Gaza, de la Marche du retour à l’Etat unique

mardi 24 juillet 2018

Avec les manifestations pacifiques le long de la frontière qui sépare Gaza d’Israël, les Palestiniens sont en passe de réussir une couteuse mais efficace campagne de communication. Alors qu’Israël réagit de manière disproportionnée et fait usage d’armes prohibées, se précise l’objectif à long terme d’un Etat unique et démocratique sur l’ensemble de la Palestine.
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Liban, 1992

Il y a 25 ans, le 15 décembre 1992, Itzhak Rabin déportait au Sud Liban 400 sympathisants du Hamas et du Jihad islamique. Le Premier ministre pensait ainsi éloigner définitivement les plus fermes opposants aux futurs accords d’Oslo dont les négociations secrètes venaient de commencer. Mais les déportés refusaient d’entrer au Liban et s’installaient tant bien que mal à quelque distance en contrebas du dernier check point israélien (Israël occupait alors le Sud Liban). Désormais chaque semaine les déportés allaient s’ébranler symboliquement en « Marches du retour » depuis leur camps de toile vers la frontière, manifestant pacifiquement la volonté des Palestiniens de revenir sur leur terre. Ils essuyaient alors des tirs des soldats israéliens, l’un eut le visage emporté. Mais, bien avant l’heure d’internet, les images de leur détresse faisaient un « buzz » mondial, l’illégalité de leur expulsion était clamée par l’ONU. Neuf mois plus tard Israël cédait et les déportés rentraient chez eux.

Les Marches du retour, version 2018

En 2018, les déportés, les assiégés, ne sont pas quatre cent, mais près de deux millions. Sans drapeaux partisans et sans armes, ils manifestent dans un espace vital pour eux : la zone frontalière sur laquelle Israël s’arroge le droit de vie et de mort ; un kilomètre de large sur quarante kilomètres de long, et qui correspond aux dernières terres agricoles de l’enclave. En déclarant ce territoire « zone tampon », ce sont trois mille hectares de terres agricoles sur laquelle Israël tire à vue. Au cours de l’année 2017, vingt-cinq Palestiniens ont été les cibles. Et voilà que ce ne sont plus de jeunes agriculteurs qui sont là, mais des familles entières, hommes femmes et enfants, des poussettes. Tous les vendredis, après l’heure de la prière, on piquenique en famille. Du nord au sud de la Bande de Gaza, cinq villages de tentes sont dressés avec des stands, des buvettes, des falafels, des podiums. Pour un de mes amis Francilien : « C’est la fête de l’Humanité avec beaucoup plus de monde » !

Israël aggrave son cas

Mais voilà que des jeunes s’approchent de la barrière, cette fois-ci sous les yeux du monde entier. Des centaines de portables diffusent en direct les images. Une fois de plus Israël réagit de la pire des façons, blesse et tue sans honte : « Nous savons où va chaque balle ». Mais en face une autre défense est organisée, non violente celle-là. Sur le terrain, dans les postes de secours, les ambulances, à l’entrée des services d’urgences des hôpitaux, dans les blocs opératoires, c’est toute une escouade formée au recueil de preuves médicolégales qui s’active sans relâche. En décembre dernier Ibrahim Abu Thuraya, handicapé amputé des deux jambes, a été tué d’une balle en plein front. Mais les témoins ont témoigné, les films sont là, et la balle extraite du crane est bien israélienne.

Au soir du premier vendredi des Marches du retour, qui a fait 17 morts, ce sont plus de deux cent mandats des familles qui ont été recueillis et abondent les signalements déjà parvenus à la Cour pénale internationale. A tel point que la Procureure, fait totalement inédit dans l’histoire de la Cour, a fait savoir publiquement que ces actes « étaient susceptibles de relever de sa compétence ». Mais les soldats israéliens n’utilisent pas seulement les fines balles qui transpercent des enfants ou des journalistes. Je peux en témoigner.

J’ai opéré à l’hôpital Shifa, le principal hôpital de la Bande de Gaza, du 8 au 15 avril. Les soldats israéliens utilisent aussi les « soft-nose bullets », ces balles à effet explosif qui font éclater les os, transforment en une bouillie sanglante l’intérieur des cranes, broient les corps en y laissant des cratères où l’on peut passer le poing. Et ils utilisent aussi les gaz. Des attaques chimiques comme celles, simultanée sur le nord et le sud de la Bande de Gaza qui ont laissé au sol des dizaines de blessés inconscients et agités de convulsions pendant de longues minutes. Des convulsions qui se reproduisent régulièrement chez les victimes hospitalisées dans les services de soins intensifs. Des gaz neurotoxiques. D’autres gaz, de couleur différente, produisent vomissements et diarrhées sanglantes. A la Cour, le dossier israélien pèse de plus en plus lourd.

Les commentaires habituellement lisses des médias occidentaux commencent à se fissurer. Certes persistent quelques rapports « équilibrés », présentant à égalité oppresseur et victime. On évoque le pathétique ou le dérisoire à la vue de ces jeunes qui jouent avec leur vie sans objectif réaliste, ou qui seraient « manipulés par le Hamas ». On se désole de ces images de violence qui se répandent sur internet et ne constitueraient que d’autres appels à la violence. Mais n’est-ce pas justement parce que la réaction israélienne provoque des morts qu’on en parle ? Quelle relation as-t-on fait des centaines de milliers de Gazaouis qui manifestent régulièrement contre siège ? Evoque-t-on la misère massive qui s’est abattue sur Gaza sans eau potable ni électricité ? Sont-ce les Palestiniens qui ont besoin de martyrs, ou les médias occidentaux qui ont besoin d’images de sang et de morts pour animer la Une ? Alors quelques journalistes occidentaux, très peu, s’enhardissent à se glisser dans la Bande de Gaza. Et voilà même que le discours de tel ou tel responsable politique du parti diabolisé, le Hamas, se retrouve sur nos ondes aux heures de grande écoute. Avec quelle revendication ? Un objectif à long terme qu’il est bien difficile d’argumenter en contre : un Etat unique sur toute la Palestine, où tous jouiraient des mêmes droits : juifs, chrétiens et musulmans. Mais combien de Marches d’ici là ?

Docteur Christophe Oberlin
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Blog Médiapart - 22 avril 2018

[*le terrifiant bilan au 21 mai 2018*]
Le ministère palestinien de la Santé à Gaza a publié un nouveau rapport dimanche soir, concernant le dernier bilan des attaques menées par les soldats de l’occupation
contre des civils participant à la grande marche pacifique du retour depuis le 30 mars dans l’est de la bande de Gaza.
Le porte-parole du ministère Ashraf al-Qadra a précisé dans un communiqué publié dimanche soir, que le dernier bilan s’élève à 112 morts dont 13 enfants de moins de 18 ans et 13190 blessés
dont 2096 enfants et 1029 femmes qui se composent de la façon suivante :
7 618 blessés par balles, dont 332 sont atteints de blessures graves, 3422 de blessures moyennes et 9436 de blessures mineures.
5572 par inhalation de gaz toxique.

Les blessures ont été réparties comme suit :
502 dans la tête et le cou,
283 dans la poitrine et le dos,
325 dans l’abdomen et le bassin,
938 dans les membres supérieurs,
325 dans les membres inférieurs,
1117 à plusieurs endroits du corps.
Il a parlé aussi de 32 cas d’amputations de membres : un dans les membres supérieurs, 27 dans les membres inférieurs, et 4 dans les doigts de la main.
Le ministère a précisé que les attaques menées par les forces d’occupation israéliennes visant délibérément le personnel médical de la défense civile ont fait 1 mort et 223 blessés par balles et par l’inhalation de gaz toxique, tandis que 37 ambulances ont été partiellement endommagées.


Notre article du 27 août 2017

Paris : l’émouvante mission des chirurgiens de la main à Gaza

Le professeur Oberlin, chirurgien orthopédiste, et son équipe viennent de rentrer de leur mission bénévole à l’hôpital Shifa de Gaza. En une semaine, ils ont réalisé 18 opérations.

« La première fois que je suis entré à Gaza, l’électricité était coupée. C’était en décembre 2001, nous avions traversé Israël illuminé et en arrivant sur le territoire Palestinien, c’était le noir total. » Quelques jours après son retour de mission à Gaza où il a pratiqué, avec son équipe, 18 opérations chirurgicales extrêmement minutieuses, le professeur Christophe Oberlin, pratiquant à la Clinique Mont Louis (XIe) et enseignant à l’université Paris VII, se remémore les impressions de son premier voyage, il y a 15 ans. Les conditions archaïques de l’époque n’avaient pas découragé ce médecin déjà très expérimenté. Lui, qui se considère comme « médecin du monde », a passé sa carrière à s’engager dans des programmes de bénévolat notamment en Algérie où il a participé à la formation de plusieurs chirurgiens. Là-bas, il a appris à faire avec ce qu’il avait sous la main, et seul. « J’ai vu des patients arriver sur leurs pieds, monter sur ma table et mourir. Vous imaginez le niveau d’épuisement ? »
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Quand Marcel-Francis Kahn, rhumatologue, lui propose en 2001 de lancer un programme de formation et d’opération à Gaza, il n’hésite pas. Depuis, il se rend trois fois par an sur cette terre enclavée entre l’Egypte et Israël. Sa 30e mission organisée par PCRF (le fonds d’aide pour les enfants de Palestine), s’est achevée le 6 juillet. Au total, 12 enfants et 6 adultes ont subi une chirurgie. Là-bas, le professeur Oberlin, accompagné de Christophe Denantes, anesthésiologiste, et de Paulette Fauché, infirmière de 85 ans infatigable, accomplissent trois types d’opérations, toujours concernant des paralysies : celles des membres inférieur et supérieur et les paralysies obstétricales.

Le chirurgien à de nombreux souvenirs en Palestine. Comme cette fille de 6 ans, victime d’un attentat, qui est arrivée gravement blessée dans son service en 2004. De multiples fractures, un coude luxé… Traumatisée par un bras devenu difforme, la fillette s’était complètement renfermée sur elle-même. « Après trois opérations, on a réussi à rendre ce bras esthétique, c’est très important là-bas car c’est ce qui fait qu’elle se mariera. Plus tard je l’ai revue, elle était transformée, son visage souriait à nouveau. C’est la plus belle reconnaissance pour moi. »

En 15 ans de mission à Gaza, le médecin bénévole a opéré près de mille patients.

Aide indispensable les premières années, il constate l’amélioration de la prise en charge médicale : « Maintenant, ils ont leurs propres spécialistes ! Avant, ils venaient de Russie, du Kirghizistan, avec une formation aléatoire… Désormais, les médecins sont très bien formés. » Les conditions de travail se sont également améliorées. Le médecin explique qu’il opère à Paris dans les mêmes conditions de personnel, de sérieux et d’hygiène qu’à Gaza : « Evidemment, c’est un peu plus rustique… »

En sortant de l’hôpital, tout est différent. Le médecin bénévole décrit les terribles problèmes d’électricité et d’eau insalubre qui touchent les Gazaouis. Sans compter la pollution inimaginable et la misère effroyable qui touche la population. A son niveau, l’équipe de médecins apporte son aide à la ville de Gaza. Et les trois compères ont déjà rendez-vous en décembre pour mener de nouvelles opérations.
source : leparisien.fr