Les ballons incendiaires de Gaza sont des « signaux de détresse »

mercredi 2 septembre 2020

Le groupe qui envoie des ballons incendiaires sur Israël explique que c’est une forme de pression pour lever le blocus dévastateur de Gaza.

Ces deux dernières semaines, un groupe de sept palestiniens a campé près de la zone tampon séparant la bande de Gaza d’Israël au petit matin, avant l’aube. Mais ce n’est pas une sortie de camping ordinaire. Dans leurs provisions, on trouve des bouteilles de gaz, des petits cubes inflammables, des ballons et des masques de Guy Fawkes, qu’ils portent pour dissimuler leur identité.
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Les Palestiniens s’appellent eux-mêmes l’Unité al-Barq (la Foudre) – un des nombreux groupes impliqués dans le « tir » de ballons et de cerfs-volants sur Israël [Palestine de 1948].

Cachés entre les buissons et les oliviers, les hommes remplissent les ballons d’hélium, les regroupent en un ballot, puis attachent un petit objet incendiaire à leur queue. Une fois que la direction du vent est bonne, ils lancent discrètement les objets en direction des zones sans habitations qui sont au-delà de la clôture de séparation.

Les ballons, qu’Israël a qualifiés d’ « attaques criminelles », ont provoqué de grands incendies sur un certain nombre de terres agricoles.

Bien qu’aucun Israélien n’ait été blessé, les petits engins aéroportés ont incité Israël à bombarder la bande de Gaza pendant 10 jours consécutifs – ciblant les installations d’entraînement et les points de contrôle du mouvements Hamas, sans faire de victimes palestiniennes.

« Un message brûlant »

« Nous sommes venus ici pour envoyer un message brûlant à l’occupation israélienne, disant que nous, dans la bande de Gaza, ne pouvons plus tolérer le blocus qui est en place depuis 13 ans », a déclaré à Al Jazeera Abu Yousef, le porte-parole de l’unité Barq.

« Nous voulons envoyer le message que nous méritons une vie décente pour nos familles et nos proches », a ajouté le jeune homme âgé de 24 ans.

Le membre le plus âgé du groupe, qui porte le nom de guerre d’Abu Obaida, a expliqué qu’ils se sont tournés vers ce type de moyens pour contester le blocus, parce qu’ils ont de plus en plus l’impression que « personne ne porte d’attention à Gaza », et ils ont eu recours à cette tactique pour « alléger la situation misérable de Gaza ».

« Le monde regarde ailleurs », a déclaré ce père de cinq enfants, âgé de 35 ans. « Nous n’avons aucune inimitié avec le peuple juif ». Notre combat est contre leur gouvernement qui nous assiège depuis 13 ans ».

En plus des raids aériens chaque nuit sur l’enclave côtière sous blocus, Israël a entrepris une série de mesures punitives qu’il dit être en réponse aux ballons incendiaires.

La semaine dernière, Israël a fermé Karam Abu Salem (Kerem Shalom), le principal point de passage commercial de Gaza. Puis, le 17 août, Israël a fermé la zone de pêche de Gaza.

Le lendemain, l’unique centrale électrique de Gaza a interrompu ses services suite à la réduction par Israël des importations de carburant le jeudi, ce qui a fait passer la disponibilité d’électricité de la ville de huit à douze heures à seulement trois heures par jour. Malgré les mesures accrues de punition collective dans la bande de Gaza, l’Unité Barq est catégorique : elle continuera ses activités, qui, selon ses membres, sont un moyen de pression sur Israël pour qu’il lève le blocus dévastateur de Gaza.

Le mouvement Hamas, qui gère la bande de Gaza, tolère généralement l’envoi de ballons incendiaires malgré les violentes représailles d’Israël. « Le peuple palestinien a le droit de résister à l’occupation israélienne et d’élever sa voix de quelque façon que ce soit contre le blocus de la bande de Gaza », a déclaré à Al Jazeera Bassem Naim, un responsable du Hamas. Il a accusé Israël d’ignorer les accords négociés par l’Égypte, le Qatar et les Nations unies.

« Le résultat est que la population de Gaza vit maintenant dans des conditions misérables sans précédent », a déclaré Naïm. « C’est ce qui a poussé certains jeunes à entreprendre des actions de résistance populaire telles que les ballons incendiaires, parce que toutes les autres méthodes pour attirer l’attention sur ce qui se passe dans la bande de Gaza n’ont abouti à aucun changement ».

De très dures conditions de vie

Selon les Nations unies, le blocus de Gaza devrait rendre la ville assiégée inhabitable d’ici 2020. L’enclave souffre d’une grave pénurie d’eau potable, où la contamination de l’eau a atteint 97 %.

Près de 80 % de la population de Gaza reçoit une aide sous une forme ou une autre, selon la Banque mondiale, tandis que près de 53 % est tombée en dessous du seuil de pauvreté.

Les conditions économiques difficiles ont conduit l’unité Barq à remettre en question le statu quo, ont déclaré ses membres. Bien qu’ils aient tous des diplômes universitaires, ils sont tous au chômage – dans le cadre de ce que la Banque mondiale a décrit comme le taux de chômage le plus élevé – 45,5 % – au monde.

« Je suis marié et j’ai trois enfants, mais je suis au chômage », a déclaré Abu Yousef, un autre membre du groupe, à Al Jazeera. « Mes enfants méritent une vie décente et digne. Je suis ici aujourd’hui parce que lorsque je les regarde dans les yeux, je ne peux que constater que je ne peux pas subvenir à leurs besoins ».
Abu Yousef a ajouté qu’il n’avait pas les moyens d’acheter les produits de première nécessité pour leur école et qu’il avait dû emprunter des uniformes usagés à ses voisins. « Nous ne sommes pas des terroristes comme le prétend Israël », a déclaré Abu Obaida. « Nous ne voulons pas brûler quoi que ce soit ou blesser quelqu’un. J’ai récemment obtenu un diplôme en relations publiques et marketing avec de très bonnes notes, mais je n’ai pas pu trouver de travail par la suite.

« Nous méritons d’avoir des possibilités d’emploi, de l’électricité… Mes enfants méritent de trouver de la nourriture sur la table », a-t-il ajouté.

Risques et dangers

Les équipes de ballons incendiaires de Gaza ont toutes participé aux rassemblements de la « Grande Marche du Retour » qui a commencé en 2018, lorsque des réfugiés palestiniens se sont rassemblés pacifiquement près de la barrière de séparation avec Israël [Palestine de 1948] pour tenter de retourner dans leurs foyers d’avant 1948.
Mais après qu’Israël a brutalement réprimé les manifestations, les marcheurs ont cherché d’autres moyens de de faire savoir au monde le sort des Gazaouis.

L’unité Barq a souligné que ses activités sont une réponse légitime au blocus paralysant d’Israël.

« Nous ne faisons pas des demandes astronomiques mais [nous exigeons] des droits fondamentaux », a déclaré Abu Obaida. « Nous continuerons à utiliser les ballons et les cerfs-volants jusqu’à ce qu’Israël respecte notre droit légitime à mener une vie normale et à subvenir à nos besoins ».

JPEG - 51.6 ko Le groupe est fermement décidé à poursuivre ses activités pour faire pression sur Israël afin qu’il lève le blocus dévastateur de Gaza – Photo : Mahmoud Walid/Al Jazeera

Un autre membre, Abou Hamza, a fait une intervention : « Notre message au monde est de voir Gaza pour ce qu’elle est. C’est un territoire occupé où deux millions de personnes vivent sous un siège étouffant. Israël n’a pas le droit de faire durer cette situation ».

L’unité Barq reconnaît que ses activités comportent d’énormes risques pour leur vie.

« Le danger auquel nous sommes confrontés chaque jour est que l’occupation nous tire dessus à balles réelles », a déclaré Abu Yousef. « Le ciel au-dessus de nous est toujours plein de drones. Bien sûr, nous avons peur, mais la vie telle qu’elle est à Gaza est encore plus terrible ». Il a ajouté que tout ce que les Gazaouis veulent, c’est une vie décente sans blocus, et que : « Jusque-là, Gaza restera une épine dans le pied de l’occupation.

« Quiconque pense que nous continuerons à accepter cette triste vie qui nous est imposée à Gaza, est un rêveur », a encore déclaré Abu Yousef.

Walid Mahmoud est photojournaliste freelance à Gaza ; son compte Twitter.
Muhammed Shehada est journaliste basé en Palestine ; son compte Twitter.

21 août 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine - source : afps