La colonisation grignote aussi Jérusalem-Est

vendredi 7 avril 2017

Le gouvernement israélien a approuvé à l’unanimité, jeudi 30 mars, la création d’une nouvelle implantation juive en Cisjordanie, dans le secteur d’Emek Shilo, une première depuis 1999. Dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, des organisations juives achètent des maisons depuis plusieurs décennies. Une entreprise qui éloigne chaque jour un peu plus la perspective d’une solution à deux États.

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Silwan (Jérusalem-Est), envoyée spéciale.- Ce jeudi 30 mars, le gouvernement israélien a approuvé à l’unanimité la création d’une nouvelle implantation juive en Cisjordanie, dans le secteur d’Emek Shilo, une première depuis 1999. Selon le premier ministre, Benjamin Netanyahou, il s’agit de concrétiser l’engagement pris pour reloger les colons d’Amona, évacués du site jugé illégal par la Cour suprême israélienne car se trouvant sur des terrains privés palestiniens. « J’ai promis d’établir une nouvelle implantation. Nous tiendrons cette promesse aujourd’hui », avait-il annoncé dans la journée. Les constructions effectuées dans les sites existants ont porté à 400 000 le nombre d’Israéliens vivant en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël lors de la guerre des Six-Jours en 1967 et peuplé de 2,8 millions de Palestiniens.

À Jérusalem-Est, où les positions israéliennes n’ont cessé de se renforcer depuis 1967, vivent déjà plus de 200 000 Juifs. Ramot, Pisgat Ze’ev ou encore Gilo : on ne compte plus les colonies juives construites en périphérie de la ville et désormais considérées comme de simple banlieues. Mais cette présence juive a également progressé à l’est de la ligne verte, dans les zones habitées par les Palestiniens, au cœur même du quartier musulman de la vieille ville et au sein de plusieurs quartiers arabes voisins. Selon Ir Amim, ils seraient 2 800 (en augmentation de 40 % depuis 2009) rien qu’à Silwan et dans les quartiers palestiniens voisins qui constituent ce qui est appelé le “bassin sacré”.

JPEG - 122.1 ko Les fouilles de la cité de David, en contrebas de la mosquée Al-Aqsa. © Chloé Demoulin.

En passant la porte des Maghrébins, en contrebas des murailles sud de la vieille ville, impossible de la louper. Ir David (la Cité de David) constitue une des nouvelles attractions touristiques de Jérusalem. Ce parc archéologique de 24 000 m2 est présenté comme le berceau antique de la ville trois fois sainte, où se serait installé le roi David après avoir quitté Hébron il y a 3 000 ans.

« Un demi-million de personnes visitent ce parc chaque année, y compris des scolaires, des soldats israéliens, des touristes. Mais l’histoire qu’on leur propose est racontée par des colons qui œuvrent chaque jour pour déplacer les Palestiniens et prendre le pouvoir sur le quartier », dénonce Betty Herschman, membre de l’ONG Ir Amim, qui milite pour faire de Jérusalem “une ville plus équitable” pour les Israéliens et les Palestiniens. « La plupart des gens ne vont pas plus loin, et ils ne peuvent pas être témoins de l’immense pauvreté qui règne dans le reste de Silwan. »

Ce que la majorité des visiteurs ignorent, c’est en effet que la Cité de David s’érige au sein du quartier arabe de Silwan, où vivent 50 000 Palestiniens. De larges murs et des grilles, surmontés de caméras, séparent le parc du reste du quartier. « Ils ont dit qu’ils feraient un parc pour tout le monde. Mais aujourd’hui, ni moi ni mes enfants ne pouvons y aller », regrette Fakhri Abu Diab, représentant du comité de défense des résidents palestiniens de Silwan. Cet ancien comptable de 55 ans, père de 5 enfants, assiste depuis des années, impuissant, au grignotage de Silwan par les Israéliens.

Pour Betty Herschman, la Cité de David n’est rien de moins qu’une « immense colonie touristique ». Depuis 1991, 30 familles juives se sont d’ailleurs installées et vivent dans l’enceinte du parc, au sommet duquel flotte un drapeau israélien. Le site archéologique est administré par la Fondation Ir David, plus connue sous le nom de Elad : une organisation nationaliste juive qui s’est donné pour mission de « renforcer une connexion juive avec Jérusalem ». Le groupe a aussi acheté plusieurs maisons individuelles aux abords de la Cité de David, également louées à des Juifs, dans le but non dissimulé de “judaïser” cette partie de Jérusalem-Est.

Ir Amim a publié un rapport en 2009 sur les méthodes qui ont permis progressivement à Elad de s’implanter à Silwan. Jusqu’au début des années 90, l’organisation dispose d’un allié de taille : le Fonds national juif, qui revendique plusieurs terrains lui ayant appartenu dans la zone avant 1948. Mais surtout d’un outil majeur : la “loi sur les propriétés des absents” adoptée en 1950. Le texte permet à l’État hébreu de confisquer les terres ou les maisons appartenant aux Arabes qui ont quitté Israël pendant la guerre d’Indépendance.

Certains des documents et des témoignages présentés par Elad pour obtenir ces propriétés « se sont révélés invérifiables » et n’ont même pas été authentifiés par le ministère des finances, dépositaire du cadastre, note le rapport d’Ir Amim. Avec l’aval du ministère du logement et de la construction israélien, alors dirigé par Ariel Sharon, Elad et le Fonds national juif vont ainsi se saisir de larges pans de Silwan, en échange de sommes dérisoires. « Elad a bénéficié du soutien direct de toutes les armes institutionnelles de l’État », constate Betty Herschman.

JPEG - 133.2 ko Trente familles juives vivent dans la Cité de David. © Chloé Demoulin

En 1992, avec l’arrivée d’Yitzhak Rabin au pouvoir, le vent tourne. Une commission diligentée par le ministère des finances met à jour l’entreprise menée par Elad et suspend l’application de la loi de 1950 sur les propriétés des Palestiniens de Jérusalem-Est vivant désormais en Cisjordanie. Mais l’organisation ne renonce pas. Elle achète désormais les maisons directement aux Palestiniens et use, pour y parvenir, de procédés beaucoup moins avouables. Ir Amim cite par exemple une vente annulée en raison de la production de faux documents ou encore l’usage de pressions pour forcer la main aux habitants les plus réticents. Elad aurait notamment pris l’habitude de se renseigner sur les familles de Silwan et de jouer sur leurs querelles internes, par exemple entre deux héritiers, pour faciliter la vente.

En dépit des preuves glanées par ses détracteurs, le fondateur et président de la Fondation Ir David, David Be’eri, a toujours démenti l’usage de tels procédés : « Jusqu’à ce jour, nos achats ont été contestés légalement des douzaines de fois et aucun doute n’a été soulevé sur notre conduite, pas une fois », assurait-il notamment dans un article paru en 2008 dans le journal Maariv.

À la fin des années 1990, le transfert du parc national de la Cité de David (jusqu’ici géré par la Direction de la nature et des parcs d’Israël) sous le contrôle exclusif d’Elad vient couronner les efforts de l’organisation. « On pourrait parler de soft power, mais c’est bien plus que cela : ils manipulent la façon dont les gens voient Jérusalem dans le contexte du conflit », dénonce Betty Herschman.

Non contente d’avoir trouvé une place de choix dans les cartes touristiques distribuées par la municipalité de Jérusalem, la Fondation Ir David reçoit aujourd’hui un soutien financier et moral affiché de la part du gouvernement israélien. Selon le rapport d’Ir Amim, le ministère du logement israélien a notamment déboursé 20 millions de shekels (soit plus de 5 millions d’euros) en 2005 pour payer la société privée chargée de la sécurité de la Cité de David. Le fondateur d’Elad, David Be’eri, a par ailleurs été désigné pour recevoir le Israel Prize for Lifetime Achievement 2017, l’une des plus hautes distinctions distribuées chaque année par l’État israélien. En annonçant la sélection, l’actuel ministre de l’éducation et fervent supporter de la colonisation, Naftali Bennet, n’a pas tari d’éloges à son endroit : David Be’eri est « parmi les plus grands constructeurs de la Jérusalem moderne », a-t-il jugé.

Si la fondation Ir David reçoit les honneurs officiels du gouvernement Netanyahou, son fonctionnement, surtout financier, n’en reste pas moins opaque. Pendant des années, Elad a joui d’une dérogation pour ne pas divulguer les noms de ses donateurs, au motif que de telles informations auraient pu porter préjudice à ces derniers ou à l’organisation elle-même. À la suite de pressions, la fondation a toutefois consenti en 2016 à rendre ses comptes publics. Résultat : avec 450 millions de shekels (soit 114 millions d’euros) de dons entre 2006 et 2013, Elad s’avère être une des ONG les plus prospères d’Israël.

Dans la liste de ses contributeurs, l’Association américaine des amis d’Ir David, une association des amis de l’armée israélienne basée à Miami ou encore une compagnie britannique liée au milliardaire russe Roman Abramovich, connu pour être le propriétaire du club de foot de Chelsea. Mais un article publié en mars 2016 par le quotidien Haaretz a dévoilé que la majeure partie des donations reçues par Elad provenait de sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux, notamment aux Bahamas, dans les îles Vierges ou aux Seychelles. Il est donc impossible d’identifier leur provenance exacte.

À Silwan, la Cité de David n’est pas la seule source d’inquiétude pour les Palestiniens. Fakhri Abu Diab nous entraîne à l’ouest du parc, dans une autre partie du quartier appelé Al-Bustan (le jardin, en arabe). Il attire notre attention sur les ruelles délabrées et souvent jonchées d’ordures, dont la municipalité de Jérusalem ne s’occupe pas. Il raconte aussi l’interdiction qui est faite aux Palestiniens de construire tout nouveau logement. « Quand nous bâtissons de petites maisons pour nous, la mairie nous dit que c’est illégal. Et ils viennent les détruire », souffle-t-il face aux ruines de la maison de son cousin, voisine de la sienne et rasée par des bulldozers il y a quatre ans. Fakhri Abu Diab en est convaincu : « Les Israéliens ont un agenda politique. Ils veulent nous pousser dehors. »

JPEG - 151.7 ko La maison du cousin de Fakhri Abu Diab, rasée il y a 4 ans. © Chloé Demoulin

De fait, plus de 50 maisons sont ici sous la menace d’un ordre d’expulsion. Des maisons majoritairement construites après 1948 par des Palestiniens ayant fui Jérusalem-Ouest. Depuis 2005, la mairie de Jérusalem projette de démolir la zone entière, considérée comme l’emplacement où s’étendait originellement le parc du roi Salomon, pour y dresser un jardin biblique. « Bien sûr que nous voulons des jardins pour nos enfants, mais pas sur nos maisons ! », s’indigne Fakhri Abu Diab. Interpellé par cette situation ubuesque, un professeur en architecture et en urbanisme de l’Institut technologique Technion de Haïfa, Yosef Jabareen, a élaboré un projet alternatif. Soutenu par l’ONU, le plan prévoit notamment le déplacement des maisons palestiniennes en arc de cercle autour du futur parc. Il a toutefois été rejeté par la mairie de Jérusalem.

JPEG - 109.7 ko Fakhri Abu Diab devant sa maison à Silwan, le 22 mars 2017. © Chloé Demoulin

Fakhri Abu Diab nous emmène enfin face à une troisième partie de Silwan, appelée Batan Al-Hawa. Là encore, impossible de louper l’imposante bannière aux couleurs du drapeau israélien déroulée sur la façade d’une des maisons où vit désormais une famille juive. Dans cette zone, les bannières de ce type poussent comme des champignons depuis 2004. Une autre organisation nationaliste juive, nommée Ateret Cohanim, y a entrepris l’acquisition de six terrains entiers ces dernières années et y a installé au total plus de 19 familles juives, réparties dans cinq bâtiments. Elle projette également d’y construire un bâtiment de trois étages dédié à de nouveaux habitants juifs. Un plan approuvé en décembre 2016 par la municipalité de Jérusalem, avec l’aval du premier ministre, Benjamin Netanyahou. Et cela en dépit du vote par le Conseil de sécurité de l’ONU, quelques jours auparavant, d’une résolution exigeant l’arrêt de la colonisation israélienne à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.

Ateret Cohanim est connu pour être un des acteurs majeurs de l’installation d’une communauté juive au cœur même du quartier musulman de la vieille ville de Jérusalem. Le journal Haaretz a récemment révélé que l’organisation compte parmi ses donateurs l’avocat d’affaires David Friedman, récemment confirmé au poste d’ambassadeur américain en Israël et déjà connu pour ses largesses financières envers la colonie de Beit El, située près de Ramallah, en Cisjordanie.

« Je ne vois pas ce qu’il y a de mal », rétorque benoîtement Daniel Luria, directeur exécutif d’Ateret Cohanim. « Nous reprenons les endroits dont nous avons été chassés. Nous allons doubler et même tripler notre présence à Jérusalem, de façon légale », tient-il à préciser. Il nous a donné rendez-vous au centre de Jérusalem, près du siège de l’organisation, dont il préfère garder l’adresse secrète. Messianisme chevillé au corps, ce juif pratiquant, kippa sur la tête, conçoit Ateret Cohanim comme une « agence immobilière sacrée » qui permet au « rêve sioniste » de se perpétuer. « Ce rêve ne s’est pas arrêté en 1948 ni en 1967 », lance-t-il. Daniel Luria le clame toutefois à qui veut bien l’entendre : il croit à la « coexistence entre Juifs et Arabes ».

« Cette entreprise de colonisation n’est pas aussi naïve et innocente qu’Ateret Cohanim veut bien la présenter, réagit Laura Wharton, engagée au Meretz (parti de gauche) et membre du conseil municipal de Jérusalem. Même si les habitants juifs disent qu’ils veulent vivre en paix avec leur voisins arabes, les gens qui financent et promeuvent l’installation de colonies au sein des Territoires palestiniens savent pertinemment qu’il s’agit d’une provocation, qu’ils ne sont pas les bienvenus et qu’ils ne seront pas autorisés à rester là dans le cadre d’un futur plan de paix », juge-t-elle. Et d’insister : « Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’il ne s’agit pas d’une question de religion, mais des lois internationales : les Israéliens ont le droit de vivre partout ailleurs, mais pas ici. »

En se baladant dans Silwan, difficile de croire que les habitants juifs, qui se déplacent en voiture blindée, se sentent en harmonie avec leurs voisins palestiniens. Aucun d’entre eux n’a accepté d’être interviewé. « Ils ne parlent à personne, pas même aux journaux de droite. Ils veulent juste vivre paisiblement », justifie Daniel Luria. Plus tard dans la conversation, le directeur exécutif d’Ateret Cohanim dépeint pourtant une situation intenable. « Nous avons une famille qui a été attaquée 126 fois par des Palestiniens en un mois », raconte-t-il, citant des jets de pierre et de cocktail Molotov. D’après Ir Amim, le ministère israélien du logement a alloué près de 100 millions de shekels (soit 25 millions d’euros) par an en 2015 et 2016 à une compagnie privée dédiée à la sécurité des colons vivant dans le quartier. Daniel Luria finit par l’avouer : il serait lui-même incapable de vivre à Silwan, « dans un endroit où il y a autant de haine et de violence physique ».

« Nous ne sommes pas contre le fait de vivre à côté des Juifs », se défend Fakhri Abu Diab. « J’ai des amis juifs. J’ai des voisins chrétiens. Mais nous ne pouvons pas vivre en paix avec des gens qui ne veulent pas de nous ici, qui veulent détruire nos maisons, qui disent que nous n’avons aucun droit, aucune histoire », explique-t-il. Pour le représentant des habitants de Silwan, ce sont les colons et l’État israélien, par leur attitude vis-à-vis des Palestiniens, qui « poussent au radicalisme et au terrorisme ». « Nous prônons la non-violence. Nous expliquons à nos enfants que nous pouvons vivre ensemble en paix. Mais que pensent-ils quand ils voient leurs maisons démolies par les bulldozers et ces nouvelles colonies construites un peu partout ? Ils n’ont plus d’espoir », lâche le père de famille.

Dans un rapport publié en mai 2016, Ir Amim et l’ONG La Paix Maintenant dénoncent la façon dont Ateret Cohanim est parvenu à s’implanter à Batan Al-Hawa, avec le soutien de l’État israélien. Le document décrit des méthodes assez semblables à celles utilisées par Elad. D’abord le recours à la loi de 1950, réactivée au milieu des années 90. « Même les Britanniques avaient reconnu que cette zone appartenait aux Juifs », explique Daniel Luria, soulignant que Batan Al-Hawa s’élève sur les vestiges d’un « vieux village juif yéménite ». Une thèse confortée par le jugement qu’a émis la Cour suprême israélienne en avril 2015. À la suite d’une longue bataille judiciaire, deux familles palestiniennes de Silwan ont ainsi dû évacuer l’emplacement où se trouvait autrefois une synagogue. Et cela, au profit de la Benvenisti Trust, un trust juif qui détenait les titres de propriété du terrain à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. « C’est la première fois que de l’argent n’a pas changé de mains », fait remarquer Daniel Luria, précisant que les Palestiniens ont refusé le dédommagement que leur avait offert Ateret Cohanim.

Ir Amim et La Paix Maintenant soupçonnent néanmoins Ateret Cohanim de tenir un rôle actif dans le processus d’expulsion des propriétaires palestiniens et d’avoir forcé la main à plusieurs d’entre eux pour qu’ils acceptent de vendre. « Leur influence est telle qu’ils se sont fait élire au conseil d’administration du Benvenisti Trust », raconte Betty Herschman. « Ils jouent au maillon faible avec les propriétaires palestiniens. Ils vont mettre la pression sur un neveu qui n’est même pas habilité à vendre, sur quelqu’un de fragile psychologiquement ou simplement sur des gens pour qui l’argent est attractif », poursuit la militante. « Les Palestiniens sont confrontés à un choix cruel : doivent-ils prendre l’argent, ou dépenser des sommes faramineuses en avocat et en frais de justice pour continuer à se battre, au risque de finalement tout perdre ? »

JPEG - 145.6 ko Un drapeau israélien a été déployé sur la façade d’une des maisons achetées à Silwan par Ateret Cohanim. © Chloé Demoulin

Daniel Luria nie, lui, toute pression. « Personne ne force les Arabes à vendre », jure-t-il. Le directeur exécutif d’Ateret Cohanim prétend même crouler sous les demandes de Palestiniens voulant céder leurs maisons. Rappelant que son organisation ne joue qu’un rôle d’intermédiaire, il explique mettre au point les transactions entre les vendeurs palestiniens et les acheteurs juifs internationaux, qui louent ensuite les maisons acquises. Comme dans le cas d’Elad, impossible de connaître la réelle identité des acheteurs juifs. « 40 % sont israéliens, 30 % viennent du monde entier », estime à la louche Daniel Luria. Impossible aussi de savoir le montant exact des transactions. Les « prix sont majorés de 30 % à 70 % au-dessus » du prix du marché, évalue Daniel Luria. « Cela dépend si le vendeur arabe a un statut de locataire ou de propriétaire, de quel milieu il vient ou s’il veut partir à l’étranger avec sa famille. »

Pour justifier l’opacité qui entoure ces transactions, Daniel Luria invoque également la nécessité de protéger l’identité des vendeurs palestiniens. En plus d’être perçus comme des “traîtres” par leur entourage et les autres habitants de leur quartier, ces derniers risquent de lourdes sanctions de la part de l’Autorité palestinienne. Après l’installation retentissante de nouvelles familles juives à Silwan en 2014 par Ateret Cohanim, Mahmoud Abbas a annoncé le renforcement des mesures prises à l’encontre des Palestiniens se rendant coupables de telles transactions. Ils encourent désormais une peine de travaux forcés à vie. Le sujet est si sensible que Fakhri Abu Diab, malgré notre insistance, refuse de l’aborder. « Je ne veux pas parler de ça », balaie-t-il.

Parallèlement, Laura Wharton regrette que la mairie de Jérusalem ne s’investisse pas assez dans le développement de Silwan. Pour preuve, elle cite le dernier budget adopté par le conseil municipal : « Toutes les enveloppes allouées à Jérusalem-Est en termes de routes, d’écoles ou d’accompagnements des plus âgés sont sous-estimées par rapport aux besoins des Palestiniens », déplore-t-elle.

La mairie s’en tient visiblement au strict minimum, parfois motivée par des enjeux politiques. Fakhri Abu Diab nous montre par exemple le terrain de foot flambant neuf construit à quelques pas de chez lui. À travers le grillage qui l’entoure, on peut apercevoir des poubelles frappées d’un lion, l’emblème de la municipalité de Jérusalem. « La mairie a accepté de terminer le projet quand elle a su que la première partie avait été financée par le Mouvement islamique », une organisation liée aux Frères musulmans et interdite en Israël depuis 2015 pour incitation à la haine, précise l’ancien comptable.

JPEG - 117.6 ko Le terrain de foot d’Al-Bustan, financé en partie par la mairie de Jérusalem. © Chloé Demoulin

Au manque d’investissement financier s’ajoute une lourde présence policière et militaire. En contrebas de Silwan, des patrouilles viennent de bloquer une route, comme elles le font quasi quotidiennement, pour contrôler les véhicules et l’identité de leurs occupants palestiniens. L’endroit est facilement reconnaissable aux drapeaux verts du Hamas, lestés de parpaings, qui pendent en l’air sur des fils électriques. Ce sont les restes des affrontements qui éclatent régulièrement entre habitants et forces de sécurité.

Face à ce nouveau contrôle, qu’il juge destiné à « faire peur aux Palestiniens », Fakhri Abu Diab s’empresse de sortir son appareil photo et de prendre des clichés des soldats israéliens en action. Immédiatement repéré par les militaires, il est sommé d’effacer les prises de vue. « Si je n’avais pas été accompagné, ils m’auraient arrêté, ça m’arrive tout le temps », confie-t-il. Renseigné sur notre qualité de journaliste et sur notre identité française, les soldats en question se gardent bien de nous adresser la parole. L’un d’entre eux, dans un sourire narquois, nous traite toutefois à plusieurs reprises de “smolani”, une expression qui signifie “gauchiste” en hébreu.

Chaque jour s’éloigne un peu plus la perspective de la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël, avec pour capitale Jérusalem-Est. « Les colons servent d’avant-postes pour consolider le contrôle israélien de ces zones avant toute négociation de paix. Plus ils peuvent prendre de terrain dans les faits, plus ils auront le pouvoir », analyse Betty Herschman. Loin de démentir cette intention, Daniel Luria imagine, lui, un futur dans lequel Juifs et Arabes vivront en paix, côte à côte à Silwan, mais « sous souveraineté israélienne », souligne-t-il.

Chloé Demoulin pour Mediapart

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