Les Palestiniens ont droit à la dignité, tout comme les enfants des survivants de l’Holocauste

mardi 6 novembre 2018

"On continue à passer sous silence les demandes légitimes des Palestiniens, afin de perpétuer le mythe selon lequel Israël est le refuge de la communauté juive mondiale, et une démocratie dotée de l’armée la plus morale du monde. Ne méritons-nous pas autant que les enfants des survivants de l’Holocauste ? Liberté, sécurité, justice et dignité", écrit Shahd Abusalama, une artiste palestinienne.

JPEG - 27.2 ko Couple avec enfants visés par les snipers israéliens à Gaza

"En écrivant ces lignes, je me rappelle les multiples occasions où j’ai dû m’asseoir avec des Européens qui discutaient de leurs profonds remords concernant les atrocités commises envers leur communauté juive. Je me rappelle les nombreuses occasions profondément douloureuses où je me sentais complètement invisible au cours des discussions sur le racisme, le colonialisme, la justice sociale et les droits des réfugiés et des migrants. Les palpitations qui m’étouffaient, tandis qu’émergeaient les innombrables souvenirs de terreur et de souffrance, ont fait taire un cri qui appelait désespérément une réponse :

Pourquoi ne pas se sentir coupable envers nous, au moment où les pays européens attisent et permettent le prolongement du terrorisme israélien contre les Palestiniens ? Ne sommes-nous pas un peuple ? Qu’en est-il du problème des réfugiés palestiniens, le plus long de notre histoire moderne ?

Si seulement je pouvais éveiller la conscience des gens et les confronter à un siècle de complicité qui, reconnue, leur donnerait le sentiment d’immense culpabilité envers les Palestiniens. La situation était, est et continuera à être sombre jusqu’au moment où on prendra des mesures concrètes pour supprimer (et non alléger) ces graves injustices qui se déroulent en plein jour, aux yeux du monde entier, depuis 70 ans d’occupation coloniale et d’apartheid israéliens.

D’ici là, vous serez hantés par les souhaits inexaucés de nos grands-parents qui sont morts alors qu’ils s’étaient accrochés jusqu’à leur dernier souffle à leur droit au retour. La vie des innombrables patients qui sont morts de maladies banales à cause des barrières et des postes de contrôle. Les rêves de nos enfants. Les pleurs des mères palestiniennes. Les années volées à nos prisonniers politiques. Les photos de toutes nos victimes, jeunes et âgées. Le sang qui goutte de tous les blessés. Les membres amputés. Les oliviers déracinés. Les maisons démolies. Les souvenirs qui naissent à tous les coins. Les terres abandonnées. Les yeux ensommeillés qui attendent depuis longtemps l’aube de la liberté. Les corps assassinés qui saignent jusqu’au bout. Le corps sans vie de Malak Rabah Abu Jazar, jeune Palestinienne de Gaza, que les vagues de la mer ont rejetée sur le littoral turc, après son évasion manquée de la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, pour chercher une vie meilleure. Voilà ce qui vous hantera. Cela nous fait mal, si vous faites semblant de l’oublier.

Tout au long de la barrière de séparation, des foules immenses font face aux tireurs d’élite israéliens qui se cachent derrière des dunes, dans leurs jeeps militaires. Elles avancent et reculent, selon le degré de force meurtrière infligée contre eux. La Grande Marche du Retour en est à son septième mois, le terrain transformé sans relâche en une scène traumatique où règnent le carnage et la répression, entièrement documentés grâce aux informations locales et aux personnes présentes qui veulent rappeler au monde les horribles injustices qu’endurent les Palestiniens, et encouragent un geste qui pourrait y mettre fin.

Tandis que ces atrocités continuent en toute impunité, le discours d’information médiatique occidental dominant transforme ces événements abominables en un spectacle qui détourne l’attention de la réalité criblée d’injustice que vivent les Palestiniens sous le régime israélien, et de leurs demandes légitimes. Chaque reportage commence par une déclaration de l’armée israélienne, qui justifie ses crimes. Si les médias parvenaient à vous désensibiliser, souvenez-vous que, si vous accumulez les larmes de toutes les familles qui pleurent au moins un de leurs membres, tué, blessé, noyé dans la mer ou emprisonné, ces torrents de larmes enterreraient la terre sous la mer.

Malgré cet éternel processus de déshumanisation, de démonisation et de pacification, et la répression israélienne intensifiée qui fait suite, les protestataires ne craignent pas de retourner vers la barrière. En ce qui les concerne, le choix est toujours entre l’enfer vivant et une mort dans la dignité. Ils attendent désespérément que le monde témoigne de la criminalité d’Israël. Ils démontrent l’urgence d’une solution politique qui ne se limiterait pas aux frontières de Gaza et à la levée du siège. D’où l’exigence du Droit au Retour.

Les Palestiniens demandent également qu’une Autorité palestinienne compétente s’investisse dans la résistance populaire et le sacrifice - source d’inspiration. Ils l’implorent de rectifier le cours des accords de paix d’Oslo de 1993, ponctués de divisions internes qui mettent au second plan la question principale qu’est notre lutte anticoloniale, en échange d’une autonomie imaginaire dans des bantoustans où les gens sont tout simplement les esclaves de l’occupant israélien.

Les Palestiniens se sacrifient pour rappeler à ceux qui agissent de l’intérieur ou de l’extérieur, que notre lutte anticoloniale est pour la libération, non pour l’indépendance. C’était et ce sera toujours la nature de notre lutte, en dépit de ces maudits touche-à-tout qui s’efforcent de la redéfinir et de la travestir."

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Shahd Abusalama, née et élevée dans le camp de réfugiés de Jabalia au nord de la bande de Gaza, fais actuellement ses études de cinéma en Angleterre. Artiste et militante, elle est l’auteur du blog "Palestine from My Eyes" , et co-fondatrice de la compagnie de danse Hawiyya, basée à Londres.@ShahdAbusalama.

(Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)