Loïc Fauchon : "Il n’est pas possible d’assoiffer la Palestine dont la population ne cesse d’augmenter"

lundi 2 octobre 2017

En visite en Israël et en Palestine du 12 au 14 septembre 2017, Loïc Fauchon, président honoraire du Conseil mondial de l’eau et président de la Société des Eaux de Marseille (450 M€ de chiffre d’affaires et 2 000 salariés), est intervenu lors de la conférence Watec à Tel Aviv, premier atelier international des autorités de régulation des services d’eau. En marge de cet événement, il a pu rencontrer le ministre israélien de l’Économie et de l’Industrie, le ministre de l’eau de l’Autorité palestinienne et le maire d’Haïfa. Loïc Fauchon livre à econostrum.info son analyse sur la sécurité hydrique dans cette région et l’indispensable nécessité d’une coopération active sur le sujet de l’eau entre Israël et la Palestine.

JPEG - 75.2 ko Loïc Fauchon plaide pour l’émergence d’autorités de régulation (photo : SEM)

econostrum.info : Quelle était la raison de votre présence en Israël ?

Loïc Fauchon : J’ai été invité par les autorités israéliennes en tant que président honoraire du Conseil mondial de l’eau à participer et à intervenir comme expert à Tel Aviv, dans le cadre de la conférence Watec. En marge de ce premier atelier international des autorités de régulation des services d’eau, j’avais demandé à rencontrer également les Palestiniens pour discuter de l’aide que nous pouvions leur apporter. La Société des Eaux de Marseille s’intéresse historiquement à cette région du monde. En 1994, la Banque mondiale nous avait déjà commandé un audit de la bande de Gaza.

Dans mes discours, je me suis efforcé de montrer en quoi la régulation constitue un point essentiel. Tout comme la water security, la sécurisation de la ressource en eau est un problème planétaire. Il faut produire plus d’eau et en consommer moins. La régulation doit également gérer les évolutions comportementales. Par exemple, sensibiliser les agriculteurs au goutte-à-goutte. C’est dans ce secteur que nous avons fait le plus de progrès depuis vingt ans et que nous en ferons le plus dans les vingt prochaines années. Les Israéliens se débrouillent très bien en la matière : 85% de leur eau utilisée dans l’agriculture, mais aussi dans l’industrie, provient d’un recyclage.

J’ai aussi évoqué la maîtrise des cyberattaques sur les grands ouvrages d’alimentation en eau ou de traitement des eaux usées. Elles ne sont pas toujours le fruit du terrorisme. Un technicien vidant par erreur un réservoir par une mauvaise manipulation informatique, c’est une cyberattaque. Les femmes et les hommes doivent donc apprendre à gérer eux-mêmes leur cyberdéfense. J’ai appris qu’en Israël, 40% des problèmes de cybersécurité relèvent d’une erreur.

"Régler quasi-définitvement les besoins en eau"
Quelle est la situation du secteur de l’eau en Palestine ?

L.F. : Deux projets existent : la station de dessalement d’eau de mer de Gaza et le canal mer Morte/mer Rouge. Le premier se heurte à l’aspect financier avec uniquement 400 M$ d’engagements sur les 600 M€ nécessaires, mais aussi à l’obtention d’un accord définitif de la part d’Israël qui vend aujourd’hui de l’eau aux Palestiniens. Ce dossier demeure économiquement et socialement indispensable pour éviter de graves tensions. Il n’est pas possible d’assoiffer la Palestine dont la population ne cesse d’augmenter. En matière d’eau, l’ennemi n’est pas le climat mais la démographie et la littoralisation car l’eau salée repousse l’eau douce.

Le second projet, d’un coût de plusieurs milliards de dollars, a été validé financièrement après l’abandon de deux autres dossiers : amener l’eau du Nil avec une entrée par Gaza et un méga-pompage de la mer Méditerranée au niveau d’Haïfa. Israéliens, Jordaniens et Palestiniens sont tombés d’accord pour sauver la mer Morte de l’assèchement en la perfusant, via un canal, à la mer Rouge. C’est la solution des cinquante années à venir ! En alimentant à partir du lac de Tibériade, il est possible de dessaler et de répartir l’eau entre les trois parties.

Ces projets ne sont-il pas des serpents... de mer ?

L.F. : Non, ils verront le jour. Ils permettront de régler quasi-définitivement les besoins en eau de ces pays et joueront un rôle important sur leur croissance future. Développement économique, développement agricole et développement démographique demandent de l’eau.

J’ai d’ailleurs discuté avec Mazen Ghunaim, ministre de l’Eau palestinien, de la gestion des ressources existantes. Il ne sert à rien de rentrer de l’eau dans un tuyau s’il existe des fuites. L’amélioration du rendement des réseaux d’eau, la lutte contre l’eau non comptabilisée, l’assainissement des eaux usées constituent des spécialités marseillaises développées dans plusieurs régions du monde. Ces problématiques posent la question de la gouvernance de l’eau. L’Autorité palestinienne va créer douze utilities, des sociétés publiques de l’eau locales, pour couvrir son territoire. Il faudra cependant gérer les problèmes technique - comment répartir l’eau ? Et là la SEM peut amener son expérience.

"Apaiser les tensions au niveau de l’eau"
JPEG - 67.8 ko Loïc Fauchon revendique le concept d’hydro diplomatie (photo : SEM)

En quoi consiste l’hydro diplomatie que vous prônez ?

L.F. : Je revendique la paternité de ce concept dont j’ai parlé dès 1998. L’hydro diplomatie relève de la capacité à apaiser les tensions au niveau de l’eau notamment dans les 240 grands bassins hydrographiques présents à l’international. Il faut partager l’eau et aussi les pollutions. Je plaide d’ailleurs pour l’établissement d’un Pacte pour la sécurité de l’eau comme priorité mondiale.

Contrairement à ce que certains affirment, dont des journalistes, cette situation ne conduit pas à des guerres mais amène des tensions très vives. Ce n’est pas nouveau, car dès l’Antiquité des attaques d’oasis ou de puits sont recensées. Aujourd’hui, les problèmes viennent des fleuves comme le Nil par exemple, qui traverse l’Egypte, le Soudan, l’Ethiopie et l’Ouganda, avec une répartition non-égalitaire. Résoudre ce type de problème obligera les Egyptiens à économiser l’eau et à adopter un comportement différent. Il faut qu’ils arrêtent par exemple d’arroser les salades à la rigole et qu’ils se mettent au goutte-à-goutte. Ils devront puiser un peu dans leur nappe et diversifier leurs ressources en eau comme en énergie nécessaire à l’eau.

"La COP23 doit faire entrer l’eau dans le développement durable"

Marseille accueillera le 2 octobre 2017 un colloque sur "la gestion durable des services d’eau" et "l’eau et climat", l’occasion d’évoquer toutes ces problématiques ?

L.F. : J’ai invité les deux ministres israélien et palestinien à participer aux conférences de haut-niveau du premier colloque international eau Métropole. Leur contribution sera très certainement appréciée par l’ensemble de la communauté internationale de l’eau et du climat. Cet événement va rassembler 150 représentants du secteur qui vont échanger sur l’adaptation au changement climatique, les innovations et les expériences réussies de coopération internationale en Méditerranée et en Afrique subsaharienne.

Nous allons remettre l’eau au sein du débat climatique. Paris (COP21) l’avait fait un peu, le Maroc (COP22) beaucoup. Labellisé par l’Onu, ce colloque à Marseille va préparer le chapitre eau de la COP23 qui se tiendra à Bonn sous présidence fidjienne. Cette prochaine COP doit faire entrer l’eau dans le développement durable en même temps que l’énergie.

En ce moment, dans notre région (NDLR : Métropole marseillaise), nous avons beaucoup d’eau et donc pas de besoins supplémentaires. Comme le dit je crois un proverbe, "économise l’eau même si tu es au bord d’un fleuve". Il faut gérer l’eau dans la durée. Marseille, siège du Conseil mondial de l’eau (NDLR : que Loïc Fauchon a présidé de 2005 à 2012 avant d’en devenir président honoraire) reste une capitale de l’eau où se discutent les grands sujets et où se préparent les décisions sur la sécurisation de l’eau.

Propos recueillis par Frédéric Dubessy

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