Glissements progressifs de l’occupation à l’annexion

vendredi 16 février 2018

L’occupation israélienne se transforme, petit à petit et mesure après mesure, en une annexion effective de la Cisjordanie. En effet, le gouvernement israélien va plus loin que la construction de nouvelles colonies, il normalise leur présence en y étendant progressivement l’application de la législation israélienne. Le rapport

Lors d’une visite de la colonie israélienne de Ma’ale Adumim début octobre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré que Ma’ale Adumim « fera à jamais partie d’Israël » et promettait par la même occasion d’y construire des milliers de nouveaux logements. Sa déclaration peut être interprétée comme un soutien ouvert au projet de loi sur le Grand Jérusalem introduit cet été par le député du Likoud Yoav Kisch et soutenu par le ministre des Renseignements Ysrael Katz (également du Likoud).
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Ce projet de loi propose d’intégrer les grands blocs de colonies qui entourent Jérusalem-Est (Ma’ale Adumim, Givat Ze’ev, Beitar Illit, Efrat, ainsi que le Gush Etzion) dans les limites de la municipalité. Les plus de 130 000 Israéliens vivant dans ces colonies deviendraient ainsi des habitants de Jérusalem, habilités à participer aux élections municipales. L’enjeu d’une telle mesure est clairement de changer la répartition démographique de la ville et de consolider et pérenniser le caractère juif de la ville et de l’équipe qui la dirige. L’annexion de Ma’ale Adumim aurait également pour conséquence de couper la Cisjordanie en deux parties, en morcelant encore un peu plus le territoire palestinien.
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Glissements vers l’annexion

La déclaration de Benjamin Netanyahou n’est pas un fait isolé. En effet, au-delà de l’entreprise de colonisation initiée il y a cinquante ans et qui connaît aujourd’hui une accélération inédite, le gouvernement israélien affiche sa volonté manifeste de procéder à l’annexion du territoire palestinien, en multipliant ces derniers temps les mesures étendant l’application des lois israéliennes au territoire palestinien occupé. L’organisation israélienne de droits humains Yesh Din considère ces mesures comme une adoption silencieuse du rapport Levy.

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Le rapport Levy

En février 2012, le gouvernement israélien avait chargé l’ancien juge de la Cour Suprême, Edmund Levy, ainsi que deux autres experts juridiques, d’ « examiner le statut de la construction en Judée et Samarie ». En d’autres termes, les rapporteurs devaient examiner le fondement juridique des colonies en Cisjordanie, qu’elles soient ou non autorisées par le gouvernement israélien. Présenté en juillet de la même année, le rapport concluait que le droit de l’occupation ne s’appliquait pas à la Cisjordanie, ce qui avait pour conséquence d’ôter aux colonies leur caractère illégal. Il recommandait par ailleurs de normaliser progressivement l’existence des colonies par le biais de mesures législatives. Le rapport avait été fortement critiqué au niveau international. Pour cette raison sans doute, le gouvernement israélien ne s’est jamais prononcé officiellement sur l’application des recommandations de ce rapport. Mais depuis quelque temps, il semble cependant les mettre en œuvre « de facto ».

C’est ainsi que la « loi de régularisation » adoptée en février 2017 ôte toute voie de recours aux propriétaires palestiniens des terres sur lesquelles les colons se sont installés et régularise a posteriori l’existence de ces colonies « illégales » selon la loi israélienne. En juillet 2016, un « comité de régulation foncière » avait déjà été mis en place pour régulariser les colonies implantées en Cisjordanie avec l’aval des autorités. Par ailleurs, le rapport Levy avait recommandé d’accélérer le processus de recensement des terres en Cisjordanie. Or le recensement vise également à autoriser rétroactivement la présence des constructions sur des terres non enregistrées et confisquées par des colons israéliens.
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Dernière mesure en date, le gouvernement israélien a accordé aux colons d’Hébron le même statut que celui en vigueur dans les autres colonies israéliennes. Intervenue fin août, cette mesure répond à la déclaration de l’UNESCO suivant laquelle le tombeau des Patriarches est considéré comme un site palestinien. Par cette initiative, l’agence des Nations Unies a définitivement fâché Israël qui a décidé de quitter l’organisme le 12 octobre dernier et a persuadé les Etats-Unis d’en faire autant.

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Influence du mouvement des colons

Ces glissements progressifs de l’occupation vers l’annexion de la Palestine est dû à l’arrivée au pouvoir du mouvement des colons. Le désengagement israélien de Gaza en 2005 et l’expulsion des 8000 colons qui y étaient installés a été vécu comme un traumatisme par le mouvement national religieux. Depuis lors, le mouvement s’emploie à séduire et convaincre à la fois en infiltrant l’appareil sécuritaire israélien et le parti au pouvoir, le Likoud, mais en établissant également davantage de contacts avec les médias et l’opinion publique israélienne. La présence de plusieurs personnalités soutenant le mouvement parmi les proches conseillers du Président américain a enfin ôté le dernier verrou devant les ambitions annexionnistes des colons. Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le gouvernement israélien, désormais phagocyté par le mouvement des colons, mène depuis lors une politique décomplexée d’annexion du territoire palestinien.

Seule incertitude : quel sort réserver à la population palestinienne ? Les positions varient. En 2007, l’Initiative israélienne de Benny Alon proposait que les Palestiniens de Cisjordanie optent pour la citoyenneté jordanienne. En 2009, le plan avancé par Uri Elitzur, chef du Gush Emunim et ancien chef de cabinet de Netanyahou, et le ministre du Logement et de la Construction Uri Ariel préconisait d’annexer toute la Cisjordanie, d’accorder la citoyenneté israélienne aux Palestiniens, mais de revoir le découpage des circonscriptions de manière à y assurer « une majorité juive démocratique ». Plus récemment, Naftali Bennett suggérait d’annexer uniquement la zone C et de procéder à la naturalisation de tous ses habitants palestiniens.
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Implications internationales

En 2017, cela fera cinquante ans qu’Israël occupe le territoire palestinien. Mais peut-on encore parler de simple occupation militaire temporaire lorsque celle-ci s’accompagne au quotidien de la construction de colonies et de l’édification d’un Mur, de confiscations de terres, et enfin de l’entrée en vigueur de lois israéliennes appliquées dans ce territoire ? L’occupation temporaire prend ainsi de plus en plus la forme d’une annexion définitive des terres palestiniennes.
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L’Union européenne est pleinement consciente de ces développements. L’adoption de la loi de régularisation en février 2017 avait ainsi conduit l’UE à postposer la tenue du Conseil d’association UE-Israël. Mais l’UE ne semble pas vouloir prendre réellement la mesure de ce qui se passe aujourd’hui, en continuant à condamner verbalement la colonisation à chaque annonce de nouvelles constructions. Or elle est capable de prendre des mesures claires face à l’annexion illégale d’un territoire. Elle l’a prouvé en 2014 avec l’annexion russe de la Crimée. Elle en a par ailleurs l’obligation légale, puisqu’elle ne peut en aucun cas reconnaitre ou porter assistance à l’annexion illégale des terres palestiniennes par Israël. Il est donc urgent que l’UE prenne des initiatives à la hauteur des développements sur le terrain en décidant de mettre fin à toute relation économique avec les colonies israéliennes.

Source : Association Belgo-palestinienne

[*A noter*]
Cet article rejoint le propos de Claudette qui présentera une conférence dans le cadre des Soirées mensuelles d’ATTAC, mardi 20 février à 18 h 30 "Palestine : de la colonisation à l’annexion"