Palestine / « Their Algeria » remporte le premier prix de Docs-in-Progress

dimanche 9 juin 2019

Pour la première fois, le Doc Corner a récompensé un des projets présentés dans le cadre de Docs-in-Progress d’un prix d’une valeur de 10 000€.

Ce prix a été décerné au documentaire Their Algeria de la réalisatrice et actrice franco-palestino-algérienne Lina Soualem, le 21 mai à l’occasion du Doc Day.

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24 projets documentaires en cours de réalisation étaient en lice. Ils étaient présentés par 6 pays au Doc Corner : la Palestine, l’Argentine, le Canada, l’Afrique du Sud, la Norvège et le Chili.

Le jury était composé d’Anna Glogowski, programmatrice au Fipadoc, de Kirstine Barfod, productrice, et de Ragnild Ek, réalisatrice et journaliste.

Cette dernière s’est exprimée à propos des projets en compétition. « Nous avons visionné des histoires du monde entier incroyablement fortes et nécessaires, à différentes étapes de la production. Ces films étaient tous très inspirants, souvent profondément personnels, surprenants, courageux, cinématographiques et ambitieux. »

JPEG - 88.1 ko la réalisatrice et actrice franco-palestino-algérienne Lina Soualem

Their Algeria – L’Algérie en Auvergne en français – est le premier projet de long-métrage documentaire de Lina Soualem. A travers lui, la réalisatrice raconte le divorce de ses grands-parents, après 62 ans de vie commune. Le film explore le long voyage d’exil d’un couple d’immigrants algériens / palestiniens vivant dans une ville française médiévale.

Produit par Marie Balducchi (AGAT Films & Cie), il est actuellement en cours de post production.

Source : Méditerranée Audiovisuel

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Lina Soualem filme son père Zinedine et ses grands-parents dans les rues de Thiers

Le documentaire que réalise Lina Soualem, fille de l’acteur thiernois Zinedine Soualem, a été récompensé en marge du dernier Festival de Cannes. Il raconte l’histoire de ses grands-parents algériens, arrivés à Thiers dans les années 50.

Fille de l’actrice Hiam Abbass et du comédien thiernois Zinedine Soualem, Lina Soualem avait de qui tenir. Même si elle ne se prédestinait pas à faire carrière dans le cinéma, la Française âgée de 29 ans, qui revendique fort ses origines algérienne et palestinienne, s’est lancée il y a deux ans dans la réalisation de son premier documentaire.

« Leur Algérie » est centré sur l’histoire personnelle de ses grands-parents, immigrés algériens arrivés à Thiers dans les années 50. Un film à la carrière d’ores et déjà prometteuse puisqu’il a reçu la semaine dernière le prix Docs-in-Progress en marge du Festival de Cannes, dans le cadre du Marché du film.

L’actualité est encore toute chaude, comment avez-vous accueilli ce prix ?
"C’était extraordinaire. J’y allais très stressée car c’était la première fois que je pitchais le projet dans un endroit comme Cannes, où il y a tous les professionnels, tous les distributeurs… J’ai beaucoup préparé mon intervention mais je ne m’attendais pas à gagner. Il y avait au total 24 projets du monde entier, avec des films superbes, de réalisateurs confirmés, avec des aspects cinématographiques que mon film n’a pas forcément. C’était donc une énorme surprise.

Et le fait que cette histoire très personnelle ait touché le jury et se soit démarquée parmi toute la sélection, c’est très touchant.

Cette histoire, c’est celle de vos grands-parents. Quelle est la genèse du documentaire que vous leur consacrez ?
"Quand j’étais petite, j’allais beaucoup en Auvergne. Et pour moi, l’Auvergne c’était un peu l’Algérie. Quand j’arrivais chez mes grands-parents, ça parlait arabe, on avait les robes arabes et kabyles, il y avait de la musique. J’avais l’impression d’atterrir dans une forme de « recréation » du pays natal. Mais je ne me rendais pas compte qu’on ne parlait pas vraiment de l’Algérie. Je ne savais pas trop d’où venaient mes grands-parents, je ne connaissais pas leur histoire, je ne savais pas à quel point ils avaient été marqués par la colonisation, par la guerre, par leur immigration… Il y avait un silence ! Toute l’idée de ce film, c’est de rompre ce silence et de comprendre ce qu’il y a derrière…Une photo extraite du documentaire.

Mes grand-parents sont arrivés dans les années 50 en Auvergne. Ils se sont mariés en Algérie, ils ne se connaissaient pas. Ils sont venus ensemble à Thiers ; mon grand-père travaillait comme polisseur de couteaux. Ils ont fondé une famille.
Après 62 ans de mariage, ils se sont récemment séparés. A partir de cette séparation, je me suis rendu compte que je ne connaissais rien de leur histoire, je ne comprenais pas pourquoi ils se séparaient, je ne savais pas ce qu’il y a eu entre eux et du coup c’était vraiment le moment décisif pour moi : la séparation a été un peu un électrochoc qui m’a fait aller vers eux.
J’avais besoin de comprendre leur histoire, d’où ils viennent, quel est leur lien à l’Algérie, leur lien à la France."

Est-ce que cela a été compliqué ?
"Pas du tout. Ma grand-mère, j’ai toujours eu envie de la filmer et je lui avais dit. Pour elle, ce film, c’était une façon de passer du temps avec moi. Elle n’a posé aucune question. Elle s’est complètement dévoilée, elle a donné de son temps, de sa mémoire intime.
C’est aussi pour ça que j’ai fait ce documentaire. J’ai une proximité, une complicité avec eux, je savais que je pouvais le faire. Et ils donnent tout à leurs petits-enfants.

Même si avec mon grand-père, cela a été plus compliqué parce qu’il ne comprenait pas forcément l’intérêt. Pour lui, parler du passé c’est inutile. Il a plutôt une mémoire de l’oubli. Finalement, c’est dans l’histoire du film : on commence avec un grand silence et petit à petit, je l’emmène dans certains lieux, je lui montre certaines choses qui font qu’il va s’ouvrir, se dévoiler."

Thiers à l’écran ?
"Le film se déroule majoritairement à Thiers, avec une petite partie tournée en Algérie, dans le village natal de mes grands-parents. Mais il n’y a pas énormément d’extérieurs de Thiers. On voit les usines abandonnées, le Creux de l’enfer, tout ce décor qui représente la cité du couteau. Pour illustrer le lien entre la ville et le personnage, mon grand-père, qui était polisseur.
J’ai filmé sur deux ans. Il y a eu un premier tournage en juin 2017 puis quatre autres depuis. J’ai plusieurs saisons sur le long terme, avec une évolution chronologique."

Quel regard porte votre père sur ce projet ?
"Il est très fier, il me soutient énormément depuis le départ. Pour lui, c’est une façon de voir que je m’intéresse à l’histoire de ses parents, de sa ville, d’où il vient. Il m’a beaucoup aidé pendant le tournage. Comme j’allais souvent tourner seule, avec ma caméra, sans équipe, parfois il venait m’aider. Pour m’amener d’un point A à un point B. Pour faire des plans de travelling en voiture. Il m’a aidée en tant qu’assistant technique ! (rires)

JPEG - 81.2 ko Entouré par sa mère, son frère, le maire de Thiers et sa partenaire sur scène Virginie Hocq, Zinedine Soualem a reçu au mois de février la médaille de la Ville.

On le voit aussi dans le film, quand il vient voir ses parents. Il ne parle pas de son métier, c’est lui en tant que fils. Il fait le lien entre eux et moi, il montre aussi qu’il y a eu un manque de transmission entre la génération de mes grands-parents et lui. Et en fait, c’est moi qui vais chercher cette transmission qui s’est rompue, du fait de l’exil, du déracinement, des silences…"

Quel destin peut-on vous souhaiter pour ce documentaire ?
"Le prix à Cannes donne déjà beaucoup de confiance dans le film, c’est un vrai boost pour la suite. Et ça nous permet de continuer à avancer car il y a encore beaucoup de travail.

Aujourd’hui, on est en recherche de financements, de partenaires de distribution pour pouvoir le sortir en salle parce que le genre documentaire est assez difficile à diffuser.

Ce qui est bien, c’est que j’ai pu bénéficier de beaucoup d’ateliers, avec à chaque fois un prix à la clé. J’ai vraiment avancé sur ces fonds là. Et au final, c’est un joli parcours parce qu’on rencontre beaucoup de gens sur le chemin qui deviennent des soutiens.

On espère pouvoir terminer le film d’ici la fin de l’année. Ensuite, mon but, c’est vraiment qu’il puisse sortir en salle, pour toucher un public, qu’il puisse être montré dans des associations, dans tout type d’endroit où il puisse ouvrir un débat, sur la situation de l’immigration, sur les rapports entre la France et l’Algérie…"

Une projection à Thiers semble incontournable… "Oui bien sûr. J’ai hâte. Pouvoir le montrer au Monaco, ce serait absolument génial !"

Lina Soualem en bref

Son rapport au cinéma

"Quand j’étais jeune, j’avais l’habitude de voir mes parents sur des plateaux de tournage tout le temps. Pour moi, ce n’était pas vraiment un travail sérieux, je ne me rendais pas compte. Et puis c’était souvent embêtant parce que c’est ce qui éloignait mes parents de la maison, c’est ce qui faisait que ma mère partait parfois deux mois au Liban, en Syrie ou en Palestine pour un tournage et je ne la voyais pas. Ce n’était pas vraiment quelque chose de plaisant quand j’étais toute jeune."

Étudiante en relations internationales

"Je me suis toujours dit que j’allais faire quelque chose de différent de mes parents. Je voulais bosser dans la diplomatie culturelle.
J’ai passé une licence d’histoire et de sciences politiques, puis un master de relations internationales. Et, en fait, à chaque fois que je devais choisir des stages ou des expériences professionnelles, j’allais toujours vers le cinema malgré moi...
Pendant les études de master, à La Sorbonne à Paris, j’ai effectué un stage à l’étranger en Argentine. Et au lieu de faire un stage lié aux relations internationales, j’ai commencé à faire du volontariat dans un festival de cinéma des droits de l’homme. Ça permettait de combiner mon intérêt pour toutes les problématiques socio-historiques et en même temps avoir l’aspect cinéma à travers les films documentaires."

Une passion pour le documentaire

"J’ai fait beaucoup de programmation : à Buenos Aires, en Palestine pour un festival de cinéma à Ramallah, en France où j’étais volontaire sur un festival de cinéma palestinien. C’est comme ça que j’ai découvert le médium du documentaire, celui qui m’intéresse le plus dans le cinéma pour raconter les histoires que j’ai envie de raconter. C’est une forme d’expression que j’ai choisie et que j’aime.
On peut y mêler d’autres problématiques, se confronter à la réalité, et ça permet de montrer à un public des personnes qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, ça permet d’humaniser, de rapprocher les gens de choses qu’ils ne peuvent pas vivre eux-mêmes ou qu’ils n’arrivent pas à comprendre."

Des petits rôles devant la caméra

"Je ne suis pas comédienne de carrière comme mes parents mais j’ai joué deux rôles. Parce que j’ai saisi des opportunités. Parce que j’ai grandi dans cet univers et que parfois, sans le vouloir ou peut-être en ne l’acceptant pas, c’est ce qui m’attire le plus aussi.
J’apparais justement dans le premier long métrage de Hafsia Herzi "Tu mérites un amour" qui était présenté à la Semaine de la critique, à Cannes. J’ai un petit rôle dedans avec ma sœur.
J’ai joué aussi dans un film algérien sorti il y a deux ans en France, "A mon âge je me cache encore pour fumer", réalisé par Rayhana."

Propos recueillis par Thierry Senzier
Source : La Montagne