« L’accord de normalisation avec Israël : une imposture »

jeudi 17 septembre 2020

Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France de 1994 à 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne de 2005 à 2015, réagit à la signature de l’accord de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn à la Maison Blanche aujourd’hui.

JPEG - 74.7 ko Mi-août, en Cisjordanie, des Palestiniens ont brûlé des effigies du Premier ministre israélien, du prince héritier d’Abu Dhabi et du président américain. PHOTO AFP

La Marseillaise : Que pensez-vous du processus de normalisation entre lesÉmirats arabes unis, le Bahreïn et Israël, mis en scène par Washington ?
Leïla Shahid : C’est une totale imposture. Israël n’est en guerre ni avec les Émirats arabes unis, ni avec le Bahreïn. Elle n’a pas de contentieux ni d’occupation militaire, ni de non-reconnaissance des droits. Le problème d’Israël est avant tout avec les Palestiniens. Prétendre que cet accord est un accord de paix avec le Bahreïn et les Émirats arabes unis et une avancée historique qui requiert cette cérémonie ridicule demain à la Maison Blanche, n’a qu’une raison d’être : la réélection de M. Trump le 3 novembre et que M. Netanyahu puisse faire face à ses trois procès. Ils ont besoin de vendre quelque chose à leurs opinions publiques donc ils les prennent pour des imbéciles en prétendant qu’ils font un accord de paix et de reconnaissance mutuelle entre pays Arabes.

Quelles peuvent-être les conséquences pour les Palestiniens ?
L.S. : C’est très grave pour les Palestiniens. Depuis maintenant 72 ans que dure cette question, le discours de soutien des régimes arabes aux Palestiniens a survécu, malgré toutes les difficultés que cette région connaît depuis près d’un siècle. Le fait est qu’aujourd’hui, avec autant d’arrogance, les dirigeants des Émirats arabes unis, du Bahreïn et probablement d’autres qui vont suivre, montrent leur souhait de faire plaisir aux Américains et aux Israéliens, soi-disant leurs nouveaux « alliés » face à l’Iran.
Cela montre également une désintégration d’une forme d’unité arabe qui risque d’encourager d’autres pays à faire la même chose et oublier que la cause principale de solidarité des pays arabes avec la Palestine est la dépossession des droits nationaux du peuple palestinien. Si au moins les Émirats et le Bahreïn avaient pris la peine de demander en retour d’une normalisation, un acquis pour les Palestiniens comme la reconnaissance d’un État, la fin de l’occupation militaire ou quelque chose qui ait un sens... Non, les Émirats ont prétendu qu’ils avaient obtenu la suspension de l’annexion de 30 % de la Cisjordanie et le même jour, Netanyahu dit « non je n’ai pas promis d’arrêter l’annexion, je l’ai suspendue temporairement ». Lui-même a rendu ridicule la position des Émiratis. C’est une concession totale d’un côté, sans aucune contrepartie. C’est un total marché de dupes. Et cela fait beaucoup de mal aux Palestiniens.

Dans ce contexte, quel avenir pour le projet d’annexion de Cisjordanie de Netanyahu ?
L.S. : Il est déjà là. L’annexion a déjà commencé depuis l’arrivée de Netanyahu au pouvoir. Les Européens le savent très bien et ils n’ont pas le courage de le dire parce qu’ils sont lâches. Les 27 pays de l’UE sont là-bas et le Royaume-Uni aussi, ils ont des consuls généraux en Palestine, ils le savent. Ils écrivent des rapports mensuels sur l’état de la colonisation et l’annexion de la Cisjordanie a lieu depuis plusieurs années. Les projets que les Européens souhaitaient faire dans la zone C (un tiers de la Cisjordanie), sont systématiquement détruits par l’armée israélienne. Cela inclut les écoles pour les enfants, les dispensaires pour les Bédouins qui s’occupent de troupeaux etc, ils ne laissent aucun projet se faire dans le territoire parce qu’ils l’ont annexé de fait.
Ce qui a changé, c’est que dans ce que Trump appelle le « projet du siècle », il dit qu’il légitime cette annexion, c’est contraire au droit international. Aucune annexion, aucun territoire occupé du monde n’est légitime... sauf chez M. Trump. Le président américain est devenu un constitutionnaliste qui va refaire le monde sur les bases de ce qui peut le faire gagner aux prochaines élections.
La solution à « deux États » des accords d’Oslo de 1993, est-elle encore viable ?
L.S. : Non, de quels États parle-t-on ? On est en train de dire qu’il ne restera de la Palestine plus que quelques petits pourcentages à droite et à gauche, cela ne fait pas un État. Où peut-il être mis ? Il n’y a plus de place pour un État palestinien entre les annexions, les camps militaires et les routes israéliennes. Il faut imaginer d’autres solutions pour l’avenir et ce n’est pas avec Benjamin Netanyahu que l’on pourra faire quoi que ce soit, ni avec la communauté internationale qui regarde ailleurs.
Entretien réalisé par Laureen Piddiu
Le président américain Donald Trump accueille aujourd’hui à la Maison Blanche une cérémonie de signature de l’accord de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn, en présence de leurs dirigeants respectifs. Une victoire pour Trump qui entend rétablir les relations diplomatiques entre l’État hébreu et les monarchies du Golfe afin de construire une alliance contre l’Iran. Pour les Palestiniens, c’est une trahison et une violation du consensus arabe qui faisait du règlement du conflit israélo-palestinien la condition indispensable à la normalisation avec l’État hébreu.

Source :La Marseillaise
Laureen Piddiu - le 15 septembre 2020
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