Les femmes palestiniennes se soulèvent dans le monde entier

lundi 9 mars 2020

Des rues de Palestine et d’Israël au Congrès américain, 2019 a vu les femmes Palestiniennes se soulever contre des injustices historiques mais aussi lutter contre les oppressions quotidiennes. Aujourd’hui, elles réécrivent l’avenir.

Qu’elles revêtent la traditionnelle thobe palestinienne au Congrès ou qu’elles défilent dans les rues du monde entier, les femmes palestiniennes ont marqué l’année 2019 en constituant le fer de lance de la lutte pour la dignité et la justice en Palestine et en Israël.

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Les femmes ont toujours assumé des rôles de leader dans la société palestinienne mais l’an dernier, la convergence des efforts internationaux et des actions locales a apporté une nouvelle dimension à la réflexion sur les droits des Palestiniens. Les femmes se mettent en première ligne, faisant le lien entre diverses formes de violences patriarcales – de la colonisation à la brutalité aux mains de l’armée israélienne, en passant par la violence sexiste – et s’assurant que leurs voix ne puissent être ignorées.

En août dernier, le meurtre violent d’Israa Ghrayeb par les membres de sa famille a suscité l’indignation en Palestine et dans le monde arabe, incitant les femmes à briser les tabous en partageant leurs propres récits concernant la violence domestique sur les réseaux sociaux. Elles ont exigé que tous ceux qui ont été complices de la mort de Ghrayeb soient tenus responsables – des membres de sa famille aux institutions qui étaient censées la protéger mais ont gardé le silence. La pression populaire qui s’en est suivie a obligé l’Autorité Palestinienne à ouvrir une enquête sur le meurtre.

Le 26 septembre, des milliers de Palestiniens ont défilé dans des dizaines de villes à travers la Palestine historique et à l’étranger, au cri de : « Pas de patrie libérée sans la libération des femmes ». Les manifestations ont été organisées par le mouvement Tal’at (« coming out » en arabe) – un groupe de femmes basé en Palestine, fondé un an avant de meurtre de Ghrayeb et qui cherche à redéfinir la lutte nationale palestinienne.
« Ce sont les femmes palestiniennes qui, après des années d’action inlassable contre le colonialisme, peuvent proposer une véritable voie de libération. On ne se tiendra pas timidement derrière des hommes qui élaborent les agendas politiques et des déclarations complètement déconnectées des réalités vécues par les femmes ou, en fait, les réalités vécues par la majorité de notre peuple », écrit Soheir Asaad, l’une des organisatrices.

La violence n’est pas seulement l’expérience subie par certaines femmes dans leur foyer ou dans des rues mal éclairées. Pendant des années, nous avons enduré la peur, les menaces, le déni et la répression au sein d’organisations d’ONG ou de partis politiques aux mains des hommes qui commettent des violences ou qui gardent le silence face à la violence contre les femmes.

Les politiques oppressives d’Israël – qu’elles visent les Palestiniens citoyens israéliens, ceux qui vivent sous son régime militaire en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, ou ceux qui sont soumis au blocus dans la bande de Gaza – convergent avec les structures sociales patriarcales pour cibler les droits et libertés des femmes.
Des centaines de Palestiniens sont incarcérés chaque année, essentiellement des jeunes hommes qui sont aussi des maris, des fils, des piliers de famille.
Quant aux incidents de violence familiale ou aux « crimes d’honneur », la justice continue d’y apposer l’étiquette de conflits familiaux pour justifier de les laisser en suspens. La violence armée et les activités criminelles redoublent. Les maisons continuent d’être détruites, les communautés déchirées. Les Palestiniens sont toujours privés du droit de circuler librement et d’accéder à des soins de santé appropriés – et plus encore.

Face à ces efforts pour fragmenter et paralyser le tissu de la société palestinienne, isolant les communautés dans l’espace et dans les systèmes juridiques, le mouvement Tal’at a donné naissance à une plateforme dynamique et intersectionnelle pour unir de nombreux Palestiniens au-delà des frontières, tout en mettant les femmes au premier plan. De plus, aux côtés d’autres groupes féministes, tels que l’organisation Assiwar, elles lancent des campagnes inédites afin de faire en sorte que les hommes palestiniens, y compris des personnalités éminentes au sein de la société, soient tenus responsables de leurs actes de misogynie, d’agression ou de harcèlement sexuel.

Quand, en août, les forces israéliennes ont arrêté Hiba al-Labadi, une réfugiée palestinienne de Jordanie, la jeune femme de 24 ans a entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention sans inculpation ni jugement. Le mouvement Tal’at s’est alors mobilisé, attirant l’attention sur son cas ainsi que sur celui des dizaines de prisonnières détenues par Israël.

En novembre, Israël a de nouveau arrêté l’ancienne députée palestinienne Khalida Jarrar au cours d’une vague d’arrestations de Palestiniens affilié au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Elle avait déjà connu la détention administrative en 2015 et 2017, avant d’être relâchée de la prison israélienne Damon en février au bout de deux ans. D’après Suha, sa fille, « ce harcèlement permanent se base simplement sur le fait que [Jarrar] s’exprime haut et fort contre l’occupation et ses pratiques arbitraires à l’encontre du peuple palestinien. »
Alors qu’elle était membre du défunt Conseil Législatif Palestinien, Jarrar s’est distinguée comme une ardente défenseure des droits des prisonniers et des femmes. En avril 2018, quand Israël a refusé aux mineurs emprisonnés leur droit à l’éducation en gardant leur enseignant à distance durant plusieurs semaines, Jarrar, détenue dans la même prison, a préparé les étudiants détenus à leurs examens d’entrée à l’université. Elle a également donné des cours sur les droits humains à toutes les femmes détenues.
Le système pénitentiaire israélien a d’abord exigé que Khalida Jarrar mette fin à ces leçons – un geste qu’Addameer, l’organisation à but non lucratif pour les droits des prisonniers palestiniens, a qualifié « non seulement de déni d’éducation, mais aussi de tentative de réduire la capacité des femmes détenues à mieux comprendre leur propre oppression ». Après avoir rejeté la demande des prisonniers, le système pénitentiaire israélien a cédé et Jarrar a repris ses leçons.

Rashida Tlaib est une autre femme politique palestinienne qui a fait l’objet d’un contrôle intense cette année, bien que dans des circonstances très différentes. Première americano-palestinienne à siéger au Congrès, Tlaib a prêté serment en janvier en tant que députée du treizième district du Michigan, portant une robe traditionnelle palestinienne en l’honneur de sa mère. « Ma Yama (mère en arabe) est venue aux Etats-Unis à l’âge de 20 ans », écrit Tlaib dans Elle, « et comme tout parent immigré, elle veut que tous ses enfants réussissent, mais sans abandonner nos racines et notre culture. »

La tenue de Tlaib a inspiré des femmes palestiniennes du monde entier à célébrer leur culture et leur héritage en ligne, avec le hashtag #TweetYourThobe, très tendance sur les réseaux sociaux, en particulier chez les Palestiniennes des Etats-Unis dont l’identité a été diabolisée avec agressivité et même niée dans les discours publics. Un geste symbolique qui s’est rapidement mué en action puisque Tlaib, rejointe par la représentante au Congrès Ilhan Omar, a organisé une délégation du Congrès en Cisjordanie et à Gaza. L’itinéraire proposé comprenait des rencontres avec des associations et activistes palestiniens, ainsi qu’avec des organisations internationales des doits humains. Le but « était d’abord de constater ce qui se passe sur le terrain et d’entendre les parties prenantes », dit la représentante Omar dans un tweet.
Le gouvernement du premier ministre Benjamin Nétanyahou, avec les encouragements de l’administration du président Donald Trump, a empêché en août l’entrée sur le territoire palestinien des législateurs démocrates. Israël a toutefois offert à Tlaib un permis « humanitaire » pour lui permettre de rendre visite à sa grand-mère dans le village de Beit Ur al-Fauqa en Cisjordanie – un village qui a connu des décennies de saisies d’accaparement de terres et d’expansion des colonies.
Ce permis, que Tlaib a finalement rejeté, constituait une tentative flagrante de la dépolitiser : Israël a refusé de collaborer avec Tlaib en tant que leader américaine ayant le droit de se déplacer et d’exprimer librement ses opinions, et ne lui a autorisé l’entrée qu’en tant que Palestinienne soumise à l’occupation.
Les Palestiniens se sont de nouveau tournés vers les réseaux sociaux, en partageant cette fois-ci des images et des récits de leurs grand-mères avec le hashtag #MyPalestinianSitty. Si la précédente campagne sur les réseaux sociaux présentait les traditions et l’identité palestiniennes à une audience plus large, elle place désormais les femmes Palestiniennes âgées – les matriarches de la société – au centre.

Comme Nooran Alhamdan l’a écrit dans le magazine +972 au moment de cette campagne :

Ma grand-mère n’est pas seulement un modèle de gentillesse et d’amour. Elle n’est pas seulement ma meilleure amie. Elle n’est pas seulement une vieille femme avec beaucoup d’histoires. Elle est une survivante. Elle est une mémoire vivante de sa ville. Elle est la boussole qui indique la justice. Elle incarne l’humanité que tant de gens veulent nous, Palestiniens, refuser.

La visite de Tlaib et d’Omar aurait été « quasiment identique » à celle d’une délégation composée de cinq représentants démocrates au Congrès en 2016 qui avaient aussi choisi la Palestine comme destination. Mais les deux femmes, en tant que premières membres du Congrès à soutenir ouvertement le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) et en tant que femmes musulmanes de couleur, ont fait l’objet d’un contrôle rigoureux depuis leur entrée en fonction.
En effet, le revers subi par Tlaib et Omar est emblématique de la manière dont les Palestiniennes et les femmes musulmanes (ainsi que les autres femmes de couleur) ont été au centre des efforts des Etats-Unis et d’Israël pour présenter les activistes antisionistes et anti-occupation comme des antisémites, alors même que les nationalistes blancs ont obtenu un passe-droit pour leur propre antisémitisme en vertu de leur soutien au sionisme.
Le fait que ces deux femmes aient été en première ligne pour contester la relation à toute épreuve des Etats-Unis avec Israël s’est traduit par des mesures draconiennes, telles que leur interdiction d’entrer en Palestine.
Cependant, l’interdiction israélienne ne saurait mettre un terme à l’accélération des discussions sur le financement américain d’Israël, auxquelles Tlaib a contribué. Le potentiel conditionnementde l’aide militaire américaine au bilan d’Israël concernant les droits humains est, en l’espace d’un an, devenu un sujet de discussion de politique étrangère – à propos duquel les candidats démocrates à la présidentielle, sans parlerdes divers groupes de pression à Washington, sont obligés de débattre.

La première année de mandat de Tlaib a été bien plus qu’une affaire symbolique. Avec ses pairs au Congrès, les nombreux americano-palestiniens et leurs soutiens qui informent et donnent de l’ampleur à son travail, Tlaib a contribué à mettre fin au débat sur Israël et la Palestine dans la politique américaine, en plaçant l’humanité palestinienne au premier plan, aux côté des habituelles préoccupations concernant la sécurité israélienne.
Sur ce plan, Rashida Tlaib, les femmes de Tal’at et les femmes palestiniennes dans les prisons israéliennes ont opéré des avancées dans leurs environnements politiques respectifs. Elles font porter la discussion sur la manière dont les politiques israéliennes – et l’aide et la complaisance de la communauté internationale à leur égard – affectent les Palestiniens en tant qu’individus, familles et communautés, et pas uniquement en tant qu’une entité monolithique et sans visage.

Ainsi, ces femmes ont donné une voix à une réalité que leurs oppresseurs ont tenté de nier par la violence physique, la répression politique et le harcèlement légal.
L’histoire est souvent écrite par les puissants. En 2019, les femmes palestiniennes, qui sont doublement marginalisées par les politiques israéliennes et les normes patriarcales de leur société, n’ont pas seulement contesté les injustices historiques. Elles se sont levées pour lutter contre les oppressions quotidiennes. Aujourd’hui, elles réécrivent l’avenir.

+972 Magazine - Traduction AFPS