Netanyahou prend des mesures anti-insurrectionelles

samedi 16 mai 2020

J’ai l’impression que le public israélien, y compris sa partie dite libérale, n’est pas conscient de la profondeur de la contre-reforme institutionnelle mise en place par Benyamin Netanyahou et sa clique. A partir de maintenant Israël n’est plus l’État qu’il a été pendant plus de 70 ans.

Soyons clair : Israël n’a jamais été un État démocratique. Son auto-définition comme ‘’État Juif et Démocratique’’ est un oxymore. Un État qui se définit comme l’État d’une des communautés qui le composent, nationale, ethnique ou religieuse, n’est pas l’État de tous ses citoyens, et donc n’est pas une démocratie, même si tous les citoyen/nes jouissent de droits civiques égaux.

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Ceci dit, après l’abolition du gouvernement militaire en 1965, la population palestinienne d’Israël a progressivement gagné des droits et une légitimité dans les structures du régime israélien, la discrimination structurelle devenant, après 1967, le lot de la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza.

L’adoption de laloi constitutionnelle ‘’Israël comme État-nation du peuple juif’ nous ramène plusieurs décennies en arrière : cette fois, la discrimination n’est plus seulement une pratique, mais inscrite dans la constitution

Au cours de l’année passée, le gouvernement d’extrême-droite a pris des initiatives, législatives et administratives, qui changent la nature du régime : application des lois d’urgences de l’époque du mandat britannique (qui avaient été mises au placard par Menachem Begin à la fin des années soixante-dix), soumission du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, garantie (dans une loi constitutionnelle du pouvoir de Netayahou pour une période de quatre ans au moins, promesse de Beny Gantz que Sarah Netanyahou n’aura pas à quitter la résidence de la rue Balfour, même quand ce sera son tour a lui d’être premier ministre, selon l’accord dit de rotation… accord dont tout le monde sait qu’il ne sera pas respecté par Netanyahou.

Comment Gantz a-t-il pu accepter un tel deal qui est entièrement en faveur de Netayahou, alors qu’il avait les moyens de mettre fin à son régime corrompu, comme il s’y était engagé pendant trois campagnes électorales (qu’il avait gagné !) ? Comment a-t-il trahi la confiance mise en lui par près d’un million et demi d’électeurs et d’électrices ? Comment, cet ancien chef d’État-major s’est-il aplati devant les menaces maffieuses de Netanyahou, son fils et sa clique ?

L’ancien premier ministre et commandant de Gantz lors de son service militaire, Ehoud Barak nous donne la seule explication possible, même s’il reconnait ne pas avoir de preuves matérielles : Netanyahou et sa clique ont des moyens de chantage sur la vie privée de Gantz. L’avenir nous le dira… ou non.

La semaine dernière, le régime a fait un pas supplémentaire vers le fascisme (pour reprendre l’expression du Professeur Zeev Sternhel) : le Conseil de Sécurité Nationale (CSN), qui n’a de comptes à rendre qu’à Netanyahou, a préparé un document de travail sur les mesures à prendre en cas de ‘’révolte populaire’’. Pour ces experts en sécurité, la population est à bout, la pauvreté devient endémique, le chômage explose, et tôt ou tard, la colère populaire explosera dans la rue. Une dictature ne saurait supporter un mouvement social de masse, et considère donc celui-ci comme une menace qu’il faudra écraser, par tous les moyens : arrestations, état d’urgence renforcé et, qui sait ?, tirer à balles réelles sur les manifestants.

Il ne s’agit pas ici d’un cauchemar reflétant le pessimisme de quelques gauchistes travaillés par le coronavirus, mais d’un plan opérationnel élaboré par le premier ministre et ses conseillers. Netanyahou et sa famille considèrent que l’État c’est eux, que l’État est à eux, et que les privilèges matériels (légaux et illégaux) qu’ils tirent du pouvoir, leur sont dus, pour l’éternité. Comme vient de le faire son pote Orban, Netanyahou va continuer à changer les structures du pouvoir de façon à garantir la pérennité de son règne, et pourquoi pas, le rendre héréditaire.

L’histoire récente nous l’a tragiquement appris : le fascisme détruit tout sur son passage. Pour le mettre en échec, on ne peut se contenter de mettre des drapeaux noirs aux fenêtres et d’organiser des rassemblements bisounours sur la place Rabin à Tel Aviv. Le fascisme de Netanyahou a cassé les règles du jeu.

À nous de faire de même, c’est une question de vie ou de mort.
Michel Warschawski
(Traduit de mon blog en hébreu, 4 mai 2020)
source : site UJFP

Michel Warschawski (Mikado) est un journaliste et un militant pacifiste israélien, co-fondateur et président du Centre d’information alternative de Jérusalem. Anti-sioniste, il souhaite le remplacement d’Israël comme État juif par un État binational.

Fils du grand-rabbin Max Warschawski, Michel Warschawski passe ses premières années à Strasbourg. Il décide à 16 ans de partir pour Jérusalem où il entreprend des études talmudiques. En 1967, il adhère à l’Organisation socialiste israélienne, plus connue sous le nom de Matzpen, le nom de son journal mensuel. Il crée en 1984, pour Matzpen, le Centre d’information alternative (AIC), qui rassemble plusieurs mouvements pacifistes israéliens et organisations palestiniennes. En 1989, il est condamné à vingt mois de prison ferme pour « prestations de services à organisations illégales », pour avoir imprimé des tracts relatifs à l’organisation palestinienne Front populaire de libération de la Palestine de Georges Habache qualifiée de terroriste par Israël. Depuis lors, il continue son activité au sein de l’AIC. Il donne, entre 2003 et 2005, une série de conférences sur le conflit israélo-palestinien dans une vingtaine de grandes villes françaises et leurs banlieues (centres associatifs, écoles) avec Dominique Vidal du Monde diplomatique et Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne.
Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009.