Les Juifs israéliens commencent-ils à accepter le droit au retour ?

jeudi 17 mai 2018

Un certain nombre de nouveaux sondages montrent qu’au moins un cinquième des citoyens juifs d’Israël sont ouverts à l’idée du retour chez eux des réfugiés palestiniens. Alors comment concilions-nous ceci avec la violence en train d’être infligée aux Palestiniens à la frontière avec Gaza ?

Qu’y a-t-il dans la « Grande Marche du Retour » de Gaza qui menace ainsi les Israéliens ? Qu’est ce que les Israéliens sont en train d’empêcher si activement ? La barrière de Gaza symbolise l’essence même de l’état juif, qui a été créé par l’expropriation des Palestiniens, en expulsant la majorité d’entre eux au-delà de ses frontières. Des murs et des barrières ont été construits — au-dessus et au-dessous du sol — pour empêcher le retour de ces réfugiés. Aujourd’hui, comme dans les années 1950, ils sont considérés comme de dangereux « éléments infiltrés ». Pas grand chose n’a changé quand il s’agit de la pensée et de la pratique coloniales.
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Malheureusement, nous devons aussi admettre que même quand les atrocités deviennent trop lourdes à porter, la réponse violente israélienne n’est pas surprenante. Cela va presque sans le dire ; peut-être le fait qu’il n’y ait rien de surprenant dans cette sorte de conduite est la véritable atrocité. Et que l’urgence à Gaza soit devenue un sujet insignifiant.

C’est pourquoi il a été aussi surprenant de découvrir les résultats d’un nouveau sondage, mené par le Groupe des Connaissances en Géocartographie parmi 500 Israéliens juifs, pour notre livre, La Nakba en hébreu. Le sondage montre que pas mal de Juifs israéliens, ou au moins beaucoup plus qu’on ne pourrait le penser, soutiennent le droit au retour des réfugiés palestiniens.

La question suivante a été posée aux Israéliens juifs : “En 1948, pendant la Guerre d’Indépendance, la majorité des Palestiniens qui habitaient dans le pays ont été transformés en réfugiés et ont depuis été dispersés partout dans le monde. Le droit au retour des réfugiés palestiniens fait référence à la possibilité pour chaque réfugié-e palestinien-ne (et les descendants de celui-ci ou de celle-ci) de choisir entre le retour effectif à l’endroit où ils ont habité jusqu’en 1948, et d’autres formes de compensation. La reconnaissance du droit au retour peut signifier que plus de sept millions de réfugiés palestiniens choisiront de revenir en Israël. Dans quelle mesure soutenez-vous ou rejetez-vous le droit au retour tel que présenté ?”

JPEG - 154.9 ko Des citoyens palestiniens d’Israël passent des photos de réfugiés palestiniens pendant la « Marche -annuelle- du Retour » à Lubya, un village palestinien détruit en 1948. (Activestills)

La formulation détaillée et l’insertion de l’expression « plus de sept millions » de réfugiés palestiniens étaient destinées à s’assurer que les personnes interrogées comprenaient complètement la signification de la reconnaissance et de la mise en oeuvre du droit au retour. Cela a été fait après que la formulation dans deux sondages précédents ait été moins explicite, donnant plus de 20 % de résultats favorables au droit au retour. Et cependant, 16,2 % des personnes interrogées dans le nouveau sondage ont répondu qu’elles soutiennent le retour, ou qu’elles le soutiennent « à condition que les réfugiés reviennent dans des conditions pacifiques. »

Selon le sondage, près de deux fois plus de femmes que d’hommes soutiennent le droit au retour (17,2 % par opposition à 9 %). Un chiffre particulièrement optimiste peut être trouvé quand on répartit les réponses par âge : les Israéliens entre 18 et 34 ans soutiennent le droit au retour à un taux particulièrement élevé (25,9 %), en comparaison aux adultes de plus de 55 ans (15,1 %) et ceux entre 35 et 54 ans (7,3 %). En même temps, les Israéliens qui obtiennent un revenu moyen sont probablement deux fois plus nombreux à soutenir le droit au retour que ceux qui obtiennent un revenu supérieur à la moyenne (21,9 % par opposition à 12,7 %).

On voit un tableau net et prévisible quand on tient compte du niveau de religiosité. Le soutien des Juifs laïcs au droit au retour était quatre fois plus élevé que celui des Juifs ultra-orthodoxes (22,3 % par opposition à 5,2 %). Une différence intéressante a aussi été trouvée entre les Israéliens (de la première génération et ceux) de la seconde génération, les Israéliens dont les parents sont nés en Europe, et les Israéliens dont les parents sont d’origine orientale. Les premiers soutiennent le droit au retour à un taux nettement plus élevé (22,6 %) en comparaison à ceux nés d’immigrants européens (14,1 %), et ceux nés de parents orientaux (11,7 %).

Ces résultats surprenant sont étayés par les résultats d’autres sondages. Le premier de ceux-ci a aussi été mené en mars 2015 pour La Nakba en hébreu par Géocartographie. Dans ce sondage, la question suivante (a été posée) à 500 Israéliens juifs : « Soutiendrez-vous personnellement le droit au retour des Palestiniens s’il est reconnu que ce droit n’implique pas le déracinement des Israéliens juifs des maisons dans lesquelles ils habitent ?” 20 % ont répondu positivement, en comparaison avec les 60,8 % qui ont répondu de façon négative.

JPEG - 69.1 ko Un Juif ultra-orthodoxe marche dans le village palestinien dépeuplé de Lifta, situé en bordure de Jérusalem-Ouest, en Israël, le 4 mars 2014. Pendant la Nakba, les habitants de Lifta ont fui les attaques des milices sionistes, en entraînant l’évacuation complète du village en février 1948. (Photo de Ryan Rodrick Beiler/Activestills.org)

Dans un sondage mené en juillet 2017 par l’Institut Smith pour la TV Sociale d’Israël, la (question) suivante a été posée à 400 Juifs habitant au Nord d’Israël : “Soutenez-vous ou rejetez-vous le droit des Arabes de revenir habiter dans les zones où ils habitaient avant 1948, à condition qu’il n’y ait pas aujourd’hui d’habitants juifs dans ces zones ?” Environ 26 % ont répondu positivement. Il est possible que le résultat particulièrement élevé découle du libellé de la question, qui ne définit pas précisément qui reviendra. En d’autres termes, la question ne mentionne pas que ces réfugiés habitent actuellement à l’extérieur des frontières de l‘état. Il est intéressant de noter que dans ce sondage, aussi, près de deux fois plus de femmes soutiennent le retour : (30 % contre 17 %).

Comment, alors, peut-on concilier la réponse israélienne violente et sans équivoque de tirs à balles réelles sur les marcheurs de Gaza, avec les résultats réguliers de plusieurs sondages qui montrent qu’environ un cinquième des Juifs israéliens sont ouverts à la possibilité du retour des réfugiés palestiniens ?

A notre avis, cet écart provient des manières différentes selon lesquelles la question du retour est débattue publiquement. Le discours public fréquent en Israël en ce qui concerne le retour est un discours contraire. Le retour, aux yeux de beaucoup, équivaut à un autre Holocauste — un jeu à somme nulle. En d’autres termes, le retour des Palestiniens signifie que les Juifs israéliens n’ont aucune place dans le pays. Il y a quelques jours nous avons demandé à Adnan Mahameed, réfugié de al-Lajjun, pendant une visite à son village détruit, ce qui arriverait aux Juifs habitant dans le Kibboutz de Megiddo (qui a été construit sur les vestiges de son village) si son droit au retour devait être reconnu. Sa réponse a exalté les auditeurs : « Nous ne voulons pas causer aux autres les souffrances que nous traversons, et nous trouverons un chemin vers un compromis sur ces terres. »

Il s’agit de savoir que lorsque les Israéliens sont interrogés au sujet du droit au retour en tant droit humain fondamental — le but duquel est de vivre en paix en Israël — pas mal d’entre eux répondent de manière positive.

JPEG - 78.3 ko Des soldats israéliens en bataille avec le village arabe de Sassa en Haute Galilée, 1er octobre 1948. (GPO)

La question de la mise en œuvre du retour des réfugiés palestiniens mérite un débat distinct et approfondi, qui a pris de l’ampleur ces dernières années. On doit remarquer ici que l’exigence constante des Palestiniens de la reconnaissance et de la mise en œuvre du droit (au retour) ne s’est jamais accompagnée d’une exigence d’expulsion des Juifs. Au contraire, la concrétisation du droit au retour est liée aux conditions démographiques et culturelles qui ont changé depuis la Nakba. La réponse d’Adnan, donc, représente l’idée largement répandue parmi les Palestiniens — à la fois les réfugiés et ceux qui habitent sur leur terre historique. Le retour ne s’accompagnera pas du déracinement forcé des gens des maisons dans lesquelles ils habitent.

Afin de promouvoir la justice et la réconciliation en Israël, nous devons développer un discours qui reconnaisse les injustices du passé et qui aspire à la coexistence. Cela ne sert à rien de se disputer à propos de « leurs droits » par opposition à « nos droits ». Cette sorte d’argument encourage uniquement les barrières, et donne une justification pour ouvrir le feu sur ceux qui s’approchent de celles-ci. Nous devons pratiquer un nouveau langage qui comprenne tous les habitants du pays et ses réfugiés. Ceci sera le début d’un processus ayant pour but de cesser d’être colons et occupants, Afin de vivre ensemble ici — avec tous ses habitants et ses réfugiés.
De Eléonore Bronstein et Eitan Bronstein Aparicio
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Eléonore Bronstein et Eitan Bronstein Aparicio sont les codirecteurs et les cofondateurs de De-Colonizer / DéColonisateur. Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Appel Local.
(traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)

Eléonore Bronstein et Eitan Bronstein Aparicio sont venus à Marseille et à Manosque
et nous avons publié le 5 mai un autre article de Eléonore Bronstein et Eitan Bronstein Aparicio
Israël et la Nakba, de la reconnaissance au déni

pour en savoir plus sur la Nakba, la catastrophe en arabe
réécoutez l’émission du 8 mai sur Radio Galère
Vous pourrez entendre une conférence de Sandrine Mansour sur la Nakba

et bien sûr participer à l’évènement
Palestine, 70 ans après la Nakba, quelles résistances ?
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samedi 26 mai de 14h à 20h