Palestine. Business France prise la main dans le sac colonial

jeudi 18 avril 2019

Cette agence publique française dépendant du Quai d’Orsay et du ministère des Finances promeut la construction du tramway à Jérusalem-Est.

Au mois de juin dernier, plusieurs organisations, dont l’Association France Palestine solidarité (AFPS), la CGT, la CFDT et la Ligue des droits de l’homme, dénonçaient dans un rapport les activités d’Egis et Systra, deux filiales d’établissements publics français (SNCF et RATP ; Caisse des dépôts et consignations), ainsi que d’Alstom, directement impliquées dans la politique de colonisation israélienne, notamment dans la construction du tramway de Jérusalem. Une ville dont la partie orientale est illégalement occupée et annexée par Israël. Ce tramway s’inscrit en réalité dans une politique beaucoup plus large de rattachement des colonies d’implantation juive à Jérusalem alors que, dans le même temps, la construction du mur dit de séparation exclut une bonne partie des quartiers palestiniens, qui se retrouvent maintenant en Cisjordanie, hors des limites administratives de Jérusalem.

JPEG - 191.9 ko Photo : Alstom est impliquée dans la politique de colonisation, avec la construction du tramway de Jérusalem. M. Alster/Flash90/rea

À l’automne dernier, saisi par l’AFPS, le ministère français de l’Économie et des Finances renvoyait à ses recommandations « aux entreprises et aux citoyens sur les risques juridiques, financiers et de réputation encourus en menant des activités dans les colonies. La colonisation, sous toutes ses formes, est illégale au regard du droit international. La France reste fermement opposée à toute initiative susceptible de menacer la solution des deux États. » Pourtant, de la théorie à la pratique, l’affirmation du ministère semble bien vide de sens, la législation et les montages juridiques permettant au gouvernement français de se dégager de toute responsabilité et de contourner les résolutions de l’ONU dont celle (2234) qui demande « à tous les États (…) de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».

Schneider Electric, Thales, Egis Rail, Systra, Artelia, Sixense…

Les organisations qui avaient publié le rapport du mois de juin ont soulevé un nouveau lièvre. Du 11 au 14 mars, s’est déroulé, à Tel-Aviv et Jérusalem, un événement organisé par Business France intitulé « Israël : Rencontres acheteurs dans le secteur du ferroviaire ». Business France est une agence publique (structure née de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux) sous tutelle des ministères des Affaires étrangères et de l’Économie et des Finances chargée, comme l’indique son site, « du développement international des entreprises françaises, des investissements internationaux en France et de la promotion économique de la France ». Dans l’invitation lancée le 30 janvier de cette année, Business France indiquait que, « pour rattraper un retard manifeste dans les infrastructures, de nombreux projets dans les infrastructures de transport, en particulier ferroviaire, ont été budgétisés ces dernières années par le gouvernement israélien ». Et de souligner : « Plusieurs entreprises françaises sont déjà présentes : Alstom, Schneider Electric, Thales, Egis Rail, Systra, Artelia, Sixense Soldata (…) Ils (sic) interviennent auprès des contractants Israel Railways, JTMT (Jerusalem Mass Transportation Plan), de NTA (Tel Aviv Metropolitan Mass Transit System) ou en partenariat avec des constructeurs et membres de consortiums. » Au programme, des « rendez-vous avec la JTMT (maître d’œuvre du projet de tramway de Jérusalem – NDLR), et Egis (assistant à maître d’œuvre) » ainsi qu’une « visite du consortium CityPass avec Alstom », ligne de tramway de Jérusalem, dans cette même ville.

Le 13 février, les organisations mobilisées interpellaient la direction de Business France, demandant « comment justifier l’organisation par une “agence publique” sous tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères d’un tel événement qui désigne comme “projet en Israël” un réseau de transport en commun destiné au développement des colonies israéliennes à Jérusalem-Est occupée, et qui sonne comme une promotion officielle de ce projet, en complète contradiction avec les prescriptions du droit international » ? Une semaine plus tard, surprise ! Le programme était modifié. La référence au JTMT et aux liens avec les entreprises françaises apparaissait toujours mais le détail du programme prévisionnel avait disparu, et les trois entreprises françaises (Alstom, Systra et Egis) étaient mentionnées, mais comme « entreprises référentes en Israël ». Enfin, en date du 7 mars, dans une troisième version, toute référence au JTMT était supprimée et le programme ne citait plus la rencontre avec les entreprises françaises. Y était rajouté un rappel aux « conseils aux voyageurs » dans lesquels figurent les « recommandations aux entreprises », du ministère des Affaires étrangères.

Personne ne peut croire à un « égarement »

Le 8 mars, la direction de Business France répondait finalement aux associations, affirmant que l’agence « proscrit expressément la promotion par ses services des actions et programmes visant au développement ou à la pérennisation des colonies israéliennes dans les territoires occupés et notamment à Jérusalem-Est ». Il aura donc fallu l’abnégation de plusieurs organisations pour qu’une agence publique fasse marche arrière et respecte le droit international, bien que l’on ne sache pas si, en réalité, le programme initial n’a pas été suivi. Personne ne peut croire que Business France s’est « égarée » lors de la mise sur pied de cet événement, qui, clairement, accompagnait la politique de colonisation israélienne, loin des regards du grand public mais certainement pas de ceux de ses ministères de tutelle.

Source : L’Humanité, Pierre Barbancey