La lutte du peuple palestinien pour son auto-détermination est une lutte qui concerne toute l’humanité

mercredi 29 juin 2016

Le 25 mai 2016, lors du procès fictionnel de l’antiracisme politique, Leyla Larbi a dû répondre des accusations suivantes : ressasse sans cesse le passé colonial de la France, appelle à la discrimination de l’État d’Israël et cache un antisémitisme certain sous son antisionisme. Nous publions ici sa plaidoirie.

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En 1975, l’idéologie sioniste a officiellement été reconnue comme une idéologie raciste. Ce ne sont pas les « vilains antisionistes » qui le disent, c’est le « Monde » (soi-disant) représenté par l’Assemblée Générale des Nations-Unies. Donc sionisme = racisme. Ça parait pourtant clair dit comme ça ! Or c’est bien le contraire que le discours dominant véhicule, à savoir : l’antisionisme serait du racisme, et même pire de « l’an-ti-sé-mi-ti-sme ».

Pour ne pas attaquer l’idéologie sioniste, celle-ci est présentée comme un fondement essentiel de la judéité. Tout juif est donc par essence un bon sioniste et si tel n’est pas le cas, il devra répondre de la trahison faite à sa race. Cette affirmation définissant ce que doit être un juif pour Israël, en plus d’être dangereuse, est fausse à deux égards : d’une part, tous les juifs ne vivent pas en Israël et ne soutiennent pas sa politique et, d’autre part, critiquer cette même politique coloniale ne signifie pas critiquer une population ou sa religion (réelle ou supposée).

Par conséquent, condamner Israël en tant que représentant légitime de la judéité, c’est d’une part faire le jeu du sionisme, et d’autre part, être antisémite. Condamner Israël, et non sa population juive, en tant qu’État colonisateur c’est aussi « être antisémite ». Notre seul choix : approuver les crimes, baisser la tête, disparaître.

A titre de comparaison, ces mêmes éléments ont été utilisés il y a quelques siècles de l’autre côté de l’Atlantique. L’extermination des Natifs des Amériques a été amplement justifiée par le fait que leur résistance était définie comme une lutte raciale et dogmatique contre l’Église chrétienne blanche. Les desseins colonialistes, génocidaires et esclavagistes de ces conquistadors sont pourtant connus de tous et sont le fondement même de notre système capitaliste actuel.

Le véritable antisémitisme réside dans la justification-même de la création de cette entité : les juifs devaient forcément vivre entre eux et loin des européens pour pouvoir vivre en toute sécurité. Ces « juifs », pourtant rien d’autres que des européens, ont été considérés comme « inassimilables » à l’Europe blanche et chrétienne. C’est cet antisémitisme européen séculaire qui a été plaqué comme grille d’analyse du monde arabe, où l’Histoire prouve pourtant sur des siècles la vie commune menée entre musulmans, juifs et chrétiens.
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La lutte du peuple palestinien pour son auto-détermination est une lutte qui concerne toute l’humanité. Le conflit est ethnicisé, dogmatisé, communautarisé, afin d’en dissimuler sa vraie nature : coloniale, raciste, et pièce maîtresse de la lutte hégémonique occidentale. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un conflit mais d’une occupation. D’une guerre de colonisation de peuplement violente et sournoise, de blocus, de la négation de l’humanité, de meurtres, d’expropriations, de destructions, d’emprisonnements massifs, de discriminations, d’humiliations…

Israël viole depuis toujours en toute impunité tous les textes internationaux et continue à le faire outrageusement. Face à cela, le mouvement BDS, lancé par la société civile palestinienne, est un moyen d’agir pour celles et ceux en dehors de Palestine. Utilisant des outils juridiques, dont nos détracteurs souhaitent tant nous déposséder, il est un moyen non-violent de rassembler les citoyens du monde entier pour manifester leur solidarité avec les Palestiniens en demandant légitimement qu’Israël cesse ses violations de la législation internationale et des Droits de l’Homme.

Mais notre soutien au BDS ne minimise pas ou n’invisibilise pas notre soutien inconditionnel à toutes les autres formes de résistance du peuple Palestinien, dont l’Intifadha, que le Labo Décolonial et Génération Palestine Bordeaux relaient sur la place publique.

Face aux nombreuses avancées du BDS et au renouveau de la mobilisation, le gouvernement français condamne comme jamais le soutien du peuple français envers le peuple palestinien. Il réaffirme sa collaboration avec la politique raciste et coloniale israélienne, et criminalise toute expression de notre solidarité.
A la demande d’Israël, des gouvernements européens, dont le Royaume-Uni et la France, introduisent une législation anti-démocratique et prennent des mesures répressives pour saper le mouvement BDS. En France, une militante a été arrêtée simplement parce qu’elle portait un t-shirt BDS , des menaces de morts sont proférées contre les militant-e-s BDS et ce, par des hauts responsables israéliens...

Valls, en chef de file, vise à décrédibiliser ce soulèvement populaire en associant « antisionisme à antisémitisme », tout comme il ne ressent nulle honte à qualifier « l’État d’urgence d’État de Droit » ! Valls qui, lors de ces messes avec le CRIF, stigmatise les « quartiers populaires », synonymes d’arabes et musulmans, en insultant sa jeunesse « radicalisée » et « antisémite ».

La criminalisation de l’antisionisme s’inscrit pleinement dans la logique d’un État français en plein déni de son passé colonial et qui refuse toute réflexion sur les conséquences actuel d’un tel système de domination. Pour l’État, les discriminations systémiques auxquelles font face aujourd’hui les descendants de l’immigration postcoloniale ne sauraient avoir une explication historique et politique. Ne jamais oublier que l’inégalité, en Palestine comme ici, est un choix stratégique.

Car laissez-moi vous dire que :
*Quand on vient d’un quartier dont la densité de population est la même que celle de Gaza,
*Quand on est séparé de la zone de droit, de l’expression du politique, de l’emploi, de la culture avec un grand Q, pas par un mur ou un check-point, mais par un périphérique ou une adresse,
*Quand on vit dans un État où on est pris pour cible par les forces de l’ordre car coupable d’être Arabe, Noir ou Musulman,
*Quand on subit discriminations et humiliations à chaque étape de nos vies,
*Quand tu es rationnellement écarté de toute prise de décision, pourtant te concernant,
*Quand ton éducation est mise en péril pour ton propre bien au motif de valeurs universalistes excluantes,
*Quand demander le respect de ton humanité et de tes droits se solde par « mais je ne vois pas de quoi tu parles, en France on est tous égaux »,
*Quand ton histoire et celle de tes parents est occultée, niée et combattue au profit d’un mythe national fondateur dogmatique,
*Et quand enfin, tu tentes de te défendre toi-même et de t’organiser par tes propres moyens avec tes frères et sœurs de luttes, tu es taxé de personnalité « dangereuse et communautariste »,
Peut-être que là, tu peux comprendre pourquoi, nous habitants des quartiers populaires, jeunes et moins jeunes descendants de l’immigration postcoloniale, la Palestine ça nous parle autant.

C’est pour ça que nous ne pouvons pas appeler à la fin des inégalités produites par le capitalisme, le colonialisme, lutter efficacement contre le racisme, sans appeler à la libération de la Palestine, de tous les prisonniers politiques y compris celui détenu dans notre État depuis 32 ans, Georges Ibrahim Abdallah.

Madame la Juge, si la dignité et la solidarité sont un délit alors je plaide coupable. Et nous devrions toutes et tous être assignés à résidence et avoir notre fiche S, comme SOLIDARITÉ. Je propose même de créer la fiche R, comme RÉSISTANCE.

JPEG - 5.6 ko Leyla Larbi - Militante au Labo Décolonial
Le Labo Décolonial est un collectif non-mixte, composé de femmes de divers âges, origines et confessions, réunies dans un espace d’Action-Recherche qui évolue au sein de l’association Université Populaire de Bordeaux