Palestine. Une histoire rythmée par les intifadas

mercredi 30 septembre 2020

Fin septembre marque le vingtième anniversaire de la deuxième intifada, une étape importante dans la lutte du peuple palestinien pour son droit à l’autodétermination. Ce mouvement populaire s’inscrit dans le sillage de deux révoltes historiques : la grève générale et la révolte armée de 1936-1939 contre le mandat britannique sur la Palestine historique, et la première intifada de décembre 1987 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, contre l’occupation israélienne.

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Dans les années 1920, les Palestiniens ont mené nombre de révoltes contre la colonisation juive. L’une des plus importantes a été la « révolte du Buraq », en référence au mur ouest de la mosquée Al-Aqsa, appelé « mur du Buraq » par les musulmans et « mur des Lamentations » par les juifs. Un soulèvement en réaction à la tentative d’appropriation des juifs, qui ne voulaient plus se contenter d’un simple droit de visite et de prière.

Contrairement aux précédentes, cette révolte a touché la plupart des villes palestiniennes ainsi que nombre de villages et même de colonies juives, faisant plusieurs centaines de morts et de blessés, tant chez les Arabes que chez les juifs. Les Britanniques en sont venus à bout difficilement, à grand renfort d’avions et de blindés, et en faisant appel à leurs unités militaires basées à l’étranger.

La grande révolte de 1936-1939

À l’issue de cette révolte, le combat du peuple palestinien s’est tourné davantage contre le système d’occupation britannique que contre les unités de peuplement sioniste (le yishouv). Le leadership du mouvement national palestinien avait en effet perdu tout espoir de voir le Royaume-Uni changer de position quant à la déclaration Balfour et au projet d’un « foyer national juif ». Plusieurs villes palestiniennes, notamment Jérusalem et Jaffa connaissent alors, en octobre 1933, des soulèvements contre les autorités britanniques, pour protester contre l’inaction de celles-ci face à l’armement des organisations sionistes et à l’immigration juive en Palestine. Ces mobilisations, ainsi que la grande manifestation du 21 novembre 1935 à Haïfa donnent lieu à la grève générale du 20 avril 1936, à l’appel d’un comité national de Naplouse. Cet appel fait également suite à l’annonce du meurtre de quatre Palestiniens, dont une femme à Jaffa, par des colons juifs. C’est le début de la révolte de 1936-1939.

Par crainte de voir le leadership de la grève générale passer entre les mains des comités locaux qui se trouvent sur le terrain, et de voir ainsi leur rôle marginalisé, les chefs des partis politiques palestiniens se rencontrent le 25 avril 1936 et annoncent la formation du Haut Comité arabe, présidé par le mufti de Jérusalem Mohamed Amine Al-Husseini. Ce comité appelle à poursuivre la grève générale jusqu’à ce que les autorités britanniques acceptent les demandes du mouvement national arabe, à savoir l’arrêt complet de l’immigration juive, l’interdiction de l’appropriation des terres par les juifs et la formation d’un gouvernement national responsable devant un Parlement.

Les autorités britanniques ont recours à plusieurs manœuvres afin d’étouffer la révolte, comme l’instauration d’un état d’urgence et l’appel à de nouvelles unités militaires venues de Malte et du Royaume-Uni. Elles mettent en place des punitions collectives contre les habitants de villes et villages palestiniens, en démolissant les maisons et en imposant des amendes. Ainsi, la Vieille Ville de Jaffa où les révolutionnaires ont trouvé refuge est détruite, et des milliers de militants arabes sont arrêtés. Des dizaines d’entre eux seront condamnés à mort.

Les autorités mandataires soutiennent la formation de « groupes de paix », des unités armées composées de Palestiniens qui s’opposent à Al-Husseini. Elles légitiment par ailleurs l’existence de la Haganah, une organisation paramilitaire sioniste qui a vu le jour au sein du Yishouv à l’aube des années 1920, en mobilisant des gardes (Ha notrote) pour protéger les colonies juives. Parallèlement, les Britanniques forment une commission d’enquête pour faire la lumière sur les derniers événements et publient en 1939 un « Livre blanc » destiné à calmer la population palestinienne.

1987, pour la liberté et l’indépendance

La première fois que le mot « intifada » est utilisé pour désigner un moment de révolte palestinien, c’est lors des manifestations de février et mars 1969. Ce mouvement a la particularité de compter une large participation féminine, et voit le début de l’utilisation des jets de pierre contre l’armée israélienne. Lors de cette révolte, les mosquées apparaissent comme des lieux de rassemblement et de mobilisation, depuis qu’une grande marche organisée par les forces nationales, syndicales, ouvrières, professionnelles et féministes a démarré depuis la mosquée d’Al-Aqsa, à Jérusalem, après la prière de l’Aïd. Plus de 3 000 personnes y prennent part.

L’importance de cette révolte réside dans le fait qu’elle permet aux Palestiniens de reprendre confiance en eux, et en leur capacité à faire face à l’occupation israélienne après la défaite de juin 1967. Elle marque le début de la collaboration entre les forces vives de la résistance en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Elle se poursuit pendant deux décennies pour déboucher sur l’intifada de décembre 1987, qui permet le transfert du centre de gravité de la résistance nationale palestinienne à l’intérieur des territoires occupés, alors que celle-ci était surtout concentrée à l’étranger depuis l’émergence de la résistance armée dans le milieu des années 1960. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) revient sur le devant de la scène, après avoir perdu sa « base sûre » lors de l’invasion israélienne de Beyrouth durant l’été 1982 qui lui a fait perdre la carte de la résistance armée, et l’a contrainte à retirer ses forces de Beyrouth.

Ce soulèvement oblige aussi la Jordanie à renoncer à sa volonté de contrôle de la Cisjordanie le 31 juillet 1988 et à dissoudre les liens légaux et administratifs entre les rives est et ouest du fleuve du Jourdain. Il encourage le Conseil national palestinien, lors de sa 19e session qui se tient à Alger à la mi-novembre 1988, à déclarer unilatéralement l’indépendance de la Palestine et adopter l’Initiative de paix, soutenue par l’ONU, avec des négociations qui débutent à Genève. Le commandement national unifié de l’intifada insiste sur ses objectifs de liberté et d’indépendance, et fait des territoires occupés de 1967, séparés des territoires de 1948 par la « ligne verte », sa zone d’intervention.

Cette première intifada s’est distinguée par son caractère populaire et démocratique, à tel point que toutes les classes sociales palestiniennes y ont pris part. Elle était également bien organisée et a réussi, par le choix d’une résistance non armée, à isoler l’armée israélienne et à nourrir une opposition aux politiques d’occupation, ainsi qu’à condamner les autorités de Tel-Aviv à un isolement international certain.

Toutefois, des conflits internes marquent la deuxième partie de cette intifada (printemps 1989 – été 1990), non seulement entre les membres de l’OLP et ceux du mouvement islamiste Hamas, mais également au sein même de l’OLP. Des dissensions émergent en effet autour de la gestion de l’intifada, qui a connu une bureaucratisation à outrance après la mise en place de plusieurs dizaines d’institutions et de comités, financés par de l’argent venu d’ailleurs.

Ainsi, lorsque l’Irak envahit le Koweït le 2 août 1990, le commandement de l’OLP se trouve en pleine crise politique. L’Initiative de paix est dans l’impasse, notamment après l’arrêt des pourparlers par les États-Unis, au prétexte du refus du commandement de l’OLP de condamner une opération kamikaze commise par une de ses factions. Par ailleurs, l’intifada a échoué à se transformer en un mouvement global de désobéissance civile qui aurait pu engranger de nouveaux acquis politiques. À la même époque, des vagues d’immigration juive affluaient depuis les anciennes Républiques du bloc soviétique.

De leur côté, les pays arabes se sont divisés à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak, et sont de ce fait incapables de faire pression sur l’administration américaine. Face à une déception palpable, l’OLP décide d’adopter l’initiative politique proposée le 12 août 1990 par Saddam Hussein, qui veut aborder ensemble tous les conflits du Proche-Orient. La solution commencerait par le retrait « immédiat et inconditionnel » d’Israël de toutes les terres arabes occupées en Palestine, en Syrie et au Liban.

Mais la défaite de l’armée irakienne face à la coalition internationale et son retrait du Koweït a pour conséquence un siège politique et financier — tant arabe qu’international — de l’OLP, coupable d’avoir soutenu Bagdad. L’OLP n’a alors d’autre choix que d’accepter les conditions américaines pour participer à la conférence internationale pour la paix (qui s’ouvre à Madrid le 30 mars 1991) voulue par Washington, puis d’entamer des négociations secrètes avec les Israéliens. Celles-ci donnent lieu à la Déclaration de principes palestino-israélienne, plus connue sous le nom d’« accords d’Oslo », et la reconnaissance mutuelle entre l’OLP et Israël.

Déception après les accords d’Oslo

Sept ans après la poignée de main historique du 13 septembre 1993 à la Maison Blanche entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, l’autorité palestinienne (AP) n’a plus le contrôle que d’un cinquième de la Cisjordanie et des deux tiers de la bande de Gaza. Ces deux territoires ne représentent que 22 % du territoire de la Palestine historique, et sont toujours considérés par Israël comme objet de négociation, de même que pour la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU appelant Israël à se retirer des territoires qu’elle occupe depuis juin 1967. Parallèlement, la spoliation des terres, la colonisation ainsi que la judaïsation de Jérusalem se poursuivent, et les conditions de vie des Palestiniens continuent à se détériorer.

La deuxième intifada, qui éclate en septembre 2000, est la conséquence logique de cette situation, surtout après l’échec des négociations de Camp David en juillet de la même année entre Yasser Arafat et Ehoud Barak, tenues sous l’égide de Bill Clinton. Cette révolte est déclenchée par la visite d’Ariel Sharon à la mosquée d’Al-Aqsa, et traduit le ras-le-bol des Palestiniens et leur conviction qu’il est inutile de négocier sans faire pression. Dès les premières semaines, des divisions divisent les forces participantes, certaines d’entre elles voulant en garder la dimension populaire, tandis que d’autres souhaitent l’orienter vers l’action armée ; ou encore entre ceux qui voulaient la circonscrire aux territoires occupés de 1967 et ceux qui voulaient l’étendre au-delà de la ligne verte.

Politiquement, la deuxième intifada oppose l’autorité nationale qui voit en cette révolte l’occasion d’améliorer les conditions de négociation, aux forces nationales laïques qui la considèrent comme un moyen de réaliser l’objectif d’indépendance, et aux forces religieuses qui y trouvent une voie pour mettre en place leur ligne politique reposant sur l’idée de la libération de tout le territoire national palestinien.

Rapidement, cette deuxième intifada prend un tournant militarisé à travers les attentats à la bombe, auxquels les événements du 11 septembres 2001 donnent une autre dimension. En effet, la politique de l’administration de George W. Bush, peu intéressée par une reprise du dialogue entre Palestiniens et Israéliens, a consisté jusque-là à soutenir le gouvernement d’Ariel Sharon tout en lui demandant de réagir modérément vis-à-vis des Palestiniens. Elle visait également à contenir la confrontation sur les territoires palestiniens de sorte qu’elle n’ait pas de conséquences néfastes sur la politique américaine dans la région, surtout à l’égard de l’Irak. Mais au lendemain des attentats du 11-Septembre, Ariel Sharon comprend vite que cette nouvelle situation lui permet de se présenter comme le fer de lance de la guerre contre le terrorisme, cimentant ainsi l’entente politique entre les droites conservatrice américaine et nationaliste israélienne.

La militarisation de l’intifada donne lieu à un vif débat dans les milieux palestiniens. Des chercheurs palestiniens la comparent avec celle de 1987, qui s’était distinguée par son caractère pacifique et populaire. Pour la professeure Islah Jad de l’université de Bir-Zeit, l’absence d’une participation populaire massive, qui a surtout lieu pendant les funérailles des martyrs, a pesé sur la deuxième intifada. Cette absence est due à la faiblesse des partis et des formations politiques qui auraient structuré la mobilisation populaire, et le passage de nombre de leurs cadres dans les ONG. Cela a eu comme conséquence « un recul notable dans le discours et la culture du courant national démocrate laïque », et a permis aux mouvements politiques religieux de « gagner en légitimité et en poids dans l’organisation des masses », notamment en remportant les diverses élections étudiantes et syndicales, et en résistant à l’occupation à travers la militarisation et le recours aux attentats suicides, auxquels prennent part désormais des forces du Fatah de Yasser Arafat, majoritaire au sein de l’OLP.

Vers une troisième intifada ?

Depuis 2002, l’administration de George W. Bush, qui n’a de cesse d’accuser le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat d’encourager le terrorisme, insiste de plus en plus sur la nécessité d’une réforme. Elle permettrait d’exclure ce dernier à la fois du commandement de l’AP et de l’OLP. De son côté, le gouvernement Sharon y voit l’occasion d’affaiblir l’AP, notamment après l’invasion de villes sous autorité palestinienne par l’armée israélienne, et le siège du quartier général d’Arafat à Ramallah.

Après la disparition de Yasser Arafat le 11 novembre 2004, des voix se sont élevées pour annoncer la fin de l’époque de la « légitimité historique » et demander la tenue d’élections. Une élection présidentielle a en effet lieu le 9 janvier 2005. Le candidat du Fatah, Mahmoud Abbas, l’emporte avec 63 % des voix. Dans son programme électoral, il a insisté sur la nécessité de réformer le régime politique, de réactiver le rôle des institutions et de généraliser le processus démocratique. Il appelle également à l’arrêt de la militarisation de l’intifada et au retour à la table des négociations, estimant que c’est la seule voie pour arriver à une solution politique qui garantirait les droits du peuple palestinien et participerait à améliorer son image aux yeux de l’opinion publique internationale, lui assurant un soutien financier. Ainsi l’intifada perd le socle objectif qui la justifiait, et ses braises s’éteignent peu à peu.

Dans son étude publiée par le Carnegie Middle East Center le 8 février 2018 sur les possibilités d’une troisième intifada en Palestine, Michael Young souligne que les chercheurs les plus confirmés du centre en arrivent à la conclusion que l’éloignement de toute possibilité de solution à deux États (selon les critères internationaux), le sentiment de frustration généralisé chez les Palestiniens ainsi que la détérioration des conditions de vie pourraient favoriser l’éclatement d’une troisième intifada. Elle prendrait sans doute une forme différente des deux précédentes. Selon Ali Jarbaoui, professeur de sciences politiques à l’université de Bir-Zeit, qui a pris part à cette étude : « Il est peu probable qu’une intifada populaire comme celle de 1987 voie à nouveau le jour, car les accords d’Oslo ont totalement changé la donne. L’occupation est aujourd’hui en grande partie invisible pour les Palestiniens qui sont enclavés dans ce qui s’appelle à présent les zones A et B. De fait, il n’y a plus de contact direct au quotidien avec les forces d’occupation, sauf au niveau des checkpoints qui se trouvent à l’entrée des zones de résidence, ou sur les routes principales. […] Aucune intifada ne pourra voir le jour si la majeure partie des Palestiniens n’est pas convaincue de son utilité ».

La prochaine, si elle a lieu, prendra selon lui « la forme de larges contestations populaires pacifiques et continues dans les centres des villes palestiniennes, appelant à mettre fin à cette longue occupation israélienne, dans l’espoir d’attirer ainsi l’attention de la communauté internationale ».

Maher Al-Charif

Historien palestinien, chef du département des recherches à l’Institut des études palestiniennes (Beyrouth).
Traduit de l’arabe par Sarra Grira.
Source : Orient XXI