"Les meurtriers vivent parmi nous", par Gideon Levy

mardi 16 juillet 2019

"Les meurtriers vivent parmi nous. Personne pour les poursuivre, ni enquêter sur eux, ils ne sont nullement recherchés et ils peuvent vivre sans honte", écrit le journaliste Gideon Levy dans Haaretz, en revenant par l’assassinat du jeune Abdallah GHEITH, 15 ans par un "garde-frontière" israélien qui restera impuni.

JPEG - 91.2 ko "Garde-frontières" israéliens devant la porte de Damas, Jerusalem, 31 mai 2019. Mahmoud Illean, AP

"Dans la société israélienne, ils passent pour des innocents, incapables du moindre mal. Ce sont pourtant bel et bien des êtres humains qu’ils abattent de sang froid. Mais pour ces meurtriers, rien ne vient perturber la routine qui rythme leur petite vie bien normale, entre la famille, les potes, la carrière et l’argent.

A la maison, ils sont surement vus comme des héros, qui ont défendu la patrie. Dans tout le pays, on les considère comme des gens qui ont des valeurs. Ils peuvent, tout aussi bien, se tenir bien sagement derrière vous durant une file d’attente, au volant de la voiture d’à côté dans les embouteillages, à la table d’en face au restaurant, dans le siège de droite ou de gauche dans l’avion, ou bien au théâtre. Leurs mains sont entachées du sang d’innocents. Ce sont les meurtriers passe-partout d’Israël, et vous les trouvez partout dans le pays.

Ainsi du planton de la "police des frontières" (mal nommée puis qu’Israël ne se reconnait pas de frontières !! NDLR) qui, le 31 mai dernier, a abattu le jeune Abdallah GHEITH, qui n’avait que quinze ans.

Comme le dit son oncle Halaf : " Il n’avait jamais pu voir la mer."

Abdallah rêvait de pouvoir prier à la mosquée Al-Aqsa, en compagnie de son cousin, pour le dernier vendredi du Ramadan. Considérés trop jeunes par les autorités de l’occupation, celles-ci refusèrent de leur délivrer un permis d’entrée. C’est donc à proximité d’un trou existant à même la grille de séparation, que son père décida de les déposer. Lorsqu’il se retrouva coincé entre les deux grilles, Abdallah fut tué. Une zone de la mort qui ne dit pas son nom, que cet espace limité par ces deux grilles, comme on en trouve par exemple en Corée du nord. Tout Palestinien osant y mettre les pieds est promis à la mort. Il n’y a pas si longtemps, la même scène se serait produite du côté de Berlin-Est, nous aurions alors entendu tout un concert d’indignations, et de protestations. Mais bon, circulez braves gens, il n’y a rien à voir, nous sommes à Bethléhem, et puis ce n’est qu’un Palestinien...

Après la publication, dans Haaretz, de mon article sur l’assassinat de ce jeune, le porte-parole des garde-frontières attira mon attention sur ce qu’il considérait être des erreurs commises de mon côté, dans la description des faits.
Alors, avec ses petites précisions, le tableau est maintenant complet. Plus aucun doute n’est désormais permis. Il a été procédé à l’éradication du garçon : On l’a abattu. Vous pourriez aussi indiquer qu’il fut exécuté.

JPEG - 92.7 ko Wallah Gheith, la mère d’Abdallah, il y a un mois.

Un garçon, ne portant aucune arme sur lui - regardez sa photo, son regard innocent - en train de grimper par dessus la grille pour réaliser l’un de ses rêves les plus chers, se rendre à la prière du jour saint de la fin du Ramadan, à la mosquée d’Al-Aqsa. C’est alors qu’en pointant sur lui une arme (cataloguée comme mortelle par les autorités militaires), un fusil de type Ruger, que les garde-frontières décidèrent de le tuer. Ils commirent ce meurtre, alors qu’ils se tenaient en embuscade, lorsqu’ils repérèrent le jeune en train de grimper la grille. Durant toute cette scène, il n’y avait qu’une seule personne à se trouver clairement en danger : le garçon palestinien.

Quelques heures plus tôt, la même police des frontières tira sur un autre jeune homme qui essayait de passer par dessus la même grille, le blessant grièvement. C’est ainsi qu’il s’expriment, ils ne connaissent pas d’autre langage : tirer sur un jeune sans arme, ne mettant absolument personne en danger, animé du seul désir de pouvoir se rendre en un lieu qui, selon les règles d’une justice digne ce nom, ne devrait en aucune manière lui être interdit d’accès. Ces jeunes essayent comme ils peuvent de gagner la liberté, comme le faisaient les Allemands de l’Est. Ce sont de véritables meurtres. Je ne vois pas d’autres mots pour désigner la façon dont les policiers des frontières opèrent, les attendant en embuscade le doigt sur la gâchette, en tirant sur ces jeunes.

La société israélienne les considère comme des "combattants", mais ce ne sont rien d’autre que les pires des lâches, qu’il nous ait jamais été donné de voir parmi des soldats ou des policiers. Comme cela est sinistre et lâche, de tirer sur un garçon qui est en train de grimper à une barrière. Comment peuvent ils, ces policiers des frontières, encore se regarder dans la glace ? Non pas, - ne nous berçons pas non plus d’illusions à ce sujet - d’un point de vue moral, mais au moins sur le terrain opérationnel.

Qu’il est écœurant de voir ces meurtres rangés dans la catégorie de simples dérapages. Pas le moindre début d’enquête, pas la moindre arrestation, et pas la moindre procédure en cours. Le porte-parole indique dans sa déclaration que "la police est là pour protéger les citoyens d’Israël," et quoi de plus efficace alors, pour assurer la protection de ces braves citoyens, que d’abattre un jeune garçon qui essayait de grimper la barrière, et qui est retombé, sans vie, devant son père, laissant une famille meurtrie.

Je n’avais pas vu, depuis un moment, un homme aussi désemparé et brisé que Luai, le père d’Abdallah, son fils aîné, qui était tout pour lui.

L’assassin du jeune Gheith vit parmi nous. C’est quelqu’un de très dangereux. Personne ne songe même à l’arrêter. Bien sur, il est loin d’être la seule personne de ce genre à être parmi nous. "

Gideon Levy
(Traduit par Lionel R.)
Source :Haaretz - CAPJO