Janina Hescheles-Altman : de la Shoah aux Femmes en noir d’Israël

jeudi 13 avril 2017

Anina Hescheles-Altman a écrit “A travers les yeux d’une fille de 12 ans” en 1943, quelques semaines après s’être évadée du camp de Janowska, à Lvov.

Rencontre avec son auteure, fidèle à l’enfant qu’elle était.

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Janina Hescheles et ses parents en 1941. Archives de la famille Hescheles/Altman

Invariablement, le vendredi, Janina Hescheles-Altman se tient sur un rond-point de Haïfa avec les Femmes en noir pour manifester contre l’occupation des Territoires palestiniens. Les automobilistes l’injurient ou lui crachent à la figure. Elle n’en a cure. Ses yeux bleus intenses ont vu tant de choses. Sans fléchir. Ils s’éclairent pour parler des rencontres où enfants israéliens et allemands, assis côte à côte, l’écoutent. « Au sortir de la guerre, je ne pensais pas que cela serait possible. Il aura fallu trois générations. Peut-être qu’il faudra plus de temps, mais j’espère que l’on pourra voir, un jour, de telles scènes entre Israéliens et Arabes. »

Janina rassemble, selon ses proches, toutes les caractéristiques du mensch. Un être intègre et d’une « bonté impitoyable » loué dans la tradition yiddish. A 86 ans, sa fragilité est palpable, accentuée par la maladie de Parkinson. Mais son corps et son âme recèlent une fermeté inaltérable qu’on découvre au fil des trois heures d’entretien. C’est elle qui dicte le tempo. Faisant fi des questions que nous lui avions envoyées, elle suit sa propre chronologie.

Un témoignage “exceptionnel à la fois par son contenu, et par ses conditions de rédaction”

De son enfance heureuse à Lvov en Pologne (aujourd’hui en Ukraine), elle ne dit rien. La berceuse qu’elle entonne en polonais en est la seule réminiscence. Le reste est oublié. Elle démarre son histoire, là où, elle estime que tout a commencé : « C’était en 1941. Mon père venait de rentrer à la maison après avoir été emprisonné par les Soviétiques qui ont occupé la ville avant les Allemands. »

Une narration identique à celle de son livre A travers les yeux d’une fille de 12 ans. Ce texte rédigé en septembre 1943, publié en Pologne en 1946, est désormais disponible en français. « J’ai eu connaissance de ce témoignage quand je préparais mon anthologie L’Enfant et le génocide, raconte Catherine Coquio, directrice de la collection Littérature, Histoire et Politique chez Classiques Garnier, et professeure de littérature à l’université Paris-VII. Il est exceptionnel à la fois par son contenu, et par ses conditions de rédaction. »

Des “soirées littéraires” au camp de Janowska

Tout commence en 1943 par la rencontre entre Janina et le poète polonais Michel Borwicz (1911-1987) dans le camp de travail et d’extermination de Janowksa, situé dans les faubourgs de Lvov. Lui y anime des « soirées littéraires », un moyen, à ses yeux, de « garder sa dignité face à la mort ». Elle déclame des poésies derrière le baraquement des femmes. « Une alliance avec la littérature » se noue entre eux, dira plus tard Michel Borwicz. Le poète organise l’évasion de Janina et son accueil par un réseau de résistants polonais qui la cachent à Cracovie. Il invite la fillette à décrire son expérience. En cinq jours, elle noircit trois cahiers. « Sans brouillon, ni rature ». Son récit coule en un seul jet sur les lignes, « comme une lave qui sort d’un volcan ».

A l’opposé du journal d’Anne Frank, hanté par le pressentiment de la « catastrophe » à venir, les « mémoires » de Janina l’embrassent dans sa globalité.

La mort de son père dans les pogroms de juin 1941, la vie dans le ghetto qui s’organise à partir de l’automne 1941 et ses infructueuses tentatives de trouver un refuge, le suicide de sa mère sous ses yeux en mai 1943... Orpheline, sans abri, Janina se résigne à entrer dans le camp de Janowska. Chaque épisode est relaté, sans épanchement. Denses, précises à l’extrême, courtes, ses phrases sont d’une clarté « quasi scientifique », exemptes de toute sensiblerie, mais emplies d’information. Ainsi, sa description de Janowksa est précieuse, tant ce camp diffère de l’univers concentrationnaire de Treblinka et de Belzec.

Elle n’a jamais voulu endosser la figure du porte-parole

Elle raconte le travail quotidien dans les ateliers, l’administration scindée en deux, la vie dans les baraquements, la liquidation des détenus à Piaski ou leur départ vers Belzec. « On retrouve la même minutie que chez Primo Levi », remarque Livia Parnes, du Mémorial de la Shoah. D’ailleurs, ce dernier était chimiste et Janina le deviendra en Israël où elle émigre en 1950. Un compte rendu précieux qui, pour l’historienne Judith Lyon-Caen, montre « combien le groupe formé autour de Michel Borwicz saisissait l’importance de collecter des témoignages à chaud ». Acte de résistance dans l’urgence de la guerre qui gronde, parfaitement compris par l’auteur malgré ses 12 ans. « Une telle maturité est troublante », souligne Catherine Coquio.

« Michel Borwicz m’avait attribué le rôle d’écrire. Je devais m’appliquer », explique Janina. Elle n’a jamais voulu endosser la figure du porte-parole. « Beaucoup d’enfants ont vécu la même chose que moi », insiste-t-elle. La transmission ce n’est pas son affaire. Elle tient plutôt à s’appuyer sur les souvenirs douloureux pour parler d’aujourd’hui. « Notre passé tragique ne nous donne pas le droit, en Israël, de confisquer des terres, de détruire des maisons, d’arracher des champs d’oliviers », écrit-elle dans l’épilogue de A travers les yeux d’une fille de 12 ans. Par fidélité à la petite fille qu’elle était, elle lutte contre « l’injustice ». « Car les Polonais qui m’ont sauvé l’ont fait au risque de leurs vies. Cela m’oblige envers les opprimés. »

Dix ans de travail sur les résistants de la Rose blanche

« Janina montre la lumière dans les moments les plus obscurs », remarque son éditeur israélien David Gottesman. Ce regard nuancé, elle l’a appliqué à l’Allemagne. Au départ à contre-coeur, puisque ses deux fils se souviennent du temps où elle leur interdisait les jouets made in Germany. Mais sa découverte de la Rose blanche, un mouvement de résistance antinazi rassemblant de jeunes scientifiques à Munich l’a bouleversée. Au point d’y consacrer dix années de recherches et de publier, en 2007, un livre sur le sujet.

On y décèle une ode à la jeunesse, capable de faire bouger les lignes. Mais aussi un message à son pays. « Entre 1933 et 1939, des milliers d’Allemand ont été déportés. La population allemande avait peur. J’observe une peur similaire en Israël, celle d’aider les Arabes, les gens de gauche », dit-elle.

Source : UJFP - Christine Chaumeau publié 5 avril 2017 sur le site de Télérama.

JPEG - 9.6 ko À travers les yeux d’une fille de douze ans. Éditions Classiques Garnier, 19 €.

Sauvée en 1943 du camp Janowski à Lvov, Janina Hescheles, douze ans, rédige à chaud ses souvenirs, qui paraissent en Pologne en 1946 sous le titre À travers les yeux d’une fille de douze ans. Ils sont ici traduits en français avec des fragments inédits du manuscrit et augmenté d’un appareil critique.

A la fin du livre elle partage son regard très critique sur Israël ; "L’histoire a connu plusieurs déplacements de population, mais notre passé tragique ne nous donne pas le droit de confisquer des terres des Palestiniens, de détruire des maisons, d’arracher des champs d’oliviers dont des générations entières avaient pris soin... La société Israélienne a montré une excellence artistique, scientifique et technologique mais ne peut cacher un échec total humain et moral."


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