Leïla Shahid au Festival Aflam les 28 et 29 novembre

samedi 26 novembre 2016

Film "Un assiégé comme moi"

Farouk Mardam-Bey, éditeur syrien, a dédié sa vie à faire connaître la poésie et la pensée arabes aux européens. A travers son portrait, le film raconte le combat des hommes et des femmes qui, depuis la France, ont choisi de lutter non pas par la violence mais avec la culture, pour faire triompher l’intelligence, l’humanisme et la liberté des peuples arabes.

En présence de la réalisatrice, de Farouk Mardam-Bey et de Leïla Shahid

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En partenariat avec L’Alhambra et Cinémas Actes Sud.

28 novembre / 20h00 / Cinéma L’Alhambra – Marseille
29 novembre / 20h00 / Cinéma Le Méjan – Arles

France, Syrie / 2016 / 1h30
Réalisation : Hala Alabdalla

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[**Femme de tête comme de coeur, Leïla Shahid, à l’image de la Palestine*]
notre article de décembre 2015
Leïla Shahid a quitté ses fonctions d’ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne. Après ces nombreuses années passées à plaider et défendre la cause de son peuple, elle entame un nouveau cycle dans sa vie. Elle a accepté de prendre le temps du dialogue avec l’équipe d’almaouja.com pour nous dessiner son parcours de vie et nous faire partager ses vues sur les bouleversements actuels qui traversent notre monde. Fidèle à elle-même, Leïla Shahid nous délivre un message de responsabilité où la reconnaissance de la gravité de l’état du monde n’empêche pas d’assumer l’espoir du mieux, et d’encore travailler à son avènement.
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Almaouja.com - Pourriez-vous nous décrire les grandes étapes de votre vie ?

Leïla Shahid - La vie est faite comme les saisons de la nature, par des cycles. Je suis née un année après la Nakba, en 1949 donc, au Liban et en exil, de parents originaires de la Palestine mais partis tous deux assez tôt ; mon père pour faire ses études, notamment de médecine, et ma mère, née à Jérusalem, venant d’une famille militante qui s’est confrontée dès 1936 aux britanniques alors en charge de la Palestine, et qui s’est trouvée déplacée à Beyrouth.

Le premier cycle de ma vie aura été la découverte que j’appartenais à un peuple qui existait sans patrie. Ce fut pour moi la découverte de l’injustice envers la Palestine accompagnée des sanglots de ma mère, femme très positive et à qui je ressemble mais qui a vécu douloureusement ce sentiment d’arrachement.

Cette première partie va jusqu’en 1967, année où je devais passer mon baccalauréat mais où les épreuves ont été annulées alors que le 5 juin la guerre commençait. Je me souviens encore faire la fête avec mes amis avec ce sentiment de liberté retrouvée qui nous traversait. Et quand nous voyons en six jours quatre armées arabes se faire battre par l’armée israélienne, nous nous sommes sentis vraiment humiliés et honteux.

Cet échec n’était pas seulement celui des armées mais aussi celui des élites arabes et des partis politiques arabes. Alors à partir de cette période, je décide qu’il faut que je m’engage politiquement, et je le fais dans ce qui était à l’époque le mouvement anticolonialiste et laïque qui me correspondait le plus, sans dogmatisme et avec un vrai esprit d’ouverture, le Fatah.

Là commence le second cycle de ma vie et la première chose que je fais est d’aller travailler auprès des palestiniens dans les camps de réfugiés, camps qui étaient à cette époque interdits aux non résidents. C’est d’ailleurs là que commença la première Intifada puisqu’en 1969, dans les 15 camps de réfugiés palestiniens qui entouraient alors Beyrouth, un soulèvement organisé par l’OLP permet de mettre dehors les personnels de l’ONU et de la sécurité libanaise, et de transférer la gestion de la vie des palestiniens réfugiés à des comités populaires. Il faut se rappeler qu’à cette époque, ces camps réunissaient près de 400.000 personnes dans un pays qui comptait une population de 3 millions d’habitants.

Dans le même temps, je suis des cours de sociologie à l’université américaine de Beyrouth et j’entame une thèse de doctorat en 1972 sur le thème justement de la structure sociale des camps de réfugiés palestiniens. Mon intention était de comprendre comment une population, réfugiée depuis des dizaines d’années, puisqu’elle est partie en 1948, reste aussi unie dans son aspiration à une identité nationale et capable de faire une intifada, c’est à dire un soulèvement, comme celui auquel je venais d’assister en 1969.

JPEG - 108.4 ko camps de réfugié de Balata - octobre 2015 - photo CB
Bien sur je ne pouvais pas imaginer que vingt ans après, les palestiniens se soulèveront encore mais à ce moment je voulais comprendre comment une société civile prend son sort en main. Et c’est pour cela que j’ai depuis un attachement particulier avec les sociétés civiles et leur actions au sein de milieux défavorisés. Un camp de réfugié, c’est comme un bidonville, c’est comme un quartier pauvre au Brésil, comme une favela au Chili. Ce sont des milieux sociaux marginalisés, défavorisés et humiliés, dépossédés de leur dignité. En Palestine s’ajoute certes le côté politique avec l’occupation militaire et la diaspora, mais du point de vue humain, le défi est la même.

En 1974, quand je finis ma maitrise, je décide de m’inscrire à l’Ecole Pratiques des Hautes Études de Paris afin de poursuivre un doctorat sur le même sujet. Et en 1977, je rencontre mon mari, le romancier marocain Mohammed Berrada. Je m’installe alors au Maroc où j’ai un véritable coup de foudre pour ce pays car je venais d’un endroit où tout le monde se faisait la guerre, palestiniens et libanais, chrétiens et musulmans, étrangers et nationaux.
Je suis restée au Maroc jusqu’en 1989, période où le Président Arafat décide alors de nommer des femmes ambassadrices car il était émerveillé par le rôle joué par les femmes dans la lutte palestinienne, et notamment lors de la première Intifada qui commence en 1987. J’ai ainsi été nommée ambassadrice de la Palestine en Irlande, et puis en Hollande, au Danemark, à l’Unesco et enfin en France, pays que j’ai beaucoup aimé car la société civile française est celle qui comprend le mieux le monde arabe.
JPEG - 126.2 ko source jdd.com
Fin 2005, je quitte Paris pour rejoindre Bruxelles pour représenter la Palestine auprès de l’Union européenne car je considère que la relation entre l’Europe et le monde arabe est stratégique et civilisationnelle. La géographie nous montre en effet que les pays du Sud de la Méditerranée et ceux du Sud de l’Europe ont une histoire et une culture communes.

Al. - Justement si l’on se réfère aux années 1990 période où les responsables européens, avec Jacques Delors en tête, ont pu faire émerger au niveau politique cette réalité euro-méditerranéenne, et que l’on compare ces grands idéaux d’alors avec la situation actuelle, comment comprendre ce qui s’est passé ? Où a été selon vous le point d’achoppement qui fait qu’aujourd’hui l’on ne parle plus de cette ambition euro-méditerranéenne ?

LS - C’est à cause de la bureaucratisation du projet européen et de sa dépolitisation. Puisqu’un grand nombre de pays n’ont pas voulu d’union politique, le projet des fondateurs de l’Europe est devenu un projet technique au service du seul business. Ils ont créé l’union financière, aboli les frontières pour avoir des conditions de travail plus faciles. Et vis à vis du monde, les européens se sont montrés avant tout intéressés par l’accession aux grands marchés commerciaux, comme celui de l’Afrique ou du monde arabe, mais ils ne voulaient surtout pas avoir une position commune sur les questions politiques, pas seulement la Palestine mais aussi comme on le voit aujourd’hui sur l’Ukraine.

Le projet fondateur de l’Europe visait à construire une puissance régionale qui devait trouver sa place aux côtés de la puissance américaine et soviétique. Mais très vite les élites européennes ont contré cette orientation.

Al. - Lors d’une interview données récemment au journal Médiapart, vous avez eu des mots très forts vis à vis de l’Europe en usant du terme de lâcheté.

LS - Oui sur le Palestine, il y a eu lâcheté de la part de l’Europe. La Palestine exige que l’on soit sévère à l’égard d’Israël or les européens sont devant Israël d’une telle lâcheté ce qui fait qu’Israël détruit régulièrement tout ce que les européens investissent en Palestine. Depuis 2008, les européens investissent 1 milliard et demi d’euros chaque année. Ils ont construit un aéroport et Israël l’a bombardé, ils ont commencé à construire un port et Israël l’a bombardé. Ils ont soutenu les accords d’Oslo et Israël les ont vidés de leur contenu. Et les européens n’osent pas prendre une seule sanction contre Israël.

Al. - Comment expliquez-vous cette lâcheté ?

LS - Il y a deux raisons principales. C’est avant tout l’intervention de la question juive et donc la mémoire de la Shoah dans les processus électoraux des pays européens. Les lobbies israéliens pèsent très lourds dans toutes les élections, bien plus que le lobby non existant des populations maghrébines en Europe, comme en France ou en Belgique où leur communauté, en tant que non autochtone, est pourtant la plus importante. C’est donc l’instrumentalisation de la culpabilité vis à vis de la Shoah qui donne autant de force à Israël.

La seconde raison est la vision dépolitisée des relations avec les pays du Sud. Il faut se souvenir que le projet euro-méditerranéen initié à Barcelone en 1993 avait une vision non seulement étatique de la coopération entre tous les pays riverains du pourtour méditerranéen mais aussi qu’il impliquait les sociétés civiles. Et chaque sommet entre les gouvernements de ces pays s’accompagnait alors de rencontres entre les sociétés civiles. Des forums sociaux se tenaient en parallèle et j’ai pu moi-même y rencontrer tous les militants et acteurs citoyens de la Mauritanie jusqu’à la Turquie, dont ceux d’Israël. Ces rendez vous citoyens ont été annulés au profit de rendez vous techniques qui assurent l’établissement d’accords commerciaux et sur ce plan, les européens sont plus intéressés par Israël que par les arabes qui ne produisent pas grand chose.

Israël les intéresse beaucoup notamment dans le domaine de la pharmacologie ou des armes. C’est en effet un des leaders dans la fabrication des drones militaires et des médicaments génériques et un récent accord lui permet de vendre ses médicaments en Europe sans payer de taxes. Israël est un meilleur client, le portefeuille de ses échanges avec l’Europe étant de 30 milliards d’euros.

Al. - Quel regard portez vous sur les "printemps arabes" qui ont traversé les sociétés de nombreux pays du Sud méditerranéen ?

LS - Ce que l’on a appelé le "printemps arabe" est pour moi une Intifada arabe. Il a perdu sa première bataille mais il faut comprendre qu’en réalité ces soulèvements relèvent d’une véritable tectonique des sociétés arabes qui ont vu là leur premiers mouvements depuis les indépendances de tous ces pays. C’est le premier vrai soulèvement où les citoyens, et les jeunes comme les femmes en premier lieu, expriment, en dehors des partis politiques ou des syndicats, leur souhait de participer à la définition de leur société. Ils disent : nous voulons être les artisans de notre avenir.

Ce mouvement n’a pas abouti du premier coup, et c’est normal. Ses acteurs n’étaient pas encore organisés ni assez expérimentés pour participer à des élections démocratiques. Il faut du temps pour organiser des élites nouvelles, pour faire émerger des partis politiques avec des programmes sérieux. Les seuls qui étaient organisés étaient alors les organisations islamistes et ils ont pris le devant de la scène mais ce n’est que temporaire.

Certes, ce premier cycle du printemps arabe a favorisé l’émergence d’un djihadisme barbare qui, s’il relève d’une pathologie, demeure directement lié à l’essor du salafisme dans le monde depuis l’émergence du wahhabisme parti d’Arabie saoudite. Cette lecture rétrograde de l’Islam s’est développée de partout, comme en France et en Europe, sans que personne n’intervienne.

Mais je reste confiante car je sais que le cycle du printemps arabe se poursuivra, en temps voulu.

Al. - Que faire face à cette situation ?

LS - Il faut une autocritique profonde des arabes et des musulmans. Il faut que les musulmans disent haut et fort que la version de l’Islam diffusée par les djihadistes n’est pas l’Islam. Les Etats, les élites et les citoyens doivent le dire tous les jours. Pour ma part, je le dis tout le temps car je suis de culture musulmane.

Deuxièmement, il faut que les européens fassent eux aussi leur autocritique car ils ont jadis soutenu des anciens dirigeants comme en Tunisie et en Egypte alors que maintenant ils applaudissent les révoltes arabes et appellent à la démocratisation de ces pays. Il faut qu’ils reconnaissent qu’ils n’ont rien compris à ce qui s’est passé, au même titre qu’ils ont accepté le développement du salafisme dans leurs sociétés alors que ce dernier n’est pas tombé du ciel par hasard mais qu’il a été soutenu par des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar, pays avec lesquels les européens font des affaires.

Les européens doivent reconnaitre que c’est avec les sociétés civiles qu’il faut travailler et qu’ils convient donc d’être à l’écoute de ces sociétés civiles des pays du Sud. La propriété du projet euro-méditerranéen doit désormais appartenir à tous, être partagée entre tous. Les enjeux sont humains et pas simplement commerciaux car ce qui nous réunit tous est avant tout d’ordre culturel.

Tout le monde est impliqué dans cette grande crise et tout le monde doit s’efforcer de trouver des solutions. Pour cela, il nous faut analyser d’où vient la violence et cette violence ayant aujourd’hui pleinement traversée les frontières, cela peut sans aucun doute aider à réveiller les esprits des européens.

Al. - Je ne peux terminer cet entretien sans vous demander comment vont les palestiniens ?

LS - Mal, ils vont très mal. Les palestiniens ont vraiment cru qu’avec Oslo, ils avaient arraché la reconnaissance mutuelle et la solution des deux Etats. Le plus important est certes que ces accords d’Oslo ont ramené les palestiniens en Palestine mais nous avons vraiment cru que nous irions plus loin.

Yasser Arafat avait réussi à convaincre son peuple de ne revendiquer que 22 % de la Palestine historique pour ainsi avoir un Etat dans la Cisjordanie, la Bande de Gaza avec Jérusalem Est comme capitale pour faire une paix définitive avec Israël. Yasser Arafat avait surtout réussi à demander à tous les pays arabes de reconnaitre Israël car la clé de la légitimité d’Israël est dans les mains de ses victimes palestiniennes.

Après 25 ans, nous devons admettre que le monde n’a pas saisi la chance d’avoir un dirigeant comme Yasser Arafat. Aujourd’hui, les accords d’Oslo ne sont toujours pas mis en œuvre. En 1999, l’Etat palestinien devait être assuré, or en 2015, nous sommes encore sous occupation militaire. Il y a un mur qui n’existait pas, il y a trois fois plus de colonies qu’en 1993, et Israël a le pire gouvernement de son histoire. Et que font les américains et les européens, rien. Que font les pays arabes ? Rien. Ils font la guerre au Yémen. Les palestiniens sont donc profondément choqués et très déçus justement par leurs amis arabes et européens.
JPEG - 117.7 ko le mur de la honte à Bethléem - octobre 2015 - photo CB
Ils sont démoralisés en plus par la scission interne au sein de leur société entre le Hamas et le Fatah, entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Cette scission est profonde car elle s’éternise or elle vient contredire l’esprit même de la Palestine et de l’OLP en particulier qui lui était la représentation de toutes les idéologies, de toutes les singularités palestiniennes éparpillées dans différents endroits.

Israël a réussi à atomiser la société palestinienne sous prétexte de sa sécurité, et cette fragmentation de la société palestinienne vise, comme cela s’est produit en Irak ou en Syrie, à une tribalisation de la société. Il y a là le risque de guerre civile, et c’est manifestement le but stratégique de certains.

Al. - Ils semblent donc avoir gagné pour l’instant ?

LS - Non. Lorsque vous êtes occupés, il en faut beaucoup pour remplacer le sentiment légitime d’une lutte nationale par une lutte tribale ou confessionnelle car ces luttes viendraient nier l’identité nationale. Il y a certes une scission entre nous mais il y a surtout une fuite des forces vives de la Palestine pour le reste du monde. La population est exténuée. Elle ne peut pas sortir, pas circuler, pas travailler. Les vieux restent, et les jeunes partent. Il faut mettre fin à l’occupation, là est l’urgence immédiate.

J’ai une confiance aveugle dans la vitalité de la société civile palestinienne qui est plus forte que tout le monde. Plus forte que ses responsables politiques, plus fortes que les pays arabes et qu’Israël. Soyons certains que la guerre civile ne pourra pas prendre pied en Palestine. La société civile palestinienne est forte parce qu’elle est chez elle, parce qu’elle a fait son Intifada et qu’ainsi elle a retrouvé confiance en elle même.

Elle a une résilience de Job et elle ne lâchera pas prise facilement et c’est avec elle qu’il faut travailler pour construire l’avenir.

Sources : Extrait de l’article écrit par Eric Anglade, paru sur http://www.almaouja.com et sur https://blogs.mediapart.fr. Nous les remercions vivement.
photo logo : humanite.fr

les autres articles en lien avec Leila Shahid sur le site de Palestine 13 :

le 31 mai 2015 : 15 mai 1948, commémoration de la Nakba - témoignage de Leila Shahid
http://www.assopalestine13.org/ecrire/?exec=article&id_article=524

le 13 septembre 2015 : Les nouvelles Antigone et la "blogueuse" palestinienne ABIR KOPTY
http://www.assopalestine13.org/spip.php?article570

le 25 novembre : « Israéliens, Palestiniens, les cinéastes témoignent » ouvrage préfacé par Leïla Shahid
http://www.assopalestine13.org/spip.php?article640