Les diplomates européens soulignent la dégradation de la situation à Jérusalem

mardi 6 février 2018

Un rapport dont « Le Monde » a eu connaissance préconise la mise en œuvre de mesures plus sévères contre la colonisation et les violations des droits des Palestiniens.

L’administration Trump a rompu avec le consensus international sur le conflit israélo-palestinien, fondé sur le droit et les résolutions des Nations unies, mais l’Union Européenne veut continuer à en demeurer la solide gardienne. Telle est la ligne directrice défendue par les chefs de mission locaux de l’UE, dans un rapport annuel consacré à Jérusalem. Ce document confidentiel devait être présenté jeudi 1er février à Bruxelles aux Etats membres de l’UE. Selon sa dernière version, dont Le Monde a eu connaissance, il durcit le ton vis-à-vis des Israéliens, en dessinant des idées d’action, alors que les Vingt-Huit sont encore très divisés sur le degré de fermeté à adopter vis-à-vis de l’Etat hébreu.

Ce document riche, précis, souvent cru, explore tous les volets de la vie quotidienne : transports, constructions, études, économie, violences, etc. Il dresse un tableau terrible de la « politique israélienne déjà ancienne de marginalisation économique, politique et sociale des Palestiniens à Jérusalem ». Cette dévitalisation se traduit en chiffres. La contribution de Jérusalem-Est au produit intérieur brut palestinien est passée de 15 % en 1993, avant la signature des accords d’Oslo, à 7 % aujourd’hui. « En raison de l’isolement physique et de la politique israélienne stricte de permis, la ville a largement cessé d’être le centre économique, urbain et commercial palestinien qu’il avait été », précise le texte.

Jérusalem, capitale des deux Etats

La décision de Donald Trump de reconnaître la ville comme capitale d’Israël, le 6 décembre 2017, représente un « tournant fondamental dans la politique américaine », selon le rapport.
Mais la nouveauté de ce document se situe dans la diversité des recommandations politiques adressées aux Etats membres de l’UE, qui se lisent en creux comme une réponse à la complaisance sans précédent de Washington à l’égard de l’Etat hébreu. Toute initiative régionale ou internationale, précise-t-il, devra inclure l’objectif d’une définition de Jérusalem comme capitale des deux Etats. Dans cette perspective, les chefs de mission suggèrent, au nom du respect du « consensus international sur Jérusalem », de s’assurer que l’emplacement des représentations diplomatiques demeure inchangé. Les Etats-Unis, eux, prévoient de déménager leur ambassade,
actuellement à Tel-Aviv, d’ici à la fin 2019.

Le rapport préconise aussi, pour défendre l’identité plurielle de la ville, de s’élever contre les projets touristiques et archéologiques israéliens à Jérusalem-Est, lors des forums internationaux et dans les réunions bilatérales.
De même, il faudrait apporter un soutien aux « défenseurs des droits de l’homme à Jérusalem-Est », pour mieux les protéger. Le texte note que, depuis les années 2000, Israël maintient « une répression constante sur l’organisation d’une vie politique palestinienne à Jérusalem-Est ».

Concernant la police israélienne, le rapport souligne « l’usage excessif de la force », notamment de tirs à balles réelles, lors des manifestations. « En outre, certains auteurs palestiniens d’attaques individuelles ont été apparemment visés et tués dans des situations où ils ne représentaient plus une menace », mentionne le rapport.

Sanctions ciblées contre les « colons violents »

Concernant les colonies, là aussi, plus de vigilance et plus de sévérité sont réclamées, tandis que les plans pour 3 000 nouveaux logements ont été avancés en 2017. Aujourd’hui, 217 000 juifs israéliens vivent à Jérusalem-Est, dans onze vastes communautés menaçant la continuité territoriale avec la Cisjordanie.
Les auteurs du rapport aimeraient que l’UE parvienne à établir « un mécanisme plus efficace (...) pour s’assurer que les produits des colonies ne bénéficient pas de traitement préférentiel dans le cadre de l’accord d’association UE-Israël ». L’étiquetage des produits israéliens fabriqués dans les colonies a été décidé par l’UE fin 2015, suscitant une réaction outrée d’Israël. Chaque Etat membre devait ensuite appliquer cette mesure.

Dans cette logique, le rapport préconise l’établissement de directives pour mieux distinguer le territoire israélien des territoires occupés depuis 1967. Et cela en incitant d’autres puissances étrangères à faire de même, un point qui risque d’exaspérer l’Etat hébreu. Quant aux « colons violents » et ceux qui font l’apologie de la violence, les Etats membres de l’UE devraient envisager des sanctions ciblées en matière d’entrées sur le continent.

Enfin, l’UE devrait s’opposer à toutes les initiatives législatives à la Knesset (Parlement) qui changeraient de façon unilatérale les frontières de la ville. Le rapport fait ainsi référence à plusieurs projets de loi qui envisagent de détacher certains quartiers palestiniens de Jérusalem, situés au-delà du mur de séparation, ou bien d’intégrer dans la municipalité des colonies limitrophes.

« Politique de “déportation silencieuse” »
Les Palestiniens représentent 37 % de la population totale, soit 316 000 personnes. Si ces projets étaient menés à terme, cette part tomberait à 20 %. Entre 1967 et 2016, poursuit le rapport, Israël a conduit à Jérusalem une « politique de “déportation silencieuse” », en révoquant les permis de 14 595 résidents palestiniens, en violation de ses obligations comme puissance occupante, telles que
définies par les conventions de Genève. Le texte rappelle que cet outil administratif de la révocation s’inscrit dans le plan de développement de la mairie, qui vise à préserver une « majorité juive substantielle » à Jérusalem.

Les chefs de mission soulignent enfin l’importance de la crise suscitée, en juillet 2017, par l’installation de portiques électroniques – retirés depuis – à l’entrée de l’esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les juifs). Les croyants musulmans avaient boycotté le lieu saint et organisé des prières de rue. Le rapport note la « mobilisation sans précédent des Palestiniens », caractérisée par « l’unité, la non-violence et un fort sens de la solidarité », et cela en dehors de tout mot d’ordre
institutionnel et de toute faction politique.

Jérusalem, scindée en deux

Au cœur de trois religions et séparée en deux, la ville a été reconnue comme capitale d’Israël par Donald Trump. Une annonce risquée, notamment vis-à-vis des Palestiniens de la partie orientale, qui considèrent cette zone comme la capitale de leur futur Etat.
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Jérusalem est située à 700 mètres d’altitude sur les hauteurs de Jude, entre la plaine côtière qui borde la Méditerranée et la vallée du Jourdain. Elle est divisée par la ligne de cessez-le-feu tracée en 1949 qui sépare Israël de la Cisjordanie. Les limites actuelles de la municipalité de Jérusalem ont été tracées par les Israéliens après la guerre des Six-Jours, en 1967. La ligne de cessé le feu – non matérialisée sur le terrain :
• sépare la ville en deux :
• à l’ouest la partie israélienne est peuplée essentiellement de juifs : 330 400 juifs contre 3 400 Arabes. De ce côté se trouvent : la Knesset, le Parlement israélien, le quartiers des ministères, la Cour suprême et la Banque centrale israélienne. Si Jérusalem est considérée par les Israéliens comme la capitale de l’Etat d’Israël, elle n’est pas reconnue comme telle par la communauté internationale et c’est pour cette raison que Tel-Aviv concentre les ambassades.
• La partie est, est revendiquée par l’Autorité palestinienne qui souhaite également faire de Jérusalem sa capitale. Elle compte 320 300 Arabes contre 211 600 juifs et englobe la vielle ville.

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La vieille ville est elle, même divisée en quatre quartiers :
• un quartier chrétien où se trouve l’église du Saint-Sépulcre et le tombeau du Christ,
• au sud-ouest : un quartier arménien.
• au sud-est se trouve le quartier juif et dans son prolongement le mur des Lamentations, vestige du temple de Salomon, symbole de la présence d’un royaume juif, il y a deux mille ans.
• à l’est, enfin, se trouve le quartier musulman qui englobe l’esplanade des Mosquées où se situent le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Cet ensemble constitue le troisième lieu saint de l’islam après La Mecque et Médine mais il est considéré par les juifs comme le lieu du premier temple de Jérusalem. Le statu quo en vigueur depuis 1967 prévoit que les visiteurs non-musulmans ont le droit de s’y rendre mais pas d’y organiser des prières.

Un face-à-face Israël-Palestine
En 1967, Israël a conquis la partie orientale et arabe de la ville ainsi que l’ensemble de Cisjordanie à la suite de la guerre des Six-Jours. Depuis, les Israéliens ont un accès direct à la vieille ville et donc au mur des Lamentations. En 1980, Israël déclare officiellement Jerusalem comme capitale « une et indivisible » de l’Etat d’Israël. L’ONU ne reconnaît pas cette annexion et considère Jerusalem-Est comme un territoire sous occupation israélienne. Cette occupation prend notamment la forme d’une colonisation immobilière. La construction de logements est en effet une manière de tenir le territoire. Chaque maison, chaque mètre carré devient un enjeu géopolitique. Entre 1968 et 1979, Israël construit majoritairement à l’intérieur des limites municipales de Jérusalem-Est. Puis, entre 1980 et 1999, à l’extérieur. Et depuis les années 2000, de nouveaux projets ont vu le jour.

La barrière de séparation est un élément supplémentaire de cette conquête par l’aménagement. Construit en 2002 en réponse aux attentats d’extrémistes palestiniens, il suit les limites de la municipalité telles qu’elles ont été définies par les Israéliens en 1967, et englobe donc la partie orientale de la ville. Il quitte ensuite le tracé et s’enfonce en Cisjordanie, pour englober à l’Est les colonies israéliennes de Maalé Adoumim, Mishor Adoumin ou Alon et au Nord les colonies jusqu’à celle de Givat Zeev.

Aujourd’hui, mur et colonisation rendent quasiment impossible la coexistence de deux capitales à Jérusalem. La discontinuité des espaces palestiniens compromet la possibilité d’une jonction entre Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie.

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Source : LE MONDE - 2 février 2018 - Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)


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