L’eau en Palestine : ce qu’il faut retenir

jeudi 5 janvier 2017

Le 19 novembre dernier, l’AFPS Versailles recevait Jacques Fontaine, enseignant et agrégé de géographie, spécialiste du conflit israélo-palestinien. Sa conférence sur les enjeux de l’eau fut un modèle d’érudition et d’expertise. En voici le résumé complet.

Cette conférence est développée dans un cahier de l’AFPS (n° 22), L’eau, enjeu du conflit israélo-palestinien, réédité en 2016.
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Un film sur ce thème : « L’eau de chez nous, l’eau de chez eux » de Frédéric VIGNE.

Israël, la Palestine et la Jordanie font partie des 15 pays au monde où la ressource en eau est la plus faible.

Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) :
o il faut 1.666 m³ d’eau par an et par habitant, tous usages confondus (agricole, domestique et industriel),
o A moins de 1.000 m³ d’eau par an et par habitant, on est en pénurie,
o A moins de 500 m³ d’eau par an et par habitant, on est en pénurie extrême.
Pour Israël, Palestine et Jordanie, on se situe à moins de 300 m³ par an et par habitant.
– Au cœur de cette pénurie, un problème de répartition de l’eau entre un pays dominant (Israël – 8,5 millions d’habitants) et un pays dominé (la Palestine – 4,8 millions d’habitants).

1 ) Les ressources en eau.
– L’ensemble Israël/Palestine représente 27.000 km², soit 5 départements français, avec deux types de climats :
o Au nord, un climat méditerranéen : été sec, hiver pluvieux (céréales, vigne, olivier, et du pâturage),
o Au sud, un climat désertique, un peu steppique sur sa partie nord, avec moins de 100 mm de précipitations par an.
o Il faut irriguer pour développer une agriculture, sans irrigation, la vallée du Jourdain en Cisjordanie ne permettrait aucune culture.
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– Trois ressources principales en eau :
o Eau du Jourdain, qui vient du Mont Ermont et traverse le lac de Tibériade : 600 millions de m³ d’eau par an,
o L’aquifère du littoral : 400 à 500 millions de m³ par an. Il était déjà exploité au XIX e siècle pour produire les oranges de Jaffa. Cet aquifère s’épuise, se sale (entrée d’eau de mer), et se pollue (nitrates).
o Les trois aquifères de montagne (Nord, Ouest et Est) : 700 millions de m³ par an.
o Et marginalement les ressources du fleuve Yarmouk qui prend sa source dans le Djebel Druze.

– Au total, on dispose de 1,7 milliard de m³ d’eau renouvelable par an pour 14 millions d’habitants, soit autour de 100 m³/an et par habitant.

2) La consommation d’eau.
– La consommation (2,3 milliards de m³/an) est supérieure au renouvellement de l’eau due à l’eau de pluie (1,7 milliards de m³/an). On le constate en particulier au niveau de la Mer Morte, descendue de – 390 m en 1950 à – 430 m aujourd’hui.

– Israël fait appel à des eaux non conventionnelles :
o Le recyclage des eaux usées pour l’agriculture : 200 millions de m³ d’eau par an,
o Le dessalement de l’eau de mer : de 500 à 600 millions de m³ d’eau par an, dont le cout (1 € par m³) a été divisé par 2 en 20 ans, en particulier grâce aux ressources de gaz naturel d’Israël.

– La répartition de la consommation d’eau entre Israël et la Palestine :
o Israël : 2,3 milliards de m³ par an, soit 300 m³/an/Israélien,
o Palestine : 300 millions de m³, soit 75 à 80 m³/an/Palestinien.

– L’eau consommée par Israël et largement produite dans les pays voisins.
– La canalisation nationale, qui transfère l’eau du lac de Tibériade vers le cœur d’Israël, fait monter l’eau de -215 m à 100 m, grâce à des compresseurs qui consomment 10 % de l’électricité d’Israël.
– Israël tient à conserver le contrôle de la ressource d’eau sur tout le territoire Israël/Palestine (une caractéristique d’un régime colonial) : elle propose à la Palestine de l’eau de mer dessalée à un coût 3 à 4 fois plus cher que celui des aquifères de montagne.

– La consommation d’eau d’Israël augmente de 1,3 milliard de m³ en 1960 à 2 milliard de m³ aujourd’hui :
o La consommation agricole (1,3 milliard de m³/an est désormais stable, grâce à des techniques économes de type irrigation goute à goute),
o La consommation domestique (600 à 700 millions de m³/an) explose, à la fois sous l’effet de l’augmentation de la population et de l’amélioration du niveau de vie – légèrement supérieur au niveau de vie français)
o La consommation industrielle est faible.
– La consommation d’eau en Palestine est moins connue – manque de sources statistiques -, mais le premier poste est la consommation domestique, devant la consommation agricole.

3) ) La politique de l’eau en Israël.
– Quelques dates :
o 1930 : le début politique, avec la construction d’un premier barrage,
o 1936 : constitution de la société publique de distribution d’eau MEKOROT,
o 1938 : plan de mise en valeur de la vallée du Jourdain sur le modèle de la Tenessee Valley Authority,
o 1950 : décision de la construction de la conduite d’eau nationale (construite entre 1952 et 1960), malgré le refus des pays arabes de voir transférer l’eau d’un bassin hydraulique à un autre.
o En 1965-66, les Syriens veulent mettre en valeur les sources du Jourdain à Banyas. Ils en seront toujours empêchés par Israël.
o Juin 1967 : 2 interdictions sont posées par Israël aux Palestiniens :
* Irriguer à partir de l’eau du Jourdain,
* Creuser de nouveaux puits (12 seulement seront creusés en 30 ans)
Moshe Dayan déclare en 1967 : « Jamais les Palestiniens n’auront plus d’eau qu’aujourd’hui ».
o Oslo 2 crée le Joint Water Comitee, comité paritaire sur l’eau entre Israël et Palestine.
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4 L’eau en Palestine par zones géographiques.

a) Gaza
– La guerre de 2014 a conduit à des destructions importantes d’installations d’eau (notamment les usines d’épuration) par Israël.
– Les besoins de Gaza représentent 150 millions de m³/an, l’aquifère de Gaza ne peut fournir que 75 millions de m³/an. Cet aquifère se remplit donc d’eau saumâtre. Les nitrates et chlorures qu’il contient sont huit fois supérieurs aux normes maximales préconisées par l’OMS.
Il n’y a quasiment plus d’eau potable, il n’y en aura plus dans deux ans…

b) La Cisjordanie.
– 200 villages ne sont pas raccordés au réseau d’eau potable.
– MEKOROT vend plus cher l’eau en Cisjordanie (aux Palestiniens) qu’en Israël.

5 Questions-Réponses.
Les aides les plus efficaces sur la question de l’eau viennent ce coopérations décentralisées :
– Besançon a fiabilisé l’alimentation en eau du camp de réfugiés d’Aqabat Jaber, près de Jéricho.
– AFPS Rhône Alpes a aidé à la création de bassins d’irrigation en zone A.
Le canal Mer Rouge / Mer Morte.
– Une source intéressante : Sébastien BOUSSOIS, Sauver la Mer Morte.
– C’est un projet qui ne rentabilisera jamais ses investissements, et ne peut être financé que par des institutions internationales.
– Il faudrait amener 2 milliards de m³ d’eau de la Mer Rouge.
– Sur le canal, possibilité de produire de l’électricité (sur les chutes) utilisable pour transporter l’eau et la dessaler.
– Les problèmes écologiques ne sont pas traités : l’eau de la Mer Morte est 10 fois plus salée que l’eau de la Mer Rouge.
– Des problèmes politiques : Israël refuse que les Palestiniens soient associés au projet, mais accepterait de leur allouer 50 millions de m³ d’eau par an (toujours cette volonté de contrôler la ressource…)

Le réseau d’eau palestinien est vétuste : de l’ordre de 20 à 40 % de pertes (mais NIMES il y a quelques années avait un taux de perte de 40 %). Une partie de cette vétusté tient au fait qu’Israël n’autorise pas les travaux de remise à niveau.

source : AFPS Versailles

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