JUIF ERRANT ES-TU ARRIVÉ ?Juif errant, es-tu...

dimanche 17 février 2019

Nous vous proposons ici le dernier chapitre du livre d’Albert Londres "Le Juif errant est arrivé" publié en 1930, dans lequel celui ci donne un aperçu de la situation des Juifs en Europe.
A l’époque des pogroms et persécutions, il met en garde contre les dangers de la déclaration Balfour au Moyen Orient, et la responsabilité des sionistes pour que "tout aille bien".

JUIF ERRANT ES-TU ARRIVÉ ?

Quand cet hiver je l’ai rencontré, cheminant dans les Carpathes, j’ai bien pensé qu’il marchait vers la Palestine. Le soleil se levait de nouveau pour lui sur la terre de Chanaan. Selon la parole de Sophonie, fils de Chusi, de Godolias, d’Amarias et d’Ezécias, Sion chantait des cantiques, Israël poussait des cris d’allégresse, Jérusalem était transportée de joie. Le Seigneur, ayant éloigné ses ennemis, avait enfin effacé l’arrêt de sa condamnation. J’entendais dire un peu partout, dans les chancelleries d’Europe et d’Amérique, que l’Angleterre, obéissant à la voix de Dieu allait faire revenir celui qui avait été exilé et rendre son nom célèbre dans le pays où il avait été en opprobre.

J’en étais heureux pour lui.

Si la terre ne se composait que de la France ou de l’Amérique, de l’Allemagne ou de l’Angleterre, il n’y aurait pas de sionisme. La voix des prophètes du retour ne parlerait qu’à des sourds. Est-ce à Paris, à Londres, à Berlin, à New-York que Néhémie pourrait venir dire :

« Va en Judée, à la ville des sépulcres de tes pères afin de la rebâtir. »

Les sépulcres des pères sont maintenant au Père-Lachaise. En notre temps de prose, le sionisme vu de la place de la Bourse, apparaît l’œuvre d’un mauvais farceur. C’est Paris-Israël qui parle. Son opinion n’est pas la mienne. L’idéal, en certains cas, est sans utilité, je sais. On ne mange pas non plus les fleurs que l’on met sur la table !

Mais respectons les faits. Les Juifs de l’Atlantique ont cessé d’être des Juifs de Sion. On pourrait expliquer doctoralement pourquoi leur âme ne résonne pas sous l’archet de Théodore Herzl. Sans doute est-il suffisant de dire qu’être juif ne signifie pas être poète. Sous Godefroy de Bouillon, tous les chrétiens ne furent pas des croisés. Les Juifs-Français qui regardent du côté de la Palestine le font de loin et par le petit bout d’un puissant télescope.

Plaçons donc la question juive où elle est : en Pologne, en Russie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Hongrie. Là, erre le Juif errant. Le Juif de ces pays est aux autres hommes ce que le chien fou des bleds africains est aux autres chiens. On l’éloigne des maisons. Il rôde, cherchant sa nourriture. Tente-t-il de s’approcher de la ville ? Les citadins le couchent en joue. Sortons un peu de nos frontières. Le monde ne tient pas dans la carte de France. Il est un drame à notre époque, un vieux drame soudainement rajeuni, un drame poignant : le drame de la race juive.

En Russie, les Juifs attendent d’être égorgés. Le jour où les Soviets céderont le terrain, les Croix-Rouges pourront préparer leurs ambulances. La meute aryenne jouera des crocs.

Haine sur eux en Pologne, haine sur eux en Roumanie. Haine solide qui les recouvre comme d’une dalle… à perpétuité ! Aux Marmaroches, au fond de la grande fosse des Carpathes, d’où, les ongles usés, ils ne peuvent remonter, sauvage misère !

C’est là, dans ces pays, sur le ciel bas, qu’un jour, une lanterne magique a projeté la Terre Promise. Une nouvelle Terre Promise, non plus la vieille, toute grise, de Moïse, mais une Terre Promise moderne, en couleur, couleur de l’Union Jack ! Le Juif errant est tombé en arrêt. Qu’il était beau, le pays qu’on lui montrait ! Du soleil ! Des oranges ! Des bois pour construire la maison !

– Voyons, s’écria-t-il, comme autrefois Sanaballat au temps d’Artaxerxès, que faites-vous, pauvres Juifs ? Rebâtissez-vous sérieusement Jérusalem ? Pourrez-vous refaire de ces monceaux de poussière les pierres qui sont brûlées ?

– Tu l’as dit, répondit un Anglais à cheveux blancs.

– Es-tu Artaxerxès dit Longue-Main ? demanda le Juif errant.

– À notre époque, répondit l’homme aux cheveux blancs, ce n’est plus la main, c’est le bras qui doit être long. Je suis Balfour dit Long-Bras.

Alors le Juif errant dit au lord :

– S’il semble bon au lord et si votre serviteur vous est agréable, envoyez-moi en Judée.

– Voici des lettres, mon Juif, répondit le lord, des lettres pour les gouverneurs des terres au delà des fleuves et des monts, des lettres afin qu’ils te fassent passer jusqu’à ce que tu sois arrivé au pays de ma lanterne magique.

Et, suivant le long bras du lord anglais, le Juif errant atteignit, voilà dix ans, la terre de Palestine.

* * *

Il s’aperçut bientôt que plus de cent mille autres l’avaient suivi. Alors il leur dit : « Levons-nous et bâtissons. »

Mais les ennemis étaient autour et veillaient.

Vous comprenez tout de suite qu’il s’agit des Arabes. Il y avait des Arabes à l’ombre du bras de lord Balfour. Bah ! dirent ceux qui arrivaient de Galicie, d’Ukraine, de Bessarabie, de Bukovine, nous travaillerons d’une main et de l’autre tiendrons l’épée, ainsi que firent nos aïeux, revenus comme nous, au printemps de l’an 537 avant l’ère de Jésus-Christ.

Et ils agirent comme ils avaient dit.

Ils achetèrent cent treize mille hectares de terrains. Ils créèrent cent une colonies. S’ils n’eurent pas à reconstruire les murailles de Jérusalem parce qu’elles n’avaient pas été démolies depuis la dernière ancienne fois, ni à mettre aux portes les battants, les serrures et les barres, ils élevèrent d’impressionnants faubourgs au seuil de la sainte ville. Dizingof bâtit la colline du Printemps. Ruttemberg maria le Jourdain avec le Yarmouk. Tolkowski planta des orangers.

Merveilleuse histoire ! Mais Juif errant, où donc avais-tu trouvé l’argent ?

Dans le monde entier.

Quand tes frères dispersés te virent prendre résolument ton bâton et marcher d’une seule traite des Carpathes au Jourdain, tous eurent les yeux sur toi. Tu leur parus un héros national, et dans des petits troncs bleus marqués au sceau de David et répandus sur toutes les terres où sont les tiens, chaque jour, à toute heure et sous tous prétextes, on glissait pour toi marks, dollars, shillings, pesos et florins.

C’est alors que tu commenças de faire des bêtises.

Ton vieux bâton de chemineau devint orgueilleux comme une hallebarde. Tu le laissais froidement choir sur les pieds des Arabes ; ton mouvant et émouvant esprit balaya vingt siècles d’un revers de pensée. Tu rentrais chez toi comme ces ci-devant derrière Louis XVIII,sans demander à connaître celui qui, depuis ton départ, avait acheté ta maison. L’insolence n’est pas toujours une mauvaise chose, encore faut-il qu’elle s’adresse aux grands !

Tu en avais assez d’être sous la botte. Chacun comprendra qu’il est agréable de redresser son nez. Mais quand on va le nez en l’air, on ne voit plus ce qui se passe à ses côtés. Juif errant, le lord anglais avait retiré son bras !

Toi, rasé, tondu, ton caftan jeté aux orties, le cou libéré dans le col à la Danton, tu faisais le beau parmi les vilains !

Ne nie pas. Je t’ai vu. Tu te promenais derrière un drapeau, en capitaine de football, droit comme un vieux pompier ! Quand on a si longtemps inspiré la pitié, il est tentant de vouloir inspirer le respect. Mais à l’heure où l’on fait peau neuve, mon ami, on ne se met pas à son balcon, autrement on attrape des maladies graves.

Et tu étais là, accoudé à la rampe, criant à tout venant tes secrets. Général en chef, tu distribuais tes plans de bataille dans le camp ennemi. Cette année, tu ramasserais un million de livres de plus que l’année dernière et tu achèterais le mont Carmel ! « Écoutez ! Arabes, disais-tu, vous voulez savoir quel est mon but ? Le voici : c’est la création, ici, d’une majorité juive. Savez-vous ce que je suis en train de faire, à Zurich, cette année ? Je m’assure ni plus ni moins toute la Palestine. L’Agence Juive, chers Arabes, que le congrès vient de créer, va me permettre d’intéresser les Juifs non errants à l’achat du beau pays. Dans dix ans, il sera le mien. Dans vingt ans, cinq cent mille de mes petits frères seront venus me rejoindre. Le lord aux cheveux blancs dit Bras-Long m’élèvera à la dignité du Canada, de l’Australie. Je serai le sixième dominion. Fanfare, attention ! »

Et là-dessus, tu faisais jouer Hathiqwah !

Qu’a fait ton voisin, le cher Arabe ?

Il a d’abord regardé autour de lui. Tiens ! le lord au bras long avait quitté la place ! Ensuite, il s’est mis à compter. Tu n’étais pas encore cinq cent mille, c’était le moment d’agir. Il est venu sur la pointe de ses pieds et tandis que tu chantais ta gloire, il t’a mis un bon coup de sa matraque sur la nuque.

Juif errant, comment vas-tu ?

Eh bien ! il ne va pas trop mal. On aurait pu penser le trouver en plus mauvais état, après la saignée. Son teint était plus pâle, sa voix moins bien perchée, un petit flottement dans sa démarche, mais il ne s’était pas alité. Surtout – et c’était là, dans toute la vie du Juif errant, le fait nouveau sensationnel – il n’avait pas courbé le dos !

* * *

En ce temps-là, après toutes ces histoires, je me trouvais sur la plage de Tel-Aviv. C’était le premier jour de l’année juive : Rosch Hachana. Le long de l’eau, des Juifs se démenaient d’une très étrange manière. De leurs mains ils semblaient fouiller leur poitrine et en arracher quelque chose qui suivait difficilement. Ensuite, ils balançaient leurs bras dans la direction de la Méditerranée : ils jetaient leurs péchés à la mer !

– À la bonne heure ! me dis-je, ils ont enfin compris. Pour peu, qu’ils n’oublient pas de noyer leur trop d’orgueil, tout ira bien après.

Est-ce une prophétie ?

Le Juif errant est-il arrivé ?

Pourquoi pas ?

FIN

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Septembre 2009



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