Paris et Bruxelles doivent agir pour sauver l’Etat palestinien

jeudi 11 février 2016

Depuis de nombreuses semaines, une intifada à l’arme blanche et à la voiture bélier se poursuit dans les territoires palestiniens, à Jérusalem et en Israël même. Cette vague de violence - si déplorable soit elle – exprime la frustration et l’humiliation ressenties après près de cinquante ans d’occupation militaire et policière par Israël. Elles sont aggravées par les rumeurs concernant la récupération par les Juifs du Mont du Temple. Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement israélien fait l’amalgame entre ces violences spontanées et le terrorisme international de Daech. Or, la forme et la nature des actes commis par les Palestiniens sont évidemment d’un autre ordre que ceux du nihilisme à prétexte religieux qui a frappé récemment à Paris. La répression de ces actes par Israël entraîne, selon l’usage, beaucoup plus de victimes qu’ils n’en font.
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Cet état de choses montre que le vieux conflit israélo-palestinien s’impose toujours au milieu des sanglantes turbulences qui ébranlent le Proche-Orient, parmi lesquelles, comme l’a dit récemment M. Fabius, il représente un « potentiel d’embrasement ». Depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1996, aucune perspective de paix n’a abouti. Un statu quo perdure, qui cache une main mise sans cesse accrue par Israël sur la portion de Palestine concédée aux Palestiniens depuis 1967. L’annexion de Jérusalem Est, la construction d’un mur spoliateur, l’installation de 650 000 colons, l’enfermement de Gaza, en sont les témoignages les plus significatifs.
Nationaliste et religion

Si le principe de deux États reconnu par les Nations Unies depuis 1947 reste l’objectif théorique de toute négociation, il est évident qu’il a perdu beaucoup de crédibilité, comme le « processus de paix », la surface d’un Etat palestinien viable se réduisant comme une peau de chagrin. Le caractère nationaliste et religieux du dernier gouvernement de M. Nétanyahou, dont une composante influente ne cache pas sa volonté d’établir le Grand Israël de la mer au Jourdain, ne laisse guère de doute à cet égard.
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On est donc légitimement conduit à considérer que la question palestinienne demeure entière, alors même qu’elle constitue un objet grave de dissentiment avec le monde arabo-musulman et qu’elle est, en toutes circonstances, utilisée contre l’Occident par les extrémismes religieux.

Face à cette situation, que faisons-nous ? Les États-Unis, seul intermédiaire accepté par Israël, ont renoncé à toute action significative, pour sauver l’accord nucléaire avec l’Iran. Il est à craindre que le prochain président, qu’il soit démocrate ou républicain, soit encore plus inféodé, par le jeu d’intérêts électoraux, aux positions israéliennes. L’Europe, dont le rôle est rejeté par Israël, est inhibée par l’ombre de la Shoah et la puissance de lobbies qui défendent les options les plus extrêmes de la droite israélienne.

Cependant, les principes qui gouvernent nos institutions nationales et internationales et la force du droit font leur chemin, soutenus par le sentiment d’une injustice de plus en plus répandu dans l’opinion publique. Le Parlement français, après d’autres, a demandé que le gouvernement français reconnaisse l’Etat palestinien. L’Union européenne s’est résolue à exiger l’étiquetage des produits des colonies israéliennes. Le ministre français des Affaires étrangères prépare une résolution pour le Conseil de Sécurité en vue d’établir les bases d’une reprise des négociations sous contrôle international. En cas d’échec, la France reconnaîtrait l’East palestinien. Faut-il attendre jusque-là ? Rien n’assure en effet que cette résolution puisse aboutir. Rejetée a priori par Israël, elle aura peu de conséquences sur le terrain mais ouvrira une nouvelle étape irrécusable sur la voie du futur Etat palestinien. Ne pourrait-on par ailleurs imaginer que la coalition internationale contre Daech fasse un effort équivalent à celui qu’elle fait sur le plan militaire dans la recherche d’une paix qui permettrait au peuple palestinien de jouir enfin de ses droits et à Israël d’assurer sa pérennité dans un véritable consensus régional ?

Sans attendre une telle éventualité, il nous semble que :

- La reconnaissance immédiate de l’Etat palestinien s’impose à la France, pionnière depuis le général de Gaulle d’une solution de droit entre Israël et la Palestine. Cette reconnaissance devrait si possible être concertée avec la Grande-Bretagne et les pays méditerranéens de l’Union européenne (Espagne, Italie, Grèce) ;

- Le traité d’association entre Israël et l’Union européenne devrait être suspendu tant que la colonisation se poursuivra et que les droits humains des Palestiniens ne seront pas respectés ;

- La coopération économique et scientifique privilégiée dont bénéficie Israël devrait également être mise en veilleuse, selon de nouvelles lignes directrices adoptées par l’Assemblée européenne ;

[**Il faut oser cette rigueur pour détourner Israël d’une politique d’apartheid où il perdra son âme. Il faut le convaincre que sa sécurité ne peut être assurée sans la satisfaction des droits des Palestiniens, musulmans comme chrétiens.*]

Si rien ne se passe, le glas sonnera pour les Palestiniens, dont l’accès à la liberté et à la dignité sera fermé ; pour Israël, dont la sécurité ne reposera plus que sur l’usage de la force ; pour le monde occidental qui tournerait le dos aux valeurs dont il se réclame.

L’indifférence qui gagne nos sociétés vis-à-vis d’un conflit interminable ne doit pas faire oublier la signification essentielle qu’il revêt en termes de civilisation. Ce conflit ne s’éteindra ni par la force, ni par le silence. Il est de la responsabilité de chacun de contribuer à sa solution.

Les ambassadeurs signataires de cette tribune sont Yves Aubin de La Messuzière, Denis Bauchard, Bertrand Dufourcq, Christian Graeff, Pierre Hunt, Patrick Leclercq, Jean-Marc de La Sablière, Jean-Louis Lucet, Gabriel Robin, André Ross, Jacques-Alain de Sédouy et Alfred Siefer-Gaillardin
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source : Le Monde, mercredi 3 février 2016 - photos CB affiches de martyrs sur les murs d’Hébron