Gaza, une ville enfermée mais une ville qui impressionne !

lundi 25 novembre 2019

Il est difficile pour un observateur étranger de comprendre la situation actuelle dans la bande de Gaza, une région en souffrance permanente, mais une région qui continue à s’accrocher à la vie malgré tout.

Souvent les médias étrangers parlent de la bande de Gaza comme d’une région liée à la violence, aux bombardements, aux morts, aux blessés, aux roquettes, à la division, et récemment, à la marche du retour. Mais ils évoquent rarement la vie à Gaza et la volonté de sa population civile.

Gaza, une ville enfermée mais une ville qui impressionne !

Ce territoire de 41 kms de long sur la côte orientale de la mer Méditerranée, d’une largeur de 6 à 12 kms et d’une superficie de 365 km², souffre depuis plus de treize ans d’un blocus israélien mortel. Et pourtant ses deux millions d’habitants existent et persistent. Ils vivent !

En plus du blocus israélien inhumain qui paralyse la vie économique et sociale, la population civile de cette région enfermée subit au quotidien des agressions, des incursions et des bombardements israéliens.

Malgré l’absence de perspectives pour les Palestiniens de Gaza, du fait notamment de la conjoncture actuelle, et malgré le silence complice d’un monde officiel muet, ces Palestiniens donnent à chaque instant une leçon de courage, de volonté et de détermination. Une leçon de vie qui mérite qu’on s’y arrête et qu’on valorise.

Oui, la bande de Gaza est devenue une prison à ciel ouvert. Oui, la situation est insupportable et injuste ! Cependant, elle impressionne le monde entier par sa résilience, sa capacité à vivre et à exister.

On constate souvent chez les habitants de Gaza un double sentiment : la population se sent abandonnée par la communauté internationale officielle, et en même temps elle se sait soutenue par des personnes solidaires de bonne volonté partout dans le monde.

Cette population n’a rien, et en même temps elle a tout.

A Gaza, il y a la pénurie mais personne ne meurt de faim.

En cette fin 2019, il y a toujours des maisons détruites ou endommagées par les bombardements israéliens, et non rebâties du fait de l’interdiction israélienne de faire entrer les matériaux de construction. Pourtant personne ne dort dans la rue.

A Gaza, le taux de chômage dépasse les 57%, et celui de la pauvreté est en augmentation constante, mais le niveau de criminalité est le plus bas au monde et le nombre de délinquants en diminution.

La bande de Gaza impressionne le monde par sa capacité de création. Dans cette région sous blocus, la société civile est non seulement très active, mais elle résiste contre les mesures de l’occupation et la division inter-palestinienne. Elle crée, elle a participé au développement de la résistance non-violente avec la naissance de la Marche du retour initiée le 30 mars 2018 et qui entre dans sa deuxième année. Une marche qui se poursuit malgré les pertes humaines et le bilan très lourd : plus de 320 morts et 32.000 blessés en dix-huit mois.

JPEG - 37.2 ko

Les Palestiniens de Gaza souffrent au quotidien, mais ils sont solidaires de leurs concitoyens et compatriotes de Jérusalem, de la Cisjordanie , des territoires de 1948 ; ils sont aussi solidaires du reste du monde via des manifestations et des rassemblements quand il y a des attentats, des incendies et autres catastrophes. Ils citent les noms de chaque événement dramatique dans leur pays ou dans le monde lors des marches du retour du vendredi.

Certes, la situation dans la bande de Gaza est catastrophique avec le blocus, le chômage, les difficultés et le manque de moyens, mais les habitants ne se plaignent pas. Il y a une vie, une détermination, une volonté. Et surtout une dignité. On trouve maints exemples de la résilience remarquable de cette population civile de Gaza qui espère et espère encore et toujours.

Gaza est une ville en mutation, en reconstruction permanente. Malgré le blocus et l’interdiction par les force d’occupation israéliennes de laisser entrer les matériaux de construction, on y voit partout des tours, des bâtiments, des immeubles.

Plus de 900 usines, ateliers, et entreprises sur les 1050 qui existaient avant 2014 ont été endommagés ou détruits totalement, surtout lors de l’offensive israélienne de 2014, et malgré cela, Gaza consomme ses produits et organise des expositions pour promouvoir les produits locaux.

A Gaza, ville moderne, on trouve tout : magasins, voitures récentes, boutiques modernes, grandes surfaces, banques, sociétés de communications, hôtels de luxe, cafés et restaurants branchés, chalets et résidences sur la plage, et centres commerciaux.

C’est à la fois une ville magnifique et triste, une ville contradictoire, avec des hôtels et des restaurants de luxe sur la côte, qui côtoient des camps de réfugiés avec ses habitations modestes et précaires. Et pourtant tout le monde vit !

A Gaza, il n’y a ni véritable port, ni aéroport, ni marchés financiers, mais c’est une ville merveilleuse par sa capacité à vivre, à créer, et à supporter l’insupportable.

Gaza voit chaque jour une partie de ses jeunes être tués ou blessés, parfois à vie, par les forces d’occupant. Elle sait qu’elle peut compter sur le courage de ces jeunes prêts à risquer leur vie et leur santé pour la patrie, et en même temps elle s’accroche à la vie !

C’est la seule ville au monde dont la population est continuellement frappée aussi durement dans toutes ses composantes : enfants, personnes âgées, handicapés, amputés, femmes, jeunes, intellectuels, ouvriers, sportifs, médecins, infirmiers, secouristes, journalistes, professeurs, étudiants, écoliers... Tous ses habitants sont certes prêts à mourir pour leur pays, mais ils adorent la vie !

JPEG - 40.2 ko

A Gaza, il y a de la création, de la culture, de l’art, une adaptation à un contexte dur.

A chaque seconde, des bébés naissent dans cette ville bombardée presque au quotidien et abandonnée du reste du monde.

Chaque jour, un nouveau magasin ouvre ses portes, et pourtant les frontières sont fermées.

Gaza est un phénomène, Gaza n’est plus une bande ou une région, ni une enclave encerclée, Gaza est devenue un continent. Oui, un continent !

JPEG - 37.8 ko

Un continent qui exporte le courage, la bravoure, la constance, la patience et la ténacité au monde entier.

Un continent, car chaque jour l’armée israélienne invente de nouvelles façons de tuer les Gazaouis. Mais ces derniers inventent à leur tour de multiples moyens et formes pour vivre et résister ; même les pneus sont utilisés dans la résistance, sans oublier les cerfs-volants, les pierres, et les drapeaux...

Les soldats israéliens font couler à chaque instant le sang palestinien et propagent la mort, mais les Palestiniens de Gaza font couler leur sueur qui propage la vie et l’espoir.

Gaza est plus grande qu’un pays, c’est une région dynamique et créatrice.

Si la Suisse a inventé les montres pour mesurer le temps, Gaza n’a pas besoin de montres, car c’est elle qui crée et gère le temps.

A Gaza, il y cinq saisons et non plus quatre ; la cinquième est la saison du blocus, créée et inventée par sa population, car treize ans de blocus israélien n’ont rien changé dans la détermination de cette population digne.

Des éléments forts caractérisent l’attitude de la population de Gaza :

La Solidarité : A Gaza, il y a une solidarité familiale et sociale remarquables ! Des personnes solidaires et des liens familiaux très forts, des actions de solidarité toujours et partout.
On ne laisse personne dormir dans la rue. Quand une famille est expulsée d’une maison car elle ne peut pas à payer son loyer, beaucoup d’autres familles viennent la recueillir pour l’héberger.

Pour information, le seul centre pour orphelins à Gaza abrite seulement 75 enfants, en majorité venus de Syrie, car à Gaza, les familles n’abandonnent jamais leurs enfants quelles que soient leurs difficultés économiques.
L’unique centre pour personnes âgées dans la bande de Gaza accueille seulement 40 personnes, qui sont là parce que leurs enfants ont été tués dans des attaques israéliennes. Car chez nous il est rare d’envoyer les parents dans de tels centres.

JPEG - 28.5 ko

La Générosité  : Dans cette région, il y a une générosité remarquable, une réelle entraide entre les familles et entre les habitants. Les personnes aisées essaient d’aider les pauvres selon leurs moyens. Les habitants sont très accueillants, ils n’ont rien, mais ils donnent et ils peuvent donner tout. Souvent pendant les fêtes et les autres occasions, des colis alimentaires sont distribués aux pauvres, des cartables et des fournitures scolaires aux élèves dans le besoin.

La Volonté : Il y a ici une volonté remarquable de vivre, de construire et de reconstruire. Les trois dernières offensives israéliennes ont provoqué des destructions massives, mais à Gaza la reconstruction est une priorité : beaucoup d’infrastructures civiles, d’écoles, de maisons, de routes, d’immeubles ont été reconstruits.

La Vitalité  : La vie continue à Gaza malgré une situation catastrophique à tous les niveaux. On voit des paysans, des pécheurs qui continuent de travailler, malgré les menaces et les tirs israéliens. Les familles continuent d’envoyer leurs enfants à l’école, même si beaucoup d’élèves y vont sans argent de poche ni goûter. A Gaza, le taux de scolarisation dépasse les 93 %.
Des mariages et des fêtes sont aussi organisés presque tous les jours, même en pleine attaque israélienne.

La Dignité : Gaza souffre mais résiste en toute dignité. On trouve des dizaines d’exemples de personnes de tous âges qui créent, travaillent, refusent de mendier à l’intérieur ou à l’extérieur. En septembre 2019, selon les statistiques du ministère des Affaires sociales, le nombre de mendiants ne dépassait pas les 150 pour toute la bande de Gaza.
A Gaza les gens souffrent certes, mais ils restent dignes et ne demandent jamais la charité. Ils cherchent du travail, montent des projets, essaient de créer leurs petites coopératives afin de vivre dignement.
Beaucoup de femmes, jeunes ou âgées, travaillent pour aider leurs familles, vendent des produits artisanaux, des gâteaux sur commande qu’elles confectionnent chez elles afin de vivre dignement.
Gaza est presque la seule ville au monde où personne ne dort dans la rue. J’ai visité personnellement plus de quarante pays pour mes études, mon travail ou des conférences, et j’ai vu des gens dormir dans les stations de métro, y compris dans des grandes villes riches.

La Créativité  : Dans la bande de Gaza, on trouve tout : les magasins modernes, les nouvelles technologies, internet, les téléphones portables. On utilise des groupes électrogènes ou des panneaux solaires pour faire face aux longues coupures d’électricité.
On a même créé un "Festival de Cannes" en mai pour projeter des films dans les quartiers dévastés par les agressions israéliennes.
A Gaza, les groupes de musique donnent des concerts devant les immeubles détruits par l’aviation israélienne.
A Gaza, les amputés de la marche du retour organisent des championnats de football malgré leur handicap.

L’Adaptation : Les Palestiniens de Gaza s’adaptent facilement à leur contexte. Quand ils manquent de moyens, ils peuvent ne faire qu’un ou deux repas par jour. Imaginez-vous que presque tous les fonctionnaires de Gaza, qu’ils travaillent dans la fonction publique ou dans les universités, touchent seulement la moitié de leurs salaires. Depuis plus de deux ans, l’Autorité palestinienne à Ramallah ne verse à ses 73.000 fonctionnaires que 30 à 50% de leurs salaires, et le Hamas ne paie que 40% à ses 45.000 fonctionnaires. Tout le monde s’adapte, ils laissent tomber quelques loisirs et la vie continue.
Souvent les Palestiniens de Gaza n’ont droit qu’à trois ou quatre heures d’électricité par jour, mais ils s’adaptent à ces longues coupures d’électricité.

JPEG - 52.4 ko

Les Initiatives  : A Gaza, chaque jour, des jeunes, des femmes lancent des initiatives et des actions de bénévolat, par exemple pour aider les paysans dans les fermes et les coopératives. Des diplômés de français prélèvent des livres de leurs bibliothèques personnelles pour les distribuer aux écoliers qui apprennent le français, des étudiants en médecine collectent des médicaments qu’ils donnent aux plus pauvres.

La Patience  : Il y a une patience extraordinaire chez ces Palestiniens. Ils ne se plaignent pas. Treize ans d’enfermement, et ils vivent toujours. Quand un habitant de Gaza est obligé de voyager pour se soigner ou pour étudier, il passe souvent trois jours d’enfer, notamment à la frontière avec l’Egypte. Et malgré cela, il supporte cette situation avec patience et endurance.

L’Attachement  : Malgré toutes les difficultés sur place, les Palestiniens de Gaza ont décidé de rester et ne pas partir.
Malgré trois offensives militaires en cinq ans, malgré l’absence de perspectives, et malgré les tentatives israéliennes de faire partir les habitants de Gaza, peu de personnes quittent Gaza chaque année. Depuis 2014, selon la direction du passage de Rafah, le seul qui relie la bande de Gaza à l’extérieur, sur les 32.000 Gazaouis qui se sont rendus à l’étranger en 2019, plus de 25.000 sont revenus.

A Gaza, trois temps forts montrent la vitalité des habitants : la période scolaire, avec ses milliers d’élèves sur le chemin de l’école et un taux d’absentéisme très faible ; l’été avec un monde fou sur la plage, seul lieu de détente des Gazaouis, et les moments de bombardements, lorsque les gens se rassemblent en masse sur le lieu attaqué pour aider les secours, sans craindre un nouveau bombardement possible ou l’explosion d’un missile au même endroit.

"Gaza la vie !", telle est la réponse de n’importe quel palestinien de Gaza pour qualifier la résilience de cette population civile qui souffre certes, mais qui vit.

Le slogan "Gaza la vie !" est d’ailleurs celui que l’on choisit dans la bande de Gaza pour beaucoup d’évènements culturels, éducatifs, universitaires, associatifs et sportifs.

Pour bien vivre cette réalité, vous pourrez visionner les 300 vidéos en français réalisées en 2019 par la chaîne francophone gratuite "Gaza la vie !", qui montre la continuité de la vie dans la bande de Gaza et la volonté de sa population civile courageuse et digne. La jeune équipe de "Gaza la vie", bénévole et motivée, est un exemple-type de la créativité et de la dignité des Palestiniens de Gaza.

Gaza ne se fatigue pas, elle n’abondera jamais son élan de vie et d’espoir. Elle restera toujours vivante.

Oui, Gaza résiste en toute dignité ! Elle sera toujours débout !

Les Palestiniens de Gaza essaient simplement de mener une vie aussi normale que possible dans des circonstances extrêmement anormales.

Une leçon de courage, de vie et de détermination.

Gaza n’aime pas la mort, et en même temps elle n’a pas peur de la mort

Elle est toujours prête à donner et à sacrifier.

Gaza a fait son choix depuis longtemps : la vie.

Oui, Gaza la vie ! Et elle mérite la vie !

JPEG - 8.1 ko Ziad Medoukh
Ziad Medoukh est directeur du département de français à l’Université Al Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la Paix de Gaza. Il vit à Gaza. Il a terminé ses études de didactique du français à l’université de Paris VIII où il obtint en 2009 un doctorat en Sciences du Langage. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant l’enseignement du français en Palestine et aussi la non-violence. Il est l’auteur de Gaza, Terre Des Oubliés, Terre Des Vivants, 70 poèmes de la paix palestinienne
Son dernier ouvrage : « Etre non-violent à Gaza »
Source : ISM France


Agenda

<<

2020

>>

<<

Mai

>>

Aujourd’hui

LuMaMeJeVeSaDi
27282930123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031