Le patriarche de Jérusalem appelle les chrétiens à embrasser la cause palestinienne

lundi 14 septembre 2020

UN CRI D’ESPÉRANCE : APPEL À UNE ACTION DÉCISIVE
NOUS NE POUVONS SERVIR DIEU ET L’OPPRESSION DES PALESTINIENS

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Nous, Kairos Palestine, ainsi que la coalition mondiale ‘Global Kairos for Justice’ née en réponse à l’appel du document Kairos Palestine « Un moment de vérité : Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne », nous lançons cet appel urgent aux chrétiens, aux Églises et aux organisations œcuméniques. Nous le faisons ensemble avec des chrétiens engagés en Palestine et dans le monde entier. C’est un appel à une action décisive sur un sujet qui, à notre avis, concerne les exigences fondamentales de notre foi chrétienne.

Nous sommes aujourd’hui à un moment décisif dans la lutte pour mettre fin à l’oppression du peuple palestinien. D’une part, l’adoption en 2018, par l’État d’Israël, de la loi sur l’État-Nation a légalisé la discrimination institutionnelle en Israël et dans les territoires palestiniens. Cette loi prive officiellement les Palestiniens de leurs droits à la vie, de leurs moyens de subsistance et d’un avenir dans leur patrie. D’autre part, des actes récents de l’administration américaine ont soutenu le projet persistant d’Israël de s’approprier des terres et de contrôler l’ensemble du territoire palestinien. Il s’agit notamment du déménagement de son ambassade à Jérusalem en 2018, de l’annonce, faite en 2019, que le gouvernement américain ne considérait plus les colonies en Cisjordanie comme « contraires au droit international », et du Plan Paix pour la Prospérité de 2020. Encouragé par ce soutien américain et enhardi par l’absence de réponse efficace de la part de la communauté internationale, le nouveau gouvernement de coalition israélien a ouvert la voie à l’annexion pure et simple d’environ un tiers de la Cisjordanie occupée, avec entre autres la vallée du Jourdain. Ces développements montrent on ne peut plus clairement que nous sommes arrivés à la fin de l’illusion qu’Israël et les grandes puissances mondiales ont l’intention d’honorer et de défendre les droits du peuple palestinien à la dignité, à l’autodétermination et aux droits humains fondamentaux tels qu’il sont garantis par le droit international, et dont fait partie aussi le droit au retour des réfugiés palestiniens. À la lumière de ces événements, le temps est venu pour que la communauté internationale reconnaisse en Israël un État d’apartheid au regard du droit international.

Devant un tel constat, nous reconnaissons qu’il nous incombe, en tant que disciples de Jésus, de nous engager dans une action décisive. Il en va de l’être même de l’Église, des exigences fondamentales de notre foi chrétienne, et de la crédibilité de l’Évangile. C’est pourquoi nous déclarons que le soutien à l’oppression du peuple palestinien, que ce soit passivement ou activement, par le silence, en paroles ou en actes, est un péché. Et nous affirmons que le soutien chrétien au sionisme comme théologie et idéologie qui justifie le droit d’un peuple à nier les droits humains d’un autre peuple, est incompatible avec la foi chrétienne et constitue un détournement grave du message biblique.

Nous appelons tous les chrétiens ainsi que les Églises, aux niveaux paroissial, confessionnel, national et de l’ensemble de la communauté œcuménique, à s’engager dans une démarche d’étude, de réflexion et d’affirmation de leur foi face à la négation, historique et systématique, des droits du peuple palestinien et au recours, par un grand nombre, à la Bible pour justifier et soutenir une telle oppression. Nous appelons les Églises à réfléchir à la manière dont leurs propres traditions peuvent exprimer le devoir sacré, pour elles-mêmes et pour la foi chrétienne, d’être fidèles à leur vocation en ce domaine. Nous ne pouvons pas servir Dieu et, en même temps, garder le silence sur l’oppression des Palestiniens.

Confrontés à ce Kairos, à ce ‘moment décisif’, nous n’oublions pas l’héritage de foi et d’action de ceux qui nous ont précédés et qui ont déjà dû faire face à des situations d’urgence et de crise. En 1933, le pasteur et théologien allemand Dietrich Bonhoeffer a déclaré que le déni des droits des Juifs par le régime nazi et l’ingérence de l’État dans les questions de religion mettaient l’Église en situation de status confessionis, c.à.d. la mettaient en demeure de prendre position en raison de sa foi. En 1934, la déclaration de Barmen a réaffirmé l’obligation de l’Église de se dresser contre l’injustice et de s’opposer sans équivoque à des idéologies de tyrannie. En 1964, le premier secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE) Willem Visser ‘t Hooft, a déclaré que le racisme, tout comme l’apartheid, mettait les Églises devant un status confessionis. En 1969, le COE a traduit cette parole en acte en mettant en œuvre son courageux et vaste Programme de lutte contre le racisme. En 1977, la Fédération luthérienne mondiale (FLM) a déclaré que « l’apartheid était pour l’Église un status confessionis », et a suspendu en 1984 les Églises luthériennes blanches d’Afrique australe qui pratiquaient l’apartheid. En 1982, l’Alliance Réformée Mondiale (ARM) déclarait l’apartheid incompatible avec la foi chrétienne et a suspendu les Églises membres qui pratiquaient la discrimination raciale. En 2017, la Communion Mondiale d’Églises Réformées (CMER) déclarait que, « en ce qui concerne la situation d’injustice et de souffrance existant en Palestine, ainsi que les cris de la communauté chrétienne palestinienne, c’est l’intégrité de la foi et de la pratique chrétienne qui est en jeu » et a chargé son secrétaire général de mettre en œuvre un programme d’action en six points. Enfin, depuis 2009, des documents Kairos émanant d’organisations œcuméniques du monde entier ont été publiés en réponse au document Kairos « Un moment de vérité » des chrétiens palestiniens, affirmant l’obligation d’agir et donnant un fondement théologique à cet appel prophétique des Églises palestiniennes.

La situation actuelle exige des actions tout aussi audacieuses, tout aussi fidèles et tout aussi déterminées. Le temps de la décision est arrivé. Le document Kairos Palestine de 2019 disait : « Nous adressons notre appel, en tant que Palestiniens et en tant que chrétiens, à nos frères et sœurs dans les Églises du monde ». Huit ans plus tard, en 2017, dans sa « Lettre ouverte au Conseil Œcuménique des Églises et au mouvement œcuménique », la Coalition Nationale des Organisations Chrétiennes de Palestine écrivait : « Les choses sont plus qu’urgentes. Nous sommes au bord d’un effondrement catastrophique. Chrétiens ! ce n’est pas le moment de faire de la diplomatie futile ! » Aujourd’hui, trois ans plus tard encore, c’est un cri d’espérance que nous lançons à nos frères et à nos sœurs du monde entier. Nous invitons nos compagnons chrétiens, leurs paroisses, les Églises et les organisations œcuméniques du monde entier à recevoir notre témoignage et à y répondre, à venir témoigner avec nous et à lancer des initiatives pour officiellement condamner l’oppression du peuple palestinien et toute utilisation de la Bible pour justifier une telle injustice. Nous les invitons à s’engager dans les actions suivantes :

* Lancer des actions aux niveaux local, confessionnel et œcuménique, qui reconnaissent le Kairos, le moment décisif que nous vivons maintenant, et la nécessité urgente d’une action décisive face au déni des droits des Palestiniens et à un mauvais usage de textes bibliques. Ces actions témoigneront de l’unité de l’Église dans son engagement contre l’injustice, où que celle-ci se trouve.

* S’engager dans l’étude et l’analyse critique des théologies et des interprétations de la Bible dont on s’est servi pour justifier l’oppression du peuple palestinien. Proposer par contre des théologies qui offrent, prophétiquement, une vision inclusive du pays, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens, en affirmant que le Dieu créateur est un Dieu d’amour, de miséricorde et de justice, et non un Dieu de discrimination et d’oppression.

* Affirmer le droit des Palestiniens à résister à l’occupation, à la dépossession et à l’abrogation de leurs droits fondamentaux, et les rejoindre dans leur résistance créative et non violente. L’appel palestinien de 2005 pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) fournit un cadre pour des initiatives économiques, culturelles et académiques, et pour un plaidoyer et des actions politiques comme autant de moyens non violents pour mettre fin à l’occupation et à l’oppression. L’objectif du BDS n’est pas de punir ou d’isoler Israël, mais d’exercer une pression sur Israël pour qu’il se conforme au droit international, et pour appeler son gouvernement et son peuple à s’engager, dans l’esprit de la Parole de Dieu, dans les voies de la justice et de la paix, et à affirmer ainsi ses propres droits et en même temps les droits du peuple palestinien.

* Exiger également que les gouvernements et les organisations mondiales aient recours à des moyens politiques, diplomatiques et économiques pour mettre fin aux violations, par Israël, des droits humains et du droit international.

* S’opposer à l’antisémitisme en œuvrant pour la justice et en réagissant contre l’antijudaïsme, le racisme et la xénophobie. S’opposer également à l’assimilation de la critique des actions injustes d’Israël à de l’antisémitisme.
* Soutenir les initiatives partagées par des Israéliens et des Palestiniens ainsi que les partenariats interreligieux qui luttent contre l’apartheid et l’occupation et qui créent des occasions de travailler ensemble pour un avenir commun de respect mutuel et de dignité.

* Venir et voir la réalité en Terre Sainte avec des yeux compatissants pour la souffrance des Palestiniens, et être solidaires des initiatives venant de la base des divers groupes religieux et laïques qui contestent l’occupation et travaillent pour une paix juste.

Nous lançons cet appel dans le souci de l’avenir des deux peuples. Selon les termes du document Kairos Palestine, notre appel s’enracine dans la logique de l’amour qui cherche à libérer à la fois l’oppresseur et l’opprimé pour créer une nouvelle société pour tous les habitants de ce pays. Nous continuons à tenir fermement à l’espoir, exprimé dans le document Kairos Palestine, que les Palestiniens et les Israéliens ont un avenir commun et que « nous pouvons organiser notre vie politique, avec toute ses complexités, selon la logique et la force de l’amour, une fois l’occupation terminée et la justice rétablie » (Un moment de vérité 5.4.2). Comme disciples de Jésus, nous réagissons aux idéologies d’exclusivité et d’apartheid en défendant une vision d’inclusion et d’égalité pour tous les habitants du pays, et en luttant sans relâche pour y parvenir.

Nous reconnaissons que par notre engagement de chrétiens pour la libération du peuple palestinien, nous nous opposons à la théologie de l’Empire, qui se manifeste dans un système mondial de domination par une oppression tant raciale qu’économique, culturelle et écologique qui menace toute l’humanité et l’ensemble de la création. Par cette confession de foi, nous affirmons notre appartenance à la communauté qui partage le même pain : l’Église fidèle à sa mission de proclamer la bonne nouvelle du Dieu qui offre son amour, sa miséricorde, sa compassion et la vie en abondance à tous les humains.

S.B. Michel Sabbah
Patriarche émérite, Patriarcat latin de Jérusalem Président de Kairos Palestine

Rifat Kassis
Coordinateur général de Global Kairos for Justice

Traduction revue par les Amis de Sabeel France

Source : blog Médiapart