreuses familles.
H qui nous fait visiter le village est professeur d’histoire à Beit Fajar à quelques Km de là. L’école a vécu des moments dramatiques : deux enfants de son école ont été tués. Un bébé de 8 mois a succombé aux gaz lacrymogènes. "Tous les jours, les jeunes veulent en découdre avec les Israéliens. Il n’y a pas de différence entre garçons et filles. Les femmes s’habillent comme les hommes pour combattre. Les jeunes ne font plus attention dans les manifestations, ils n’ont plus rien à perdre. Les familles sont pauvres, pourquoi vivre ?" Il y a une difficulté à enseigner depuis quelques années et une nette perte de concentration.

Un conducteur de bus a été arrêté à un check-point volant. alors qu’il avait les mains sur la tête, il a été frappé et blessé.
H qui est doux, tolérant, non-violent a fait deux ans de prison (2007-2009) parce que les Israéliens n’aimaient pas l’histoire qu’il enseignait. Son arrestation a été violente, ils ont tout cassé chez lui et pendant 3 mois, sa femme ne savait pas où il était. Il a tenu le coup en pensant à sa famille.
Il lui arrive d’être arrêté une heure ou deux à un check-point. Le harcèlement est de plus en plus présent. Parfois, les soldats glissent un couteau dans les affaires de ceux qui sont contrôlés pour les arrêter.
Nos hôtes sont formels : le droit à la résistance fait partie du droit international. Avoir un couteau n’est pas un délit.
Après la tuerie du 13 novembre à Paris, les élèves de l’école ont défilé avec des drapeaux palestiniens et français.
Quand on interroge H sur l’avenir, les critiques fusent sur l’Autorité palestinienne qui ne veut pas rompre avec Israël.

Nous évoquons un projet concret de jumelage du collège de H et d’un collège français. Le projet semble réalisable, H y tient beaucoup.
Dans la visite du village, nous voyons la grotte où un dirigeant palestinien, Abdelkader Husseini, blessé en 1947, a été soigné. Il sera tué par les Israéliens l’année suivante.
Le village est à cheval sur les zones B et C. Les hommes qui ont du travail ont des salaires très faibles, ils complètent souvent en travaillant la terre. Dans un village voisin, il n’y a pas le mur et la colonie commence de l’autre côté de la rue.
Béthléem est en zone A mais le campus de l’université payé par la coopération internationale est en zone C et a été fermé.
Il y a un Palestinien riche dans la région, il possède une usine de pierres pour la construction.
Il y a actuellement 20 prisonniers à Al Mas’ara (pour 1000 hab) dont un condamné à la prison à vie.

Dans une autre famille, nous aurons une discussion assez représentative : notre hôte pense qu’il n’y a aucun problème entre musulmans et chrétiens, que le Saint-Sépulcre est aussi un lieu saint pour lui. Par contre, pas question de vivre avec les Juifs, ils doivent partir, la Palestine est "notre"’ terre. H n’est pas d’accord. Pour lui, il faut en finir avec l’occupation et ce gouvernement israélien mais il n’a rien contre les Juifs. Notre hôte été assez scotché en découvrant que Pierre était juif. Il a salué chaleureusement notre présence.
En même temps, nous apprendrons qu’un Israélien anticolonialiste connu a aidé à poser des canalisations dans le village. Il faut dire qu’à plusieurs reprises l’été, les Israéliens ont coupé l’eau (une fois pendant 4 mois) pour la réserver aux colons. Le village a été sauvé par son puits.
Nous visitons le centre culturel du village avec son nouveau jardin d’enfant. Il permet aussi de réunir les familles.
Nous arrivons chez J, responsable du comité populaire. Il nous explique qu’au-delà du comité local, il y a une coordination des principaux villages en lutte qui se réunit à Ramallah. Ce n’est pas toujours la même personne du village qui va à la coordination.
Jusqu’à présent, les manifestations étaient calmes mais maintenant les colons attaquent. Parfois la manifestation se délocalise à Béthléem. Une fois, une balle a frôlé le visage de J. C’est un colon qui, tout en roulant avait ouvert le feu sur une manifestation. Personne ne juge ces criminels que le gouvernement israélien a armés.
La discussion vient sur les Palestiniens qui profitent de l’occupation parce qu’ils commercent avec les Israéliens ou parce qu’ils trafiquent. Le fait d’être un mouchard devient une fierté. L’occupation gangrène la société.

Après deux Intifadas, les gens ont perdu espoir. Le centre culturel permet de retisser des liens. Les manifestations partent de là. Le village a un projet touristique pour que les visiteurs découvrent aussi les colonies. Les manifestations hebdomadaires continuent, c’est indispensable.
J pense que le gouvernement israélien a échoué dans sa promesse d’apporter la sécurité d’autant que c’est à Jérusalem que les attaques se passent. Il espère beaucoup du BDS et est au courant de tous ses nouveaux succès. Il conclue que les Israéliens perdent leur humanité.
source : site de l’Union Juive Pour la Paix - http://www.ujfp.org