Jihad et ses fils partent tôt le matin

dimanche 1er mai 2016

[**Mercredi 4 mai à 18h en direct sur radio galère : Sarah revient de Gaza, elle nous parlera de l’économie palestinienne.*]

Jihad et ses fils partent tôt le matin pour charger leur carriole avec des matériaux récupérés. L’âne efflanqué monte son chemin sous les coups de rênes, à travers les ruelles étroites de Khan Younis.
Les deux jeunes frères, Muhammad, 12 ans, et Karim, 8 ans, l’aident à tirer une carriole débordant de blocs de ciment, de pierres et de briques en divers états de délabrement, tous ramassés dans les ruines de nombreuses maisons et bâtiments dans ce secteur qui a été ou totalement ou partiellement détruit. Derrière eux, et à califourchon sur la carriole, leur mère commence à s’énerver avec le pas tranquille de l’âne, et elle fait claquer les rênes à plusieurs reprises sur son dos osseux, l’accusant de paresser.
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Comme ils le font jusqu’à trois fois par jour la plupart du temps, Jihad Abu Muhsen, 48 ans, et ses deux garçons continuent leur lente progression vers un atelier à la sortie de la ville. Là, Abu Muhsen appelle le propriétaire de l’atelier, Abu Shukri. Après une rapide inspection, celui-ci lui donne 10 shekels israéliens, soit un peu plus de 2 €, pour sa cargaison.
C’est une façon bien pénible de se faire une petite ressource, mais que l’on voit de plus en plus souvent dans tout Gaza. Et depuis l’agression dévastatrice d’Israël de 2014, c’est ce que fait Abu Muhsen quasiment tous les jours pour survivre. « Il n’y a aucune honte… » dit-elle, après une courte pause et avec un sourire, « …pour quelqu’un à faire n’importe quel travail. C’est dur, oui, mais notre famille maudit la mendicité ».
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Près de 80 % des 1,8 million d’habitants de Gaza reçoivent une aide sociale sous une forme ou une autre, et près de 40 % sont toujours en-dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Les Nations-Unies estiment que près de 18 000 maisons ont été détruites ou gravement endommagées dans l’agression israélienne de 2014. Selon le Conseil économique palestinien pour le développement et la reconstruction, plus de 350 bâtiments industriels, usines, ateliers et laiteries ont été détruits en 51 jours de bombardements par les Israéliens.

C’est dans les décombres qu’Abu Muhsen fouille pour vivre. Et elle est acharnée. Avec le soleil haut dans le ciel et ses enfants qui se plaignent de la fatigue, la mère les fait avancer malgré tout, guettant une autre maison démolie, une autre occasion à saisir. Cette ancienne maison particulière s’avère fructueuse, rapportant plus de briques et de blocs que la petite carriole de la famille ne peut en supporter. Mais c’est trop pour Karim qui s’est assis à terre et refuse de continuer. « Je suis affamé » insiste le garçon. Sa mère se baisse sous la carriole et en sort du pain et tous les trois déjeunent sur les ruines de la vie de quelqu’un d’autre. La mère est assise, contemple ses mains, grossières et calleuses, après avoir porté autant de briques.
Le petit repas terminé, les pensées de Karim retournent vers le jeu. Fan ardent de football comme beaucoup de garçons de Gaza, il demande si c’est le dernier chargement et s’il peut rentrer à la maison pour jouer. « Je suis désolée… » répond sa mère. « …nous devons encore en faire un autre. Ensuite tu pourras jouer ».

Muhammad intervient. « Nous sommes fatigués. Est-ce que nous devons vraiment faire trois chargements ? »
Sa mère le regarde avec un air de reproche mais pas sans compassion. Elle range le pain et tous les trois retournent silencieusement à la tâche. Ils vont livrer une autre cargaison à l’atelier à la périphérie de la ville ce jour-là, avant de revenir en chercher une troisième.

« Trois cargaisons, dit la mère, c’est à peu près ce qu’ils peuvent faire en un jour. Mais ils auraient bien besoin de trouver autre chose avant que leur âne et eux-mêmes ne soient complètement épuisés » et elle prend congé de ce journaliste qui leur souhaite un prompt succès.
Texte de Hamza Abu Eltarabesh et photos d’Abed Zaghout.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source : Electronic Intifada