Persécutés pour avoir joué au football

lundi 16 septembre 2019

Les Palestiniens sont empêchés de jouer et même parfois de regarder le football. J’ai appris ça quand j’étais enfant.

Un jour de l’été 2004, je me préparais à assister à un match dans un stade du sud de Gaza. Pour y arriver, je devais traverser un poste de contrôle militaire israélien.

Lorsque d’autres fans de football et moi-même sommes arrivés au point de contrôle, les soldats nous ont dit d’attendre. Après une heure écoulée, nous avons été informés que nous ne pouvions plus nous aventurer pour des « raisons de sécurité » - excuse qu’Israël utilise souvent pour empêcher les Palestiniens de mener une vie normale.

JPEG - 264 ko Khadamat Rafah et l’équipe victorieuse de la coupe de gaza en avril 2019. Abed Zagout

L’incident m’a laissé un profond sentiment de colère. Le football est un sport universellement apprécié. Pourquoi n’avons-nous pas été autorisés à en profiter aussi ?

Depuis lors, Israël se serait « désengagé » de Gaza. Ses forces d’occupation se sont déplacées jusqu’à la frontière entre Gaza et Israël, d’où elles tirent fréquemment sur des Palestiniens.

J’aimerais pouvoir dire que la situation s’est améliorée après le « désengagement ». En réalité, la situation s’est détériorée.

Mahmoud al-Neirab a été reconnu comme le meilleur joueur de football de Gaza pour la dernière saison et a représenté la Palestine au niveau international.

En août 2014, Israël a attaqué le domicile de la famille al-Neirab à Rafah, la ville la plus au sud de Gaza. La mère de Mahmoud, Arwa, et trois de ses sœurs - Ibtisam, Duha et Ola - ont été tuées.

JPEG - 61 ko Une photo de la mère et des sœurs de Mahmoud al-Neirab tuées par les israélien en août 2014. Abed Zagout

« Je ne peux pas vous dire ce que cela fait de perdre votre mère », a déclaré Mahmoud, aujourd’hui âgé de 27 ans. « Mais cela ne m’a jamais empêché de suivre mon rêve. J’ai dédié chaque but que j’ai marqué après cela à ma mère. »

"Gros mensonge"

Mahmoud fait partie de l’équipe de football de Khadamat Rafah, qui s’est qualifiée pour la finale de la Coupe de la Palestine cette année contre Markaz Balata, originaire de la ville occupée de Naplouse, en Cisjordanie.

Tenue à Rafah à la fin du mois de juin, la finale s’est terminée par un match nul 1-1. Une revanche devait donc avoir lieu à Naplouse plusieurs jours plus tard.

La Palestine Football Association a demandé que 35 personnes représentant Khadamat Rafah, y compris les joueurs de l’équipe, soient autorisées à passer par Erez, le point de contrôle militaire séparant Gaza et Israël, pour la reprise. Pourtant, l’armée israélienne n’a accordé de permis qu’à quatre personnes figurant sur la liste, dont un seul était un joueur.

La plupart des permis ont été refusés pour « des raisons de sécurité ». Selon la presse, la police secrète israélienne, le Shin Bet, disposait d’informations « liant la plupart des membres des équipes au terrorisme ». Cette allégation a été qualifiée de « gros mensonge » par Jibril Rajoub, président de la Palestine Football Association.

La position d’Israël signifie que la reprise n’a pas encore eu lieu.

JPEG - 97.7 ko Mahmoud al-Neirab (à doite), Omran Abu Belal (à gauche) et Bader Mousa (au centre). Abed Zagout

« J’attendais ce match avec impatience », a déclaré Mahmoud al-Neirab. « J’étais très proche de mon rêve de remporter la Coupe de la Palestine. Ce n’était pas assez pour Israël de tuer ma mère et mes trois sœurs. Maintenant, ils ont aussi tué mon rêve. »

Les restrictions imposées par Israël empêchent également les joueurs de football de Gaza de rejoindre des équipes basées en Cisjordanie.

Les restrictions ont de graves conséquences économiques. Le salaire versé à un joueur professionnel à Gaza est d’environ 150 dollars par mois. Selon un journaliste sportif local, les joueurs de Cisjordanie reçoivent 1 400 dollars par mois, soit près de 10 fois plus.

Bader Mousa, un joueur de Gaza, a signé un contrat de trois ans pour jouer avec une équipe à Hébron, en Cisjordanie. Pourtant, il est coincé à Gaza : Israël a refusé de lui délivrer un permis de voyage.

Mousa avait espéré que jouer en Cisjordanie l’aiderait à obtenir une place dans l’équipe nationale palestinienne. « Israël a détruit mon rêve avant même que je puisse commencer », a-t-il déclaré.

Cinq ans sans famille

Un autre résident de Gaza, Omran Abu Belal, a été sélectionné pour jouer avec Markaz Balata. En l’empêchant de prendre sa place, Israël a privé sa famille de l’argent dont elle avait cruellement besoin.

« Ma famille est dans une situation difficile », a-t-il déclaré. « Je suis impatient de les soutenir ».

Si être sélectionné pour l’équipe nationale palestinienne est un honneur pour les joueurs de football, il n’offre aucune protection contre la cruauté d’Israël.

En 2008, Suleiman al-Ubeid a quitté Gaza pour s’installer à Ramallah en Cisjordanie afin de pouvoir jouer avec l’équipe nationale. Israël ne permettrait pas à sa femme et à ses enfants de voyager avec lui. Il ne les a pas vues jusqu’à son retour à Gaza en 2013, une décision qui a nui à sa carrière.

« Pendant cinq ans, je n’ai pas embrassé mes enfants », a-t-il déclaré. « Ce fut une décision très difficile de renoncer à jouer avec l’équipe nationale. Mais Israël m’a forcé à décider de garder mon travail ou de garder ma famille. »

Deux mois après son engagement en 2016, Ibrahim al-Nateel s’est vu offrir une place au sein de l’équipe de Jérusalem, Hilal al-Quds. Après avoir quitté Gaza, il a passé l’année suivante à essayer d’obtenir un permis de sortie pour sa fiancée, afin qu’elle puisse le rejoindre en Cisjordanie. Israël a refusé de lui en accorder un.

Sa fiancée est devenue tellement frustrée qu’elle a annulé ses fiançailles.

« Ma fiancée ne pouvait plus attendre », a déclaré al-Nateel. « Il était très difficile pour moi de mettre fin à ma relation avec elle. Mais je devais respecter son choix. »

Al-Nateel est rentré à Gaza plus tard en 2017, après avoir été blessé lors d’un match.

« Guerre psychologique »

Selon Fadi Hijazi, responsable des sports au journal Alresalah, il y aurait une quarantaine de joueurs de football originaires de Gaza en Cisjordanie. La plupart n’ont pas été en mesure d’amener leur famille avec eux.

« Il y a une guerre psychologique délibérée contre ces joueurs », a déclaré Hijazi.

Certains joueurs de Gaza - y compris des joueurs ayant déménagé en Cisjordanie - ont été emprisonnés par l’occupation israélienne.

Samy al-Daour est parmi eux.

Après une séance d’entraînement en 2016, il a été arrêté à un poste de contrôle militaire alors qu’il rentrait chez lui à Hébron, où il vivait à l’époque.

« Un soldat israélien a demandé ma carte d’identité », a-t-il déclaré. « Je lui ai expliqué que je suis un joueur de football mais, tout à coup, je me suis retrouvé au sol et ils m’ont arrêté. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai été arrêté. »

Al-Daour, qui joue maintenant avec al-Ahli Gaza, a passé 10 jours dans la prison israélienne d’Ashkelon sans inculpation ni jugement.

Également en 2016, Fadi al-Sharif rentrait à Gaza après une opération au genou à Jérusalem, lorsqu’il a été appréhendé par les forces israéliennes.

« J’ai quitté l’hôpital et suis rentré à Gaza directement », a-t-il déclaré. « Je n’imaginais pas que je serais arrêté, surtout que j’ai été incapable de bouger ma jambe. Je n’oublierai jamais les deux semaines que j’ai passées en prison. »

Al-Sharif faisait partie de l’équipe al-Hilal Gaza, mais sa détention l’a amené à arrêter de jouer au football.

Le football est reconnu par d’innombrables fans comme le beau jeu. En persécutant les joueurs palestiniens, Israël cherche à voler sa beauté.

Par Hamza Abu Eltarabesh, journaliste de Gaza.
Source : Electronic Intifada – Traduction : Collectif Palestine Vaincra