Le désaccord des Palestiniens avec leurs dirigeants est à son comble alors que la violence augmente en Cisjordanie

samedi 19 février 2022

La déclaration de Ramallah concernant le gel de la coordination de la sécurité avec Israël a été accueillie avec scepticisme, alors que les violentes manifestations contre la hausse des prix reflètent l’influence limitée de l’Autorité palestinienne.

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Les déclarations contre Israël faites la semaine dernière par le Conseil central palestinien, qui s’est réuni pour la première fois en quatre ans, n’ont pas réussi à captiver les Palestiniens ordinaires, révélant le large fossé qui sépare les dirigeants de Ramallah, alors que la hausse des prix fait descendre la population dans la rue.

Les violentes manifestations et les affrontements dans les villes de Cisjordanie, dont Hébron, reflètent les difficultés de l’Autorité palestinienne à maîtriser la situation.

Le Conseil central palestinien, qui s’est réuni lundi, est la deuxième institution la plus importante de la direction palestinienne ; au-dessus se trouve le Conseil national palestinien, au-dessous le Comité exécutif de l’OLP. Ces trois entités constituent l’AP.

Le Conseil central s’est réuni dans l’ombre des luttes de pouvoir et des menaces des fonctionnaires de boycotter la réunion, en partie parce qu’ils ne pensaient pas que des décisions importantes seraient prises contre Israël.

En fait, les absents ont été nombreux. Comme prévu, les 141 membres du conseil ont approuvé la nomination de hauts responsables de l’AP, membres du cercle restreint du président palestinien Mahmoud Abbas.

Ces nominations sont destinées à renforcer Abbas, mais elles ont à peine été mentionnées dans le discours de clôture de la réunion. Au lieu de cela, le point fort a été une déclaration prétendument spectaculaire sur le gel des liens de sécurité avec Israël et des accords signés avec lui, y compris la reconnaissance d’Israël, tant qu’Israël ne reconnaît pas un État palestinien dans les frontières de 1967.

L’annonce, qui a été diffusée à la télévision palestinienne quelques heures après la réunion, a été moquée sur les médias sociaux palestiniens. Certains critiques ont comparé les déclarations de lundi à des décisions similaires dans le passé qui n’ont jamais été appliquées, comme en janvier 2018.

"En 2018, elle a résonné en raison de la crise avec l’administration Trump et le gouvernement Netanyahu. Il y avait une pression des entités internationales et arabes pour ne pas aller trop loin, et la question a attiré l’attention internationale", a déclaré un haut responsable du parti Fatah d’Abbas, qui contrôle l’AP.

"Cette fois, nous n’avons même pas eu cela. Tout a été perçu comme une déclaration laconique qui ne mènerait à rien. Il est clair qu’il n’y a pas de décision stratégique pour aller vers un point qui aurait une signification internationale - le démantèlement de l’AP. Chaque enfant de Cisjordanie sait que sans coordination de la sécurité, il n’y a pas d’AP."

"Coupé de la base"

Nasser al-Qidwa, ministre palestinien des Affaires étrangères et représentant de l’OLP auprès des Nations unies jusqu’à son expulsion du Fatah, fait partie de ceux qui ont appelé à un report ou à un boycott de la réunion du Conseil.

"Sous nos yeux, les plus hautes institutions du peuple palestinien s’effondrent", a déclaré al-Qidwa, qui a été expulsé pour avoir planifié une liste rivale du Fatah lors des élections générales de mai dernier, qui ont été annulées.

"Cette bande est coupée de la base. Ils ne s’occupent pas de la création d’un État, mais de savoir qui obtiendra une carte d’identité palestinienne avec l’approbation d’Israël et qui recevra un salaire."

Nabil Amru, membre du Conseil central palestinien jusqu’à ce qu’il soit écarté il y a quelques années, tend à être d’accord. "On pourrait dire que la scission n’est plus le Hamas contre l’AP mais bien plus que cela", dit-il. "Cette crise ne profite à personne, ni à Israël non plus".

Selon Amru, "si Israël pense qu’il peut se reposer sur ses lauriers, il fait une grosse erreur, car personne ne sait quelles seront les implications." Al-Qidwa et Amru, qui ne sont plus membres d’un organe de décision, font partie des quelques sources haut placées qui ont accepté de s’exprimer officiellement.

Amru a ajouté qu’Abbas et les autres dirigeants palestiniens avaient une rare opportunité de s’extraire de la crise via des élections générales.

"Tout le monde voulait ces élections, 95 % des Palestiniens se sont inscrits pour voter parce qu’ils voulaient du changement et un processus démocratique", a-t-il déclaré. "Abbas laisse tout cela se gaspiller sur une revendication ou une autre, et cela a généré le dégoût de tout le monde - même de la communauté internationale, qui est déjà moins intéressée par la question palestinienne."

"Seule la protestation populaire peut être dissuasive"

Mais le public palestinien est sceptique. "Tout le monde sait qu’Israël fait ce qu’il veut au cœur du territoire palestinien, et que personne au sein de l’AP ne s’y opposera", a déclaré un militant du Fatah de la région de Naplouse.

"Ceux qui contrôlent les rues ces jours-ci ne sont pas les factions mais les hommes d’affaires. Le pouvoir économique est le moteur de tout le monde. Certes, les jeunes hommes armés ne manquent pas, mais on ne peut pas parler de milice organisée. Personne ne prend les différentes menaces très au sérieux."

Il a parlé à Haaretz après les funérailles de trois jeunes hommes des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, la branche militaire du Fatah, qui ont été tués mardi par les forces spéciales israéliennes lors d’une opération d’arrestation dans la ville.

L’incident a rendu furieuse la population de Cisjordanie et de Gaza. Des hommes armés ont tiré en l’air et les factions de Gaza ont publié des déclarations belliqueuses. Le calme a finalement été rétabli, et Abbas a même promis que "nous ne laisserons pas cela se reproduire".

Hébron a également été au centre de manifestations et d’affrontements ; au début de la semaine, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre le coût élevé de la vie. Certains observateurs considèrent qu’il s’agit d’une protestation populaire, tandis que d’autres y voient une initiative des candidats en vue des élections locales du mois prochain. Les dirigeants palestiniens la qualifient de temporaire et ne sont pas pressés de mettre fin à la hausse des prix.

Selon un haut fonctionnaire du gouvernement, les dirigeants ont les mains liées. "L’absence d’indépendance économique et la dépendance à l’égard d’Israël ne nous laissent pas de marge de manœuvre", a-t-il déclaré. "Seule la protestation populaire peut être dissuasive, mais cela pourrait conduire à une perte de contrôle".

Alors qu’à Hébron, les gens s’inquiètent de la hausse des prix, un autre problème est l’affrontement entre clans dans la ville. Les caméras captent les combats de rue et les échanges de tirs sans intervention des forces de sécurité ou de la police palestiniennes. L’utilisation d’armes à feu dans ces conflits est devenue courante, la capacité d’intervention de l’AP étant limitée.

À Naplouse, les gens parlent de l’attitude différente et de l’histoire des trois jeunes hommes. "Aucun d’entre eux n’avait de soutien politique ou économique et ils n’avaient nulle part où gagner leur vie", a déclaré un homme qui les connaissait. "L’un d’eux a même vendu son fusil pour acheter quelque chose de plus petit afin d’avoir un peu d’argent supplémentaire. Maintenant, tout le monde les embrasse."

Traduction : AFPS