En Suède, deux retraités palestiniens tentent de se reconstruire et "vivre en paix"

mardi 8 août 2017

En 2014, alors que la guerre en Syrie fait rage, Fathi et Hind, deux retraités de 70 ans n’ont pas eu d’autre choix que de quitter le pays. Aujourd’hui installé en Suède, le couple tente de se reconstruire dans la petite ville de Motala.

Lorsqu’on arrive dans leur appartement de la banlieue de Motala, une petite ville suédoise de 30 000 habitants à 200 km au sud de Stockholm, Fathi et Hind sont scotchés devant la télévision. Les images de la guerre en Syrie tournent en boucle. L’anxiété peut se lire sur leurs visages.

JPEG - 118.5 ko Fathi et Hind ont fui Damas en 2014. Crédit : Leslie Carretero
Respectivement âgés de 74 et 70 ans, ces retraités ont été contraints de fuir le pays en 2014. "On a tout fait pour rester. On voulait montrer qu’on ne fuyait pas mais c’était devenu impossible de vivre dans ces conditions", regrette Hind, des sanglots dans la voix.

A l’évocation de sa vie passée en Syrie, cette mère de cinq enfants et plusieurs fois grand-mère, est submergée par l’émotion. Malgré ses efforts pour les retenir, les larmes coulent sur le visage de cette femme coquette, habillée d’une longue robe noire clairsemée de motifs rouges. Son époux lui, lunettes aux verres fumés sur le nez, essaye tant bien que mal de garder la face. La peine est trop forte. En quelques phrases, ils résument la situation : ils ont tout perdu, traversé des étapes très douloureuses, et doivent aujourd’hui, à un âge avancé, reconstruire une nouvelle vie en Suède.

Une vie paisible en Syrie

Quand la guerre débute en 2011, Fathi et Hind vivent une retraite paisible dans le quartier palestinien de Yarmouk, dans la banlieue de Damas. Tous deux sont originaires de Palestine : leurs parents ont eux aussi avaient dû fuir leur terre en 1948. " On vu nos parents pleurer la Palestine, aujourd’hui nous pleurons la Syrie. L’histoire se répète ", dit avec désarroi Fathi. Sa femme, perdue dans ses pensées, approuve d’un signe de la tête.

Lui a combattu au sein de l’armée syrienne dans les années 70 – le service militaire étant obligatoire en Syrie. Après trois ans de bons et loyaux services et une blessure à la jambe, Fathi retrouve son métier de professeur de sciences sociales dans une école publique de Damas. Hind, elle, s’occupe de leurs enfants. A la retraite, celui qui ne peut s’empêcher d’être actif, écrit des livres sur la guerre au Liban, en Irak et à Gaza. Il couche aussi sur papier son histoire personnelle.

A Damas, les explosions retentissaient sous nos fenêtres

En 2012, lors d’un voyage au Liban pour rendre visite à une de leurs filles, le couple apprend que le camp de Yarmouk a été bombardé et que leur appartement a été détruit. "On a eu de la chance d’être au Liban à ce moment-là, sinon nous serions sûrement morts", relève Hind d’un ton fataliste. Malgré la guerre syrienne qui fait rage, les retraités n’imaginent pas rester au Liban. Ils décident donc de rentrer dans la région de Damas et louent un logement. Les mois passent et le conflit s’intensifie, les prix en ville commencent à flamber et la situation dans la capitale se dégrade. D’un signe de la main mimant des bombes qui s’écrasent au sol, Hind raconte qu’ils ont plusieurs fois frôlé la mort : "La vie à Damas était devenue un enfer, les explosions étaient quotidiennes et retentissaient sous nos fenêtres. On n’a pas eu d’autre choix que de s’enfuir le 30 septembre 2014". Leurs enfants, eux, étaient déjà partis plusieurs années auparavant.

En voiture, le couple se dirige alors vers la frontière turque. Sur la route, ils sont contraints de traverser des territoires contrôlés par l’organisation Etat islamique (EI). "On a eu très peur mais les soldats de l’EI nous ont laissé passer sans difficultés", raconte Fathi. Au bout de 24 heures, ils atteignent enfin la frontière avec la Turquie. Arrivés à Bodrum, au sud-ouest du pays, les retraités embarquent dans un canot pneumatique avec une quarantaine de personnes. "C’était la nuit, la mer était très agitée et nous étions trop nombreux pour un si petit bateau. Nous pensions que notre vie s’arrêterait là", dit Fathi. Hind renchérit, tout en touchant continuellement les bagues fixées sur ses doigts : "Le voyage était très dur. A notre âge, nous ne devrions pas avoir à vivre ce genre d’épreuves".

"Vivre en paix"

En Grèce, munis de faux passeports italiens fournis par un passeur, les retraités s’envolent vers Motala, en Suède, où une de leur fille s’est réfugiée au début de la guerre. "Les Suédois nous ont accueillis avec humanité et compassion mais l’adaptation est difficile", précise avec douceur Hind. En Syrie, avant la guerre, le couple était entouré de leurs enfants, petits-enfants et nombreux amis. A Motala, seule une de leur fille vit à leurs côtés. Un changement de vie radical.

Aujourd’hui, plus uni que jamais, le couple vit tant bien que mal grâce aux aides de l’État – 4500 couronnes suédoises par mois et par personne (environ 470 euros). Il leur est impossible de retourner travailler.

Fathi et Hind n’imaginent plus un retour en Syrie. Ils estiment que la vie là-bas ne sera plus jamais la même. "On a perdu tellement d’amis et de membres de notre famille à cause de la guerre. Nos vies ont été détruites. Le pays tel qu’il est aujourd’hui n’est pas celui qu’on a connu. Ce n’est plus chez nous là-bas", dit avec émotion Fathi. Sur cette nouvelle terre qui les a accueillis, ils n’aspirent qu’à une chose : "oublier ce qu’on a vécu et vivre en paix".

source : Infomigrants