Le monde abandonne les Palestiniens à la veille de l’annexion

samedi 11 juillet 2020

Pour la Palestine, le monde est actuellement au moment du « squeaky bum time » « Le temps des culs grinçants »[1], selon les mots de celui qu’on peut légitimement considérer comme le plus grand entraîneur de football de tous les temps.

Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a promis de commencer en juillet à saisir ce qu’il a décrit sans honte comme une « opportunité historique » : l’annexion officielle par Israël de larges pans de la Cisjordanie occupée.

L’armée israélienne commence ses préparatifs, tandis que les colons israéliens sont en colère au motif que l’annexion proposée n’ira pas assez loin.

JPEG - 140 ko Un homme proteste contre le projet d’Israël d’annexer des pans de la Cisjordanie qui laisseront les Palestiniens des zones concernées sans citoyenneté. Shadi Jarar’ah/ APA images

Face à cette intention évidente, plusieurs pays, des acteurs politiques et des acteurs internationaux ont fait part de leurs protestations. La Grande-Bretagne « ne soutiendra pas » l’annexion, et la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Irlande ont tous évoqué des mesures économiques punitives en réponse.

Joe Biden, le candidat démocrate présumé à la présidence des États-Unis, veut faire pression sur Israël pour qu’il ne prenne aucune mesure « rendant impossible la solution de deux États ».

La Jordanie a protesté avec véhémence et les pays du Golfe ont eux aussi tiré la sonnette d’alarme. L’annexion constituerait « un sérieux revers pour le processus de paix », selon le ministre des affaires étrangères des Etats Arabes Unis, Anwar Gargash.

L’Arabie Saoudite a émis des protestations similaires.

Nickolay Mladenov, de l’ONU, a exhorté Israël à « abandonner les menaces d’annexion » ; si, selon lui, l’annexion se faisait, cela constituerait une violation « très grave » du droit international.
Que des mots

La Chine étant « profondément préoccupée », la Russie s’y opposant fermement et même le Vatican mettant en garde contre l’annexion, il semblerait qu’il existe un solide bloc d’opposition mondiale aux plans d’Israël.

Et pourtant. Rien de tout cela ne dissuade Israël, car des plans d’annexion de plus en plus détaillés commencent à émerger.

Le gouvernement israélien a été très franc en affirmant que les Palestiniens vivant dans les zones qu’il va annexer – que l’on estime à 30 % de ce qui reste de la Cisjordanie (en dehors de Jérusalem-Est), avec les principaux blocs de colonies et la vallée du Jourdain – ne deviendront pas citoyens et devront au contraire continuer à se contenter de droits et d’un statut civils de deuxième ou troisième classe.

Israël se tiendra également à l’écart des villes et autres grands centres de population palestiniens, laissant certains d’entre eux entièrement entourés par ce qui deviendrait un territoire souverain israélien.

Israël est confiant et transparent sur ses projets, car il bénéficie du soutien de Washington. Les responsables israéliens ont clairement indiqué que l’annexion en cours suivra les grandes lignes du plan de paix dit « Trump », du nom du président américain Donald Trump, conçu par son beau-fils Jared Kushner et dont l’auteur réel, selon certains Israéliens d’extrême droite, est Netanyahou.

Israël ne se préoccupe vraiment que de l’opinion américaine. Et si l’opinion américaine change – comme le suggèrent certains rapports – cela pourrait ralentir l’annexion.

Mais l’annexion n’est pas une invention soudaine de Trump ou de Netanyahou. C’est l’intention d’Israël depuis qu’il a occupé la Cisjordanie en 1967 – et vraisemblablement avant – et l’administration Trump ne fait que fournir une voie claire, là où les administrations américaines précédentes insistaient sur une annexion rampante pour sauver les apparences.

La fin d’un paradigme

Le processus de paix parrainé par les Etats-Unis, qui a suivi la signature des accords d’Oslo en 1993 n’a jamais été, en réalité, qu’un débat entre les partisans d’Israël aux États-Unis et les dirigeants israéliens. La question débattue était de savoir combien de terres supplémentaires Israël allait prendre et dans quelles circonstances.

Les responsables de l’Autorité palestinienne continuent d’espérer- en public du moins – que l’aide est disponible ailleurs. Le chef de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, a maintes fois exigé un processus de paix dirigé par la communauté internationale pour remplacer celui qui est dominé par les États-Unis.

Mais les pays européens n’interviendront pas. La France et d’autres pays peuvent parler de mesures punitives, mais pour que l’UE agisse collectivement, les 27 pays membres doivent tous être impliqués. Les alliés d’Israël, comme la Hongrie et la République tchèque, pourraient bloquer même les discussions préparatoires sur les sanctions et épargner ainsi à leurs grands alliés comme l’Allemagne – qui prétend publiquement soutenir le droit international – toute gêne à protéger les violations commises par Israël.

Le Royaume-Uni, qui a trahi la Palestine, peut dire qu’il considère une nouvelle annexion comme une violation du droit international, mais il ne va pas non plus prendre de mesures. Boris Johnson, le premier ministre britannique, s’est vu offrir plusieurs occasions de présenter la manière dont le Royaume-Uni défendra le droit international, mais il a refusé de donner des détails.

La Russie et la Chine sont occupées par leurs propres sphères d’influence et les pays arabes – de la Jordanie au Golfe – sont trop dépendants du soutien militaire américain pour s’écarter de la ligne de conduite.

Donc, tous ces pays serrent les fesses, alors que la fin du paradigme d’Oslo met en évidence leur impuissance face à Israël.

Les Palestiniens doivent se débrouiller seuls. Les responsables palestiniens savent où le vent souffle, mais ils expriment en privé leurs craintes qu’abandonner l’Autorité Palestinienne, comme le nécessiterait la fin du paradigme d’Oslo, ne compromette la possibilité d’un leadership palestinien unifié.

Sans l’AP, selon cet argument, Israël est libre de diviser les Palestiniens en donnant aux hommes forts locaux, dans des lieux séparés, le pouvoir de maintenir l’ordre en échange de petits intérêts personnels et de la capacité de récompenser la loyauté par des faveurs- en gros, en entrant dans le rôle que l’AP a joué jusqu’à présent, à contrecœur ou non.

Mais c’est à cela que les Palestiniens de demain devront faire face, divisés comme ils le sont déjà. De plus, de telles tactiques de cantonnement ne sont finalement pas viables pour Israël qui, s’il veut s’assurer une « victoire » totale, devra s’engager dans un nouveau cycle de nettoyage ethnique massif, dépassant celui de 1947-49.

Cela peut être ou non du goût d’Israël. Pour les Palestiniens, toute direction, existante ou émergente, qui veut unifier et inspirer son peuple, doit commencer par reconnaître que les anciennes méthodes sont dépassées.

C’est une nouvelle lutte ancienne qui s’impose aux Palestiniens ; elle commence par le maintien du peuple sur sa terre et doit se terminer par une lutte pour la liberté et l’affirmation des droits nationaux dans une Palestine unique, complète.
Par Omar Karmi,
Omar Karmi est un ancien correspondant du journal The National à Jérusalem et Washington, DC
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source : The Electronic Intifada

[1] « Le temps des culs grinçants » : Cette expression est apparue au Royaume-Uni lors des phases finales du championnat de football de Première ligue en 2003, alors que les grands rivaux Arsenal et Manchester United étaient tous deux en lice pour remporter le championnat. La formule est généralement attribuée au manager de United, Sir Alex Ferguson, et est souvent citée comme un exemple des « jeux d’esprit » notoires auxquels lui et son adversaire, Arsene Wenger, se sont livrés. L’allusion est dû au bruit que l’on fait en se tortillant sur son siège alors que la situation de son équipe s’améliore ou se dégrade.