Leila Shahid : « Israël doit être sanctionné par les États et boycotté par les citoyens »

mercredi 23 mai 2018

Celle qui fut longtemps ambassadrice de Palestine en France puis auprès de l’Union européenne, met en perspective les manifestations de Gaza, les crimes de guerre israéliens et l’attitude des gouvernements dans le monde.

JPEG - 35.8 ko La façade du MUCEM qui annonce l’Exposition "Lieux Saints partagés" Table ronde sur "Géopolitique des Lieux Saints en Méditerranée" à la Villa Méditerranée à Marseille.. 29/04/2015 © Claude Almodovar/Divergence

Que cherche Israël en commettant un tel massacre, en perpétrant ce qui semble être des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité ?

Leila Shahid Israël poursuit sa politique habituelle, de tout-militaire, de répression, d’écrasement effroyable par la disproportion des méthodes employées face à une population civile désarmée mais qui a choisi de revenir à une forme de lutte pacifique, non violente, de résistance à l’occupation qui dure depuis 51 ans. Nous en sommes à la quatrième guerre contre Gaza depuis dix ans. Celle-là est peut-être la pire de toutes parce qu’on assiste au retour à une Intifada pacifiste qui est menée uniquement par les jeunes de Gaza, absolument pas par le Hamas, ni d’ailleurs par le Fatah. C’est une nouvelle génération de jeunes Gaziotes, qui vivent maintenant depuis onze ans totalement assiégés. Ils sont enfermés par l’armée israélienne, qui prétend avoir quitté Gaza. Mais, selon le droit, tant que l’armée est présente à tous les accès terrestres, aériens et maritimes, c’est un territoire occupé. Gaza est aussi assiégée par les Égyptiens, qui ont fermé le seul accès que la population avait vers l’extérieur. Mais elle est également assiégée par la guerre de pouvoir entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Le Hamas lui infligeant un régime qui n’arrive pas réellement à avoir des relations internationales et qui ne reçoit aucune aide ; l’Autorité palestinienne refusant de payer les salaires et les factures d’électricité, pensant faire pression sur le Hamas.

Donc, cette population est totalement abandonnée à elle-même. Et le monde, à commencer par le monde arabe, regarde ailleurs, regarde l’Iran, qui est devenu, grâce à Trump, l’ennemi à abattre. Netanyahou se trouve être le meilleur allié de Trump. Il applaudit la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et de déménager l’ambassade. Les Israéliens pensent pouvoir faire tout ce qu’ils veulent et être impunis.

Israël cherche-t-il à mater totalement le nouveau mouvement palestinien ou à créer la zizanie ?

Leila Shahid Israël n’a pas changé de politique depuis 70 ans. Ce qui veut dire que tout ça se passe au moment de la commémoration de la Nakba, la catastrophe, qui est la dépossession des Palestiniens de leur patrie, de leur sol, de leur identité, de leur culture, de leur histoire, de leur mémoire. Cette politique n’a pas changé même s’il y a eu différents moments entre les travaillistes et le Likoud et, aujourd’hui, ce que j’appellerai le post-Likoud. C’est-à-dire un pays qui prend le chemin du racisme et du fascisme. Parce que la composition actuelle de la Knesset et du gouvernement est beaucoup plus grave que le Likoud. C’est un amalgame de partis racistes. Netanyahou continue l’annihilation de toute revendication de la population palestinienne comme nation. Netanyahou ne veut pas d’État palestinien, ne veut pas reconnaître une nation palestinienne. Il est soutenu dans ce domaine par le nouveau président américain. Il a le sentiment de pouvoir faire ce qu’il veut et, donc, il « finit le boulot » de nettoyage ethnique commencé il y a 70 ans. Comme il ne peut pas jeter les Palestiniens à la mer comme en 1948, à cause des téléphones portables, des journalistes, des réseaux sociaux, il nous écrase avec une violence militaire choquante. D’ailleurs, même les responsables militaires israéliens disent maintenant qu’ils ont perdu la bataille de l’image. Ils sont en train de commettre des crimes de guerre pour lesquels ils devront rendre des comptes devant la Cour pénale internationale (CPI) et toutes les instances internationales si la conscience du monde se réveille.

Est-ce que la réaction internationale est à la hauteur de ce qui est en train de se passer ?

Leila Shahid Je pense que ce qui s’est passé le 14 mai et la mort de 62 Palestiniens en 24 heures ont provoqué un changement fondamental dans les opinions publiques mondiales, y compris en Israël. Parce qu’il y a un nouveau contexte mondial. Cela fait maintenant plus de trois ans qu’on nous dit que la question palestinienne n’est plus prioritaire, qu’on s’occupe de l’Iran et du terrorisme. Trump et Netanyahou avaient réussi à assimiler les Palestiniens à tout ce mouvement de terrorisme international. C’est pour cela qu’ils tiennent absolument à dire que les marches à Gaza sont organisées par le Hamas, ce dernier étant un mouvement se revendiquant de l’islamisme. Ils mettent tout dans le même sac. Mais les moyens de communication existants permettent aux gens de se faire leur propre opinion. Ils ont vu en live l’assassinat de 62 personnes, les tirs à balles réelles sur des journalistes, des secouristes, des familles, qui ont blessé en un jour 2 700 personnes. Depuis le 30 mars, il y a 12 000 blessés, dont certains seront handicapés à vie à cause de l’utilisation de balles explosives. Or les jeunes à Gaza n’ont pas eu recours aux armes alors qu’ils le pouvaient. Les jeunes ont décidé de ne pas le faire parce qu’ils ont une nouvelle stratégie, parce que les roquettes stupides du Hamas sur Sdérot donnaient des justifications aux Israéliens pour bombarder Gaza. Il y a des moments dans l’histoire où s’expriment le courage des peuples, leur détermination à se sacrifier (parce qu’ils n’ont rien d’autre à part la force de leurs convictions). Ce peuple a voulu forger son propre destin avant même la création de l’État d’Israël, en luttant contre la colonisation britannique.

Mais il faut aussi voir, au moment où Trump et Netanyahou, frères jumeaux racistes et populistes, cherchent la guerre, que, pour la première fois en 70 ans, vous avez des pays arabes avec les Américains et avec les Israéliens, contre les Palestiniens. À commencer par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui considèrent aujourd’hui que leur premier ennemi, c’est l’Iran et donc que leurs premiers alliés sont Trump et Netanyahou. Comme l’a dit le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane lors d’une réunion avec un groupe sioniste aux États-Unis lors de son voyage officiel il y a un mois, les Palestiniens « devraient se taire » (« shut their mouth ») ou accepter la grande proposition de Trump. Or il n’y a pas de proposition mais une décision unilatérale d’imposer aux Palestiniens, avec l’aide de certains pays arabes, des bantoustans séparés par cette nouvelle Jérusalem métropolitaine qui va être dix fois plus grande que celle d’aujourd’hui. Toutes les colonies aux alentours seront annexées à Jérusalem. Et comme c’est la « capitale » reconnue par Washington, le gouvernement israélien va essayer de toutes les manières (économique, sociale, physique) d’expulser les Palestiniens et d’intégrer les 250 000 colons qui sont à Jérusalem-Est pour poursuivre ce qu’il appelle sa « guerre démographique ». Jérusalem va atteindre, à l’est, Jericho, au nord, Ramallah, et, au sud, Bethléem. Ce n’est pas un incident. C’est un moment clé. Ceux qui l’ont compris sont ces magnifiques jeunes de Gaza, dont le plus vieux a 30 ans, qui n’ont rien demandé à personne. Ni au Hamas, ni au Fatah, ni aux Arabes, ni aux Américains, ni aux Européens. Ils ont secoué la conscience du monde en se sacrifiant parce que c’est leur seule arme.

Faut-il encore compter sur les États-Unis pour une paix juste et durable ?

Leila Shahid Je n’ai jamais pensé que les Américains étaient des parrains objectifs. Ils ont hérité des Britanniques. Pendant la guerre froide, ils étaient opposés aux droits des Palestiniens et aux pays arabes. Après la chute du mur de Berlin, il y a eu une petite fiction à la conférence de Madrid, qui s’est très vite effondrée. Tout a toujours été pensé pour les intérêts financiers, économiques, pétroliers, militaires américains. Yasser Arafat savait tout ça et n’avait pas d’illusions. Mais il avait dit, lors d’un Conseil national palestinien (CNP), que, lorsqu’il y a un match de foot, soit on est un joueur dans une des équipes et on peut marquer un but, soit on reste dans les tribunes et on ne marque jamais et ça ne sert à rien. Il a donc accepté Oslo et il est revenu en Palestine. Ce qui est maintenant irréversible. Car il faut se rappeler que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a un talon d’Achille. Elle a commencé dans les camps de réfugiés, dans l’exil. Pas dans les territoires occupés comme au Vietnam, en Algérie ou en Afrique du Sud. C’est pourquoi Arafat restera comme un très grand dirigeant : c’est le premier qui ramène les Palestiniens chez eux en leur enjoignant de continuer. Il a même dit qu’il ne verrait pas la Palestine mais qu’il se faisait un devoir de passer de la phase de l’exil à celle de la lutte à partir de la Palestine. Oslo est terminé. Cela devrait être la preuve de la mauvaise foi des huit gouvernements israéliens successifs, qui cherchaient seulement à gagner du temps et à prendre des territoires avec la colonisation. La Nakba ne s’est jamais arrêtée pour nous. Tous les jours, ils prennent plus de territoire, tous les jours, ils mettent des gens en prison, tous les jours, ils répriment ceux qui manifestent pour leur droit à exister en tant que peuple. Mais cette Nakba se fait sur le sol de la Palestine. C’est à Gaza que la révolution palestinienne a commencé. De Gaza elle est partie en Jordanie puis au Liban et, de Tunisie, Arafat l’a ramenée en Palestine. Aujourd’hui, les jeunes reprennent ce rôle d’avant-garde de la révolution palestinienne. Est-ce que cela va réveiller les consciences de ceux qui ont les moyens de traduire en justice l’armée israélienne pour crimes de guerre ? La réponse est chez vous, dans les opinions publiques européennes, parmi les parlementaires, les élus européens. C’est une occasion pour que l’Europe se réveille de sa léthargie.

Il y a, dans ce contexte, une articulation fascinante. Du local, Gaza, au national, la Palestine, au régional, qui est le Moyen-Orient, au mondial, qui est l’affrontement des sociétés civiles face aux décisions de leurs gouvernants. Avec une alliance, que les lecteurs de l’Humanité comprennent très bien, entre la nouvelle administration américaine, représentant un danger mondial, et le dirigeant d’Israël, son meilleur allié. Notre réponse est ce que font les jeunes à Gaza.

Faut-il sanctionner et boycotter Israël ?

Leila Shahid Pourquoi la Russie est-elle sanctionnée lorsqu’elle annexe la Crimée mais pas Israël qui annexe Jérusalem ? Pourquoi les boycottages contre Cuba, la Libye, le Congo, contre l’apartheid et pas contre Israël ? Le mouvement Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) ne doit pas être simplement le fait de citoyens courageux dans le monde, il doit être appliqué aussi par les États. C’est une arme non violente. Nous ne demandons pas que vous bombardiez Israël. Nous exigeons que vous appliquiez ce que le droit impose : des sanctions économiques, politiques, diplomatiques et le boycott de tout ce qui a à voir de près ou de loin avec cette politique d’occupation et ces crimes de guerre. Que les Parlements des 28 États de l’Union européenne votent des résolutions pour le boycott comme forme de pression non violente sur Israël. En premier lieu, il faut la suppression de la saison France-Israël, qui n’est là que pour redorer le blason de la force occupante. N’est-ce pas une honte qu’on fasse la propagande d’un pays l’année des 70 ans de la Nakba, de la dépossession des Palestiniens ? Voyez comment l’histoire est faite : les jeunes de Gaza se sont invités à la table sans qu’on les y ait conviés. Et c’est ça qui compte. Les autorités en France peuvent faire autant de manifestations qu’elles veulent, cela n’occultera pas la politique d’occupation criminelle qu’Israël pratique à l’égard du peuple palestinien depuis 51 ans et celle de la dépossession de la Palestine depuis 70 ans.
JPEG - 7.4 ko Pierre Barbancey
Grand reporter - L’humanité - mardi 22 mai 2018
https://www.facebook.com/barbancey.pierre
De 1997 à aujourd’hui : Journaliste à L’Humanité Grand Reporter depuis 2002 Lauréat du Prix Bayeux des correspondants de guerre 2002 pour un reportage dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine assiégé par l’armée israélienne.
Collaboration avec plusieurs médias : France 24, BFM TV, Radio Suisse Romande, TV5, Radio et Télé Canada, Le Soir de Belgique, Marianne…


Notre article du 28 février 2018
À l’occasion du colloque : « 100 ans après la déclaration Balfour et 70 ans après le plan de partition (de la Palestine) » qui s’est tenu en décembre 2017 à l’université américaine de Beyrouth, Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de l’Organisation de libération de la Palestine auprès de l’Union européenne, a déclaré à un journaliste de L’Orient-Le-Jour : « Pour les Palestiniens, la phase diplomatique est aujourd’hui terminée. » Après les provocations de Trump et de Netanyahou sur Jérusalem, il est utile de l’écouter.

LES PACIFISTES CONNAISSENT BIEN LEïLA SHAHID qu’ils ont souvent vue en France dans les rencontres anticoloniales et anti-guerres. Ils ont entendu ses déclarations en faveur de la paix et ils l’ont même croisée dans les lieux de spectacle et au festival d’Avignon. Figure emblématique de la lutte du peuple palestinien, elle est née à Beyrouth en 1949. Sa mère appartenait à la prestigieuse famille Husseini de Jérusalem.

Elle passe son bac, le 5 juin 1967, quand éclate la guerre des Six Jours au cours de laquelle l’armée israélienne écrase les armées arabes et occupe Gaza, le Sinaï, le Golan, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Leïla Shahid s’engage alors dans l’action sociale auprès des réfugiés palestiniens dans les camps du Sud-Liban, puis dans l’action politique avec Yasser Arafat. Venue à Paris, en 1974, pour terminer ses études, elle préside l’Union des étudiants palestiniens en France.
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Elle fait la connaissance de celui qui deviendra son mari, l’écrivain marocain Mohammed Berrada, et devient l’amie des intellectuels, des cinéastes, des écrivains et surtout de Jean Genet. C’est ce dernier qu’elle accompagne à Beyrouth, en septembre 1982, au moment du massacre de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. En 1989, elle devient la représentante de l’OLP, en Irlande, puis aux Pays-Bas, en France et, enfin, en 2005, à Bruxelles à l’Union européenne.
Elle déclare, en 2012, au sujet de l’Autorité palestinienne : « Nous avons décidé, il y a dix-neuf ans, d’arrêter toute lutte militaire pour négocier la solution de deux États. Mais soyons honnêtes, nous avons échoué… Nous n’avons même pas réussi à faire retirer l’armée israélienne de Cisjordanie et de Jérusalem-Est… La communauté internationale est aussi responsable de notre propre échec. »

La Palestine abandonnée par la communauté internationale
En 2015, à 65 ans, Leïla Shahid prend sa retraite à Bruxelles après avoir été pendant vingt-cinq ans l’ambassadrice de la Palestine. Elle déclare au journal Le Soir : « Ça ne veut pas du tout dire que je prends ma retraite de la Palestine ni de sa cause ! J’ai envie de faire plein d’autres choses que je n’avais pas la possibilité de faire tant que j’étais ambassadeur, je dirais plus dans le domaine culturel, artistique, social et politique, mais plutôt avec la société civile, en Palestine et dans la diaspora. »
Et elle ajoute au sujet de l’Europe : « J’ai été confortée dans l’idée que l’Europe comprend le monde arabe mieux que les Américains, mais j’ai été horrifiée de voir combien l’Europe est paralysée face à Israël. Pa-ra-ly-sée ! Il y a un partenaire à qui on accorde une impunité totale devant les violations du droit. Un État qui est placé au-dessus du droit et qui est devenu ainsi un État hors la loi, c’est Israël ! Et c’est la même UE qui nous demande de reporter la déclaration de notre État en nous disant de le faire “en temps opportun”.
Mais quand donc viendra le moment opportun ? Quand il n’y aura plus de territoires disponibles parce que les colonies israéliennes auront tout dévoré ? Certains disent qu’un État palestinien n’est déjà plus viable, car il ne reste que des poches, des “bantoustans” séparés les uns des autres. La situation est d’une gravité extrême.

« Je suis très fière des rapports que j’ai établis avec les militants juifs européens en Belgique, au Luxembourg et en France. Mais je garde une profonde déception et, surtout, une profonde douleur que, durant ces vingt-cinq ans, au lieu de voir le sort de mon peuple s’améliorer, autant sous occupation que dans les camps de réfugiés, je constate que sa situation est plus tragique que jamais et que la dignité à laquelle il a droit, la souveraineté à laquelle il aspire, s’éloignent.

« Je pars avec un sentiment de douleur et de colère. De douleur, parce que je partage le sort de mon peuple qui ne mérite pas d’être traité de cette manière par la communauté internationale. Un sentiment de colère parce que mon peuple a droit, comme tous les peuples du monde, à être protégé par le droit international d’après les conventions de Genève. »

La Palestine et la diplomatie
En 2017, Leïla Shahid s’exprime à nouveau à l’Institut des études palestiniennes de l’AUB de Beyrouth. À la question des rédacteurs du journal libanais L’Orient-Le-Jour, le 16 décembre 2017 :

La décision de Donald Trump de reconnaître jérusalem comme capitale d’Israël est elle la preuve ultime de l’échec de la stratégie de non-violence adoptée par l’OLp au début des années 1990 ?
Leïla Shahid répond : « Je pense, en effet, que nous nous sommes trompés. Mais il faut replacer cet échec dans l’histoire. Nous sommes arrivés à la fin d’une étape pour le mouvement national palestinien, marquée par plusieurs phases. La première est celle de la lutte armée, menée essentiellement par les Palestiniens en exil, qui a pris fin en 1974 lorsque le mouvement de libération a enfin obtenu une reconnaissance internationale.
Il y a eu ensuite une deuxième phase qui a démarré lors du discours ovationné de Yasser Arafat aux Nations unies. C’était la première fois que les Palestiniens avaient une patrie symbolique qui réunissait ce que Mahmoud Darwich avait appelé "l’éclatement du corps palestinien” en 1948. Oslo a été très important pour Yasser Arafat, parce que c’était le retour d’une patrie vers un sol national. En 1987, lors de la première intifada, toute la population s’est opposée à l’occupation. La phase de la négociation, la troisième donc, commence après tout cela, à partir de 1990 et après la fin de la guerre froide.

Je rappelle tout cela car je pense que c’est très important de comprendre la politique actuelle dans un contexte historique à long terme. La phase diplomatique est aujourd’hui terminée et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de prendre ma retraite. Ce n’est pas Trump qui a changé la politique américaine, mais c’est lui qui, par sa stupidité et son ignorance totale au niveau politique et diplomatique, entérine ce que ses prédécesseurs avaient dit à demi-mot. »

Quelle est donc l’alternative à la voie diplomatique ?
À partir du moment où l’OLP a décidé de poser les armes, est-ce qu’un retour en arrière est possible ?
« Il va falloir aller vers une autre méthode. Le peuple palestinien a été héroïque. Près de soixante-dix ans plus tard, les Palestiniens sont plus militants qu’avant et ont un genre de conscience tranquille. Ils ont de leur côté la justesse de la cause, comme disait Jean Genet. Ils ne sont pas racistes, ils ne fondent pas un État sur une religion, mais un État laïc.
Ils n’ont rejeté personne à la mer, comme le prétendent les Israéliens, mais, au contraire, ils ont accepté de ne prendre que 22 % de la Palestine pour en donner 78 % aux Israéliens.
« Il y a une vitalité, une créativité, un sens de l’invention des méthodes de résistance qu’on a rarement vus dans des exemples d’occupation longue. Je suis éberluée par la créativité sur le plan artistique et culturel.
Je suis ébahie par le courage des mères palestiniennes qui continuent d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’elles ignorent s’ils vont revenir à la maison. Il ne faut jamais parler de revenir en arrière.
La deuxième intifada n’est pas la première et la première n’est pas celle de 1969 dans les camps palestiniens au Liban, dont on ne parle jamais.

Les méthodes changent car le peuple est créateur des conditions. Je n’ai absolument pas d’inquiétudes sur le fait qu’ils trouveront quelque chose. Et ce ne sera ni le retour à la lutte armée ni une troisième intifada, mais quelque chose de nouveau qui sera très difficile à gérer pour les Israéliens.
Quand vous vivez cinquante ans avec l’armée israélienne, vous commencez à la connaître mieux qu’elle-même, et vous commencez à réaliser quel est son talon d’Achille.
Vous pouvez lui faire mal, mais il faut choisir les cibles. Israël ne paie pas du tout le prix de son occupation et de sa politique, de tous ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité. »

Étant donné la nature de l’État hébreu, ne pensez-vous pas que la solution à un État est encore plus irréaliste que celle à deux États ?
« Si, bien sûr. C’est pour cela que j’ai toujours été pour deux États et non pas pour un État, tout simplement parce qu’Israël ne veut pas vivre avec les Palestiniens et ne veut être qu’un État juif. Tout ce qui n’est pas juif ne les intéresse pas. Et c’est de pire en pire, car la société penche de plus en plus vers le nationalisme de droite des colons. Mais, dans le principe, je préfère un État laïc pour tous ses citoyens. Même sur le plan géostratégique mondial, entre les colonies et la déclaration sur Jérusalem, il n’y a plus de place pour un État palestinien.

L’opinion a changé à 100 % en vingt ans. Tout le monde connaît aujourd’hui le peuple palestinien et personne n’ignore que nous sommes laïcs, même si nous avons des extrémistes comme tout le monde. Il faut que ce changement de l’opinion devienne une force dans notre travail de communication auprès des jeunes Arabes, des jeunes Occidentaux et des jeunes Israéliens. »
Durant ces dernières semaines, il a beaucoup été question de la réconciliation palestinienne entre le Hamas et le Fatah…
« Oui, et je n’y crois pas beaucoup. Nous sommes idéologiquement très différents. Nous sommes en grande majorité laïcs. Je suis le produit de l’OLP. Arafat avait certes la foi, mais il considérait que c’était une affaire personnelle.
Le Hamas vient vraiment d’une tradition des Frères musulmans, qui a un autre projet social, celui d’appliquer la charia, et il pense que ce qui est important, ce n’est pas la nation palestinienne, mais la oumma dont les frontières s’étendent jusqu’en Indonésie.
Dans le même temps, le Hamas représente un courant en Palestine. Je pense qu’ils n’ont accepté la réconciliation que lorsqu’ils ont senti qu’ils étaient en train de perdre de leur popularité, que l’Égypte leur a fermé la porte, etc. Ils se sont dit qu’il leur fallait donner ce cadeau empoisonné, qui est de gérer Gaza, à Abbas. La déclaration sur Jérusalem a été le plus beau cadeau qu’ils pouvaient recevoir. Ce cadeau risque de transformer la cause palestinienne en une guerre de religions. C’est ce que souhaiteraient Trump et Netanyahu. »

Pour les pacifistes, qui préfèrent régler les conflits avant qu’ils n’éclatent, les provocations de Trump et de Netanyahu sont désastreuses dans la situation de la Palestine toujours explosive, depuis soixante-dix ans ! Nous ne pouvons que regretter la retraite de Leïla Shahid, une personnalité admirée dans le monde entier pour sa diplomatie et sa culture. Et nous espérons qu’un jour les sociétés civiles, libérées du patriotisme, pourront obliger les chefs d’État à prendre les sanctions nécessaires contre l’armée israélienne qui viole régulièrement les traités internationaux.

Bernard Baissat
Source Union Pacifiste février 2018.

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