MISSION A GAZA D’UNE MEDECIN ENGAGEE

Pour sa mission à Gaza, cette médecin engagée est élue Rennaise de l’année 2024
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En décembre, moins de 70 camions de marchandises par jour ont pu entrer dans la bande de Gaza, contre 500 quotidiennement avant la guerre entre Israël et le Hamas. Les conditions de vie des quelque 2,3 millions d’habitants du petit territoire assiégé sont dramatiques, rapporte Caroline Seguin, coordinatrice d’urgence pour Médecins sans frontières.
Photo Abdel Kareem Hana/AP, Aljazeera
https://www.aljazeera.com/gallery/2024/12/31/israels-war-on-gaza-12-months-12-pictures
Quelle est la situation dans la bande de Gaza ?
Elle se dégrade de jour en jour. Il y a une destruction massive dans toute la bande de Gaza, que ce soit les bâtiments, les structures étatiques, les écoles, les centres de dessalinisation d’eau… Absolument tout est détruit. À Khan Younès, Rafah, Gaza-ville, tout est à plat. À part quelques petites poches de bâtiments très endommagés, il ne reste rien. C’est fou… On pensait que le pire était passé, mais en fait, le pire est à venir.
Et pour les 2,3 millions de Gazaouis ?
Les conditions de vie sont extrêmes. En résumé, c’est le froid, la faim et les bombes. La majorité des gens sont entassés dans des camps. L’hiver est arrivé, donc il fait froid et il pleut dans les tentes. Les gens sont de plus en plus malades. La nourriture, qui n’entre pas en quantité suffisante, devient un enjeu majeur. Et puis, il y a les frappes israéliennes incessantes. Je n’ai pas passé une journée sans entendre des bombardements, pas une seule.
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Il n’y a pas d’électricité, nulle part. Quand il fait nuit, c’est le noir complet. L’accès à l’eau est toujours problématique. Il dépend du carburant autorisé à entrer pour faire fonctionner les pompes de dessalinisation. MSF fait des distributions d’eau mais il nous arrive régulièrement de réduire les quantités ou de les suspendre, faute de carburant pour nos pompes.
Les gens creusent des puits pour atteindre la nappe phréatique, qui est peu profonde à Gaza. Ils boivent cette eau parce qu’ils n’ont pas le choix, avec le risque de tomber malades. Car c’est une eau salée, contaminée, et qui va l’être de plus en plus. Il y a très peu de latrines, les gens vont dans des zones de défécation.
La situation à Gaza-ville est-elle pire que dans le Sud ?
L’aide humanitaire a encore plus de mal à arriver à Gaza-ville, parce que c’est une sorte d’enclave dans l’enclave. Au Nord, il n’y a pas de camps de toile. Les déplacés vivent dans des écoles, celles qui tiennent encore debout, dans le stade, ou agglutinés dans des bâtiments partiellement détruits, sans porte et sans fenêtre. Parfois, ils dorment dehors, dans le froid, la pluie… C’est vraiment impressionnant.
Quand on voit toutes ces destructions... Imaginez qu’à l’intérieur des gens, c’est la même chose. Chacun a une histoire inhumaine à raconter : des enfants tués, des proches handicapés à vie, des logements pulvérisés… Cette horreur se poursuit aujourd’hui, donc j’ai arrêté de demander à mes collègues palestiniens comment allaient leurs familles. L’un d’eux m’a dit qu’il haïssait désormais l’espoir, parce qu’espérer, ça fait du mal.
L’ONU et les ONG dénoncent une malnutrition généralisée. Est-ce un début de famine ?
On atteint un niveau que je n’ai jamais rencontré en vingt ans de carrière avec MSF. Les gens essayent de survivre. Au cours de mes deux mois de mission, j’ai vu les choses se dégrader. Dans la rue, les enfants réclament maintenant du pain. Un petit pain, c’est 4 shekels (un dollar), les gens n’ont jamais vu ça. Certains prix ont été multipliés par 4000, comme celui de la tomate. Même les gens qui ont de l’argent, comme les médecins qui travaillent pour nous, ont beaucoup de mal à se nourrir.
Toute la nourriture est conditionnée à ce que veulent bien autoriser les Israéliens.
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Or, depuis octobre 2024, il n’y a jamais eu aussi peu de camions à entrer dans la bande de Gaza. Les boulangeries et les centres de distribution de pain ferment régulièrement par manque de farine ou de carburant pour le four. Chaque fois qu’il y a réouverture, il y a un risque d’émeute. Non seulement cela devient difficile de trouver de quoi manger, mais cela devient dangereux.
Qu’en est-il du pillage du peu d’aide qui entre ?
Les points d’entrée, comme Kerem Shalom, sont sécurisés, parce que l’armée israélienne s’y trouve. Mais, un peu plus loin, à quelques centaines de mètres, des gangs armés attaquent systématiquement les camions. Cette mafia revend les produits volés à des prix exorbitants, inaccessibles pour une grande partie de la population.
Cette insécurité est orchestrée par les Israéliens eux-mêmes.
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Quand le Hamas a essayé de protéger les camions en déployant sa police, elle a été systématiquement ciblée et bombardée.
L’ONU et les ONG avaient mis en garde contre un effondrement de l’ordre civil. On y est. Il y a de plus en plus d’insécurité et de tensions. Posséder un sac de farine devient dangereux, il faut le cacher. Les gens sont à cran et les disputes dégénèrent très vite. Par exemple, pour avoir empiété avec sa tente d’un petit mètre carré sur un terrain…
Une trêve est en discussion, prélude à un éventuel retour chez eux de déplacés. Est-ce réaliste ?
Cela signifie revenir dans des zones où il n’y a plus un bâtiment debout, pas d’eau, pas d’électricité, pas de centres de santé, plus rien. Pour l’instant, ce n’est pas viable, mais les gens ont envie de rentrer. Ils préfèrent poser une tente chez eux que rester dans les camps surpeuplés.