Dans le camp de Nahr el-Bared, la détresse des Palestiniens

mardi 23 janvier 2018

Les Etats-Unis ont mis à exécution leur menace de réduire leur aide à l’office onusien chargé de l’aide aux réfugiés palestiniens. Un coup de massue pour une population démunie au bord du désespoir.

Dans un îlot d’immeubles reconstruits près du front de mer, l’appartement où vit Omar Nabi a beau être neuf, la peinture pèle sur les murs. Deux fois diplômé, ce père de famille est revenu malgré lui à Nahr el-Bared, dans le nord du Liban, il y a quatre ans. Il avait choisi l’exil après la transformation de ce camp palestinien en champ de ruines lors des violents combats de 2007 entre l’armée libanaise et un groupuscule extrémiste, Fatah al-Islam, inspiré idéologiquement d’Al-Qaida.

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Depuis son retour, il cherche désespérément un emploi : « Notre camp était le mieux loti de tous au Liban, avant la guerre de 2007, les commerces étaient prospères. L’économie a été mise à plat et ne s’est jamais relevée. Les jeunes sont désœuvrés. » Seule la moitié du camp a été reconstruite, plus de dix ans après les affrontements.

Menace mise à exécution

Comme si ces malheurs ne suffisaient pas, de nouvelles souffrances se profilent pour Nahr el-Bared. L’administration Trump a mis à exécution, mardi, sa menace de couper l’aide aux Palestiniens. Les Etats-Unis ont gelé plus de la moitié de leur premier versement annuel à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), déjà à court d’argent. Seuls 60 millions de dollars parviennent ainsi à l’UNRWA, au lieu des 125 millions de dollars attendus.

Principal bailleur de l’agence, Washington réclame de « revoir en profondeur la manière dont l’UNRWA fonctionne ». Mais ce gel apparaît aussi comme une punition envers l’Autorité palestinienne, qui rejette la poursuite d’une médiation américaine dans le conflit israélo-palestinien depuis la reconnaissance unilatérale par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël.

Ambiance électrique

Ces coupes risquent d’être un coup de massue de plus pour des réfugiés démunis, qui se sentent déjà devenus invisibles aux yeux de la communauté internationale, accaparée par les autres crises du Proche-Orient. Malgré plusieurs années de difficultés financières, qui l’ont contraint à diminuer ses aides, l’UNRWA reste un socle pour les Palestiniens. « Il est le témoin de l’expulsion de nos aînés de Palestine et de notre droit au retour », ajoute Omar Nabi, le jeune chômeur.

A Nahr el-Bared, l’ambiance est électrique. Le fiasco de la reconstruction a plongé les habitants dans la précarité et nourri les frustrations. Au fil des ans, l’école Gaza, l’un des établissements administrés par l’agence onusienne, a été plusieurs fois la scène de manifestations de réfugiés, dénonçant la réduction des services et la lenteur des chantiers.

Des baraques insalubres

Dans la cour de récréation, les peintures murales et les jeux des enfants cachent mal le manque de ressources : la classe s’y fait dans un bâtiment en préfabriqué et dans des salles bondées. « Des coupes supplémentaires dégraderaient les conditions d’apprentissage, s’alarme un spécialiste de l’éducation. Les enfants subissent déjà beaucoup d’instabilité chez eux : après 2007, le chômage a explosé, la pauvreté aussi. »

Certains élèves ont longtemps habité dans des préfabriqués. Prévues pour héberger pendant deux ans des familles sans toit, ces baraques installées près du camp sont toujours là. Elles sont devenues insalubres. Quelques centaines de personnes y vivent, les plus pauvres. Dans une allée, du linge sèche, l’odeur des latrines est oppressante. Benafsaj Saïd, 52 ans, et sa mère, une septuagénaire aux jambes malades cachées par une couverture, survivent dans quelques mètres carrés. « On vit dans la promiscuité, la puanteur, le bruit, sans eau potable », se plaint Benafsaj Saïd, convaincue de devoir son asthme à l’hygiène déplorable de ce lieu où même les rats s’invitent.

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Leur calvaire dans les préfabriqués pourrait prendre fin « d’ici à cinq mois » si leur ancienne maison est achevée. Mais faut-il y croire ? Les travaux dans le camp auraient dû prendre fin, selon des vœux pieux, en 2011 ou 2012. Or, pour de multiples raisons, les retards se sont accumulés. Le principal obstacle, aujourd’hui, tient au manque crucial de fonds.

« Capitale de la Palestine »

A peine plus de la moitié des 21 000 habitants qui ont choisi de revenir à Nahr el-Bared ont été relogés dans des immeubles neufs, colorés et bas. Les autres attendent, sans plus d’aide au logement. Les ruelles étroites, caractéristiques des camps palestiniens au Liban, ont disparu. Cela signifie plus de lumière et moins d’humidité dans les maisons. « Ce n’est pas pour notre bien-être que les rues ont été élargies, mais pour permettre aux chars de l’armée de pénétrer en cas de tensions. A cause de cela, la taille des appartements a été réduite », déplore toutefois Khaled, un habitant.

Des affiches sur lesquelles est inscrit « Jérusalem, capitale de la Palestine » ont été placardées près de commerces modestes qui tournent au ralenti sur l’axe principal. Des checkpoints militaires bloquent les entrées de Nahr el-Bared, le seul camp au Liban où l’armée est autorisée, depuis 2007, à pénétrer. Et les contraintes imposées aux non-Palestiniens pour y accéder ont fait fuir les anciens clients de ce marché jadis fréquenté, situé sur la route vers la Syrie. Le camp bordé par la mer n’est plus que l’ombre de lui-même.

Montée de la drogue et du chômage

La reconstruction, à laquelle Washington a contribué, pourrait au mieux prendre fin vers 2020. Si le gel des dons est maintenu, le processus ne devrait cependant pas être affecté par les mesures américaines. Mais les services, déjà en baisse, risquent de diminuer encore. « L’enjeu à Nahr el-Bared n’est pas seulement de rebâtir des maisons, mais aussi l’économie et la société. Il y a beaucoup d’agressivité aujourd’hui », explique Mouna al-Assi, une réfugiée.

Dans leur bureau, les représentants du comité populaire qui rassemble une dizaine de factions palestiniennes s’alarment de la montée de la drogue et du chômage parmi les jeunes. « Si une nouvelle baisse de l’aide de l’UNRWA a lieu, cela contribuera à unir les rangs et provoquera peut-être une nouvelle Intifada en Palestine, prophétise l’un des leaders locaux. Et, sur le plan social, ce sera catastrophique. »

Source : le temps - Laure Stephan (Le Monde), envoyée spéciale à Nahr el-Bared

[*Voir un très beau documentaire*] (Quartiers Libres)

Dix millions de Palestiniens. Presque cinq millions sont des réfugiés. Et la moitié vit toujours dans les camps. C’est au Liban que les réfugiés palestiniens survivent dans les pires conditions.
Nous sommes allés dans les camps de Chatila, Borj Al Barajneh, Marelias, Nahr Al Bared, Badawi, Ain El Hilweh et Rachidiya. Partout la même pauvreté, la même surpopulation, les étroites ruelles, les fils électriques branchés les uns sur les autres, les ateliers pour les petits boulots… mais partout aussi la même volonté inébranlable de retourner dans leur pays, la Palestine.

[*Ecouter sur Radio Galère :*]
* l’émission du 10 janvier 2018 : les Palestiniens de Jordanie,une émission passionnante sur un sujet peu abordé, alors qu’il y a 2,5 millions de réfugiés palestiniens en Jordanie, dont 17% vivent dans 13 camps. Cette émission nous a remis l’histoire en mémoire, en particulier les évènements dramatiques de septembre noir en 1970.
* l’émission du 6 décembre : une émission spéciale sur les palestiniens syriens réfugiés dans les camps au Liban