« Haaretz », dernier bastion de l’opposition juive en Israël

dimanche 13 novembre 2022

Arrivé en Israël, vous achetez le journal Haaretz et vous découvrez ce titre : « Jetez le matériau dans les puits. Des archives montrent que l’armée israélienne a mené une guerre biologique en 1948 »
À la lecture, vous découvrez que des ordres ont été donnés pour empoisonner les puits de villages palestiniens lors de la guerre civile qui opposa les forces du Yichouv (l’implantation juive en Palestine) à celles des populations autochtones dans la période qui précéda puis suivit la création d’Israël, le 15 mai 1948. Conçue sous la houlette du futur premier ministre David Ben Gourion et de son futur chef d’état-major Ygael Yadin, cette opération nommée « Répands ton pain » (« Cast Thy Bread »), visait à empêcher tout retour des Palestiniens après qu’ils avaient été expulsés. Les archives montrent que le général Yohanan Ratner demanda un ordre écrit, qui lui fut refusé. Yadin écrivit à ses subordonnés qu’ils devaient agir « dans le plus grand secret ». Les premiers empoisonnements furent menés en avril 1948 près de Saint-Jean d’Acre et dans des villages proches de Gaza. Finalement, cette tactique assez peu efficace fut vite abandonnée.

PNG - 953.9 ko Salle de rédaction de Haaretz au 21 Shoken Street, Tel Aviv, 24 juillet 2019 Deror Avi/Wikimedia Commons

Révélations sur les crimes du passé

Des révélations de ce type, portant sur la manière dont Israël expulsa les Palestiniens de leurs terres, Haaretz, le « journal de référence » israélien, en publie désormais à un rythme effréné. Il s’appuie, souvent, sur les travaux d’un jeune historien, Adam Raz, qui a créé en 2015 un groupe de travail, l’Institut de recherche sur le conflit israélo-palestinien, nommé Akevot. Le mot, en hébreu, signifie « traces ». Raz recherche les traces enfouies du passé israélien que l’historiographie officielle a effacées afin de masquer, précisément, les faits occultés par sa version héroïque. Ses révélations, Raz les publie systématiquement dans les colonnes de Haaretz.

Le journal emploie en effet quasiment à temps plein un journaliste (Ofer Aderet) qui suit les travaux d’historiens qui « déconstruisent » complètement les vieux récits officiels. Raz, qui a écrit plusieurs ouvrages (dont en 2018 Kafr Qasim Massacre sur le massacre de Kafr Kassem), a lui-même publié ces dernières années dans Haaretz ou vu ses travaux y être rapportés par Aderet dans une série d’articles sulfureux sur la Nakba, sur des massacres restés dans l’ombre, mais aussi sur des enjeux comme l’intégration des nouveaux arrivants juifs orientaux dans les années 1950. « Ni Yedioth Aharonot (le quotidien le plus lu dans le pays) ni aucun autre journal israélien n’aurait publié ces articles », nous confie-t-il. Hormis Haaretz, tous les grands médias défendent le « récit officiel » » sur le passé d’Israël, affirme l’historien.

Mais il n’y a pas que le passé sur lequel ce quotidien révèle ce que les autres masquent. Sur le présent aussi, Haaretz se distingue par une couverture unique dans son pays. « On n’a pas peur de s’attaquer aux sujets les plus conflictuels. Personne d’autre ne publie de manière constante et systématique l’information que nous diffusons », explique Hagar Shezaf, une jeune reporter qui couvre les territoires palestiniens occupés. « Un journaliste comme Nir Hasson a fait depuis une décennie un suivi exceptionnel de la judaïsation de Jérusalem et de l’incroyable ségrégation des résidents palestiniens qu’elle génère. Il incarne le changement qu’a connu le journal », poursuit l’une de ses stars internationales, Amira Hass, qui couvre les territoires palestiniens depuis 1993.

Le « changement » qu’elle évoque se déploie dans trois directions, explique Noa Landau, directrice adjointe de la rédaction : « Nous sommes d’abord un journal libéral » — dans le sens anglo-saxon du terme : inclinant vers le progressisme. « Et clairement, nous sommes leaders de l’information sur l’occupation des Palestiniens, le traitement des immigrés et les droits humains ». Comment cela est-il advenu dans un journal qui, après son rachat en 1933-1934 par les Schocken (une famille de riches juifs allemands ayant fui le nazisme), a été très longtemps porteur d’un sionisme revendiqué et politiquement de centre droit ?

La radicalisation coloniale de la société

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