Plainte pour complicité de crimes de guerre à Gaza contre l’entreprise française Exxelia Technologies

mardi 5 juillet 2016

Une famille palestinienne porte plainte en France mercredi 29 juin pour complicité de crime de guerre et homicide involontaire contre l’entreprise française Exxelia Technologies. Les plaignants, représentés par le cabinet Ancile-avocats et assistés par l’ACAT, sont des membres de la famille Shuheibar résidant à Gaza City, dont trois enfants ont perdu la vie lors d’une frappe israélienne en 2014.

Le 17 juillet 2014, au cours de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza « Bordure protectrice », un missile – vraisemblablement tiré par un drone – s’est abattu sur le toit de leur maison où cinq enfants nourrissaient les pigeons. Une fille, Afnan (8 ans) et deux garçons, Wassim (9 ans) et Jihad (10 ans) sont morts. Deux autres garçons, Udai (15 ans) et son cousin Bassil (9 ans), ont été grièvement blessés.

Un composant de fabrication française a été trouvé parmi les débris du missile tiré sur la maison. L’ACAT et son partenaire palestinien ont documenté l’attaque, recueilli des témoignages et soumis les débris à l’analyse d’experts militaires internationaux.

Les rapports d’expertise permettent d’établir que le composant français retrouvé sur les lieux de l’attaque est un capteur sensoriel à effet Hall fabriqué par l’entreprise française Eurofarad , aujourd’hui nommé Exxelia Technologies depuis son rachat par Exxelia Group en 2015. Ce composant fait partie d’un missile de petite taille tiré depuis les airs, vraisemblablement par un drone.

Les survivants et les témoins affirment qu’aucune cible militaire n’était présente dans la maison au moment de l’attaque ni à aucun autre moment. Ce faisant, le domicile est considéré comme un objet civil qui ne peut pas visé par une attaque selon le droit international. L’attaque de la maison avec les morts civils et les dégâts matériels qui en ont résulté était donc illégale et pourrait constituer un crime de guerre. Les plaignants accusent l’entreprise française de s’être rendue coupable de complicité de crime de guerre ou, a minima, d’homicide involontaire, s’il est établi qu’elle a vendu le capteur à une entreprise de défense israélienne. Ils ont porté plainte auprès du parquet du pôle judiciaire spécialisé dans les crimes de guerre.

« Il est malheureux que l’impunité criante des crimes de guerre commis à Gaza impose aux victimes de devoir saisir la justice française », regrette Joseph Breham, avocat au cabinet Ancile-avocats, Selon son associée, Me Ingrid Metton, « L’industrie de l’armement française ne peut plus échapper à sa responsabilité morale et juridique. Vendre du matériel qui sert à commettre des crimes de guerre doit être sévèrement sanctionné. »

« Au-delà du cas d’Exxelia, nous appelons la France à faire preuve de responsabilité, elle qui a joué un rôle moteur dans l’élaboration et l’adoption du Traité sur le commerce des armes » rappelle Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb/Moyen-Orient à l’ACAT. Ce traité interdit aux États d’exporter des armes mais aussi des composants qui pourraient être utilisés pour commettre des crimes de guerre. « Au lieu de se féliciter de vendre des armes à des pays qui commettent de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire, la France devrait faire en sorte qu’à l’avenir, on ne puisse plus trouver une seule pièce de fabrication française sur un site de crimes de guerre. »

Deux ans après l’opération « Bordure protectrice », les autorités israéliennes n’ont toujours pas effectué d’enquêtes crédibles sur les attaques Illégales menées directement contre des civils. Ce dernier exemple d’impunité est emblématique de l’échec patent d’Israël à se conformer à son obligation internationale d’enquêter sur les sérieuses allégations de violations des droits de l’homme et de garantir la justice et la réparation des victimes d’attaques militaires illégales. Israël a refusé ou omis de mener des enquêtes crédibles sur des centaines de cas.

Contact presse :

Pierre Motin, ACAT, 01 40 40 40 24 / 06 12 12 63 94 pierre.motin@acatfrance.fr
Me Joseph Breham et Me Ingrid Metton, cabinet Ancile-avocats, 01 44 54 46 33

* Un document de questions/réponses concernant la plainte est disponible en suivant ce lien.

* Un webdocumentaire intitulé « Obliterated Families » réalisé par la photojournaliste Anne Paq et la reporter Ala Qandil avec le soutien de l’ACAT sera rendu public le jeudi 7 juillet, à l’occasion des deux ans de l’opération « Bordure protectrice ». Anne Paq a pris les photos des fragments du missile chez la famille Shuheibar. Il raconte l’histoire de 10 familles ayant subi les attaques israéliennes de l’été 2014.

[*dans le journal Le Monde*]

Une plainte inédite contre une entreprise française devait être déposée à Paris, mercredi 29 juin, pour « complicité de crimes de guerre » et « homicide involontaire » dans la bande de Gaza. Elle vise à établir son éventuelle responsabilité dans la mort de trois mineurs palestiniens, à l’été 2014, lors de l’opération israélienne « Bordure protectrice ». Une opération pendant laquelle près de 2 100 Palestiniens avaient péri. Cette entreprise s’appelait à l’époque Eurofarad, aujourd’hui Exxelia Technologies. Un composant de sa fabrication, appelé capteur de position à effet Hall, a été retrouvé parmi les débris du missile israélien qui a détruit la maison de la famille Shuheibar, le 17 juillet 2014.

C’est là, dans un quartier densément peuplé de Gaza, que vivaient les frères Tareq et Wissam, leurs épouses et leurs enfants. En attendant l’appel du muezzin, les adultes préparaient le repas de rupture de jeûne, en cette fin de ramadan. Au moment de l’attaque, Afnan, 8 ans, et Udai, 15 ans, deux des enfants de Wissam et Kifah Shuheibar, nourrissaient les oiseaux sur le toit de la maison, en compagnie de trois de leurs cousins. Afnan et deux de ses cousins ont été tués par le tir. Deux garçons ont aussi été grièvement blessés et conservent des séquelles à ce jour.

Selon les témoins interrogés par la commission d’enquête du conseil des droits de l’homme de l’ONU, aucun combattant armé ne se trouvait sur les lieux, et aucune procédure d’avertissement à l’égard des civils n’avait été enclenchée au préalable. Dans la conclusion de son rapport sur « Bordure protectrice », la commission avait regretté la nature très parcellaire des informations fournies par Israël sur les cibles visées. Mais, formellement, aucune juridiction, en Israël ou ailleurs, n’a statué sur des allégations de crimes de guerre commis par l’armée.

© Mahmud Hams, AFP | C’est durant l’opération "Bordure protectrice", entre juillet et août 2014 que les trois enfants ont péri à Gaza

Possible complicité

A la demande de l’organisation non gouvernementale basée à Paris Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), initiatrice de la plainte au nom de la famille Shuheibar, deux experts militaires ont authentifié la pièce retrouvée. Il n’existe pas d’embargo contre Israël sur les ventes d’armes ou de composants destinés à des armes. Mais l’ACAT estime que les crimes de guerre israéliens ont été déjà documentés par de nombreuses ONG. Une possible complicité pourrait être établie, s’il s’avérait que l’entreprise était au courant de la finalité de la pièce vendue. Me Ingrid Metton, l’un des avocats ayant rédigé la plainte, reconnaît qu’« en matière de droits de l’homme on part toujours du néant pour avancer avec des plaintes. Nous sommes ici dans une situation inédite en France. C’est la première fois qu’on retrouve les débris d’un missile avec des pièces françaises sur les lieux d’un crime de guerre ».

Contactée, la société Exxelia Technologies refuse d’entrer dans les détails, confidentiels, de ses affaires en Israël. « Nos ventes en France et à l’exportation respectent toutes les règles imposées par la loi », se contente-t-on de dire. Pour l’ACAT, cette démarche en justice a une double visée. « On veut imposer un devoir de responsabilité aux entreprises françaises et donner une voix aux victimes de crimes de guerre à Gaza, confrontées à un mur d’impunité », explique Hélène Legeay, directrice du programme Maghreb - Moyen-Orient. L’ONG ne se fait pas d’illusions sur la position du parquet, qui doit juger la plainte recevable ou pas. « On s’attend à ce qu’il refuse d’ouvrir une enquête pour complicité de crimes de guerre, reconnaît Hélène Legeay. C’est pourquoi nous avons aussi porté plainte pour homicide involontaire. Dans ce cas, l’entreprise deviendrait auteur. »

En cas de rejet de la plainte par le parquet, l’ACAT se constituerait partie civile. L’ONG compte sur le fait que la justice française se prononcera sur deux points essentiels : la mort des trois mineurs relève-t-elle d’un crime de guerre ? A qui a été vendue la pièce incriminée ? S’il s’agissait de l’une des entreprises israéliennes dans le secteur de la défense avec lesquelles Exxelia Technologies a des liens, la société française pourrait être tenue pour informée de la destination finale de cette pièce. Mais la justice voudra-t-elle s’emparer d’un sujet aussi sensible politiquement, sur lequel ses possibilités d’investigation sont limitées ?
Piotr Smolar, Le Monde, mercredi 29 juin 2016

[*et dans l’Humanité*]

Une entreprise française est accusée d’avoir fourni les composants électroniques qui ont tué trois enfants à Gaza.

Raids meurtriers par l’armée israélienne sur la ville de Gaza, en territoire palestinien, le 29 juillet 2014. Photo : AP

C’était le 17 juillet 2014, durant la guerre menée par Israël contre les habitants de la bande de Gaza. Cet été-là, c’est un véritable déluge de feu qui s’abat de manière indiscriminée sur ce territoire palestinien. C’est durant l’un de ces raids meurtriers qu’un missile, sans doute tiré par un drone, s’abat sur le toit d’une maison de la ville de Gaza, où vit la famille Shuheibar. Sur ce toit se trouvait une ribambelle d’enfants en train de nourrir des pigeons, comme c’est la coutume. Une fille, Afnan, 8 ans et deux garçons, Wassim, 9 ans et Jihad, 10 ans, sont tués sur le coup. Deux autres garçons, Usai, 15 ans et son cousin Bassil, 9 ans, sont grièvement blessés.

Les différentes organisations humanitaires qui ont pu se rendre sur place découvrent, parmi les débris du missile tiré sur la maison, un composant électronique. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) et son partenaire palestinien recueillent des témoignages et soumettent les débris à l’analyse d’experts militaires internationaux. Le rapport fourni établit que le composant retrouvé sur les lieux de l’attaque est d’origine française. Il s’agit d’un capteur sensoriel à effet Hall fabriqué par l’entreprise française Eurofarad, aujourd’hui nommée Exxelia Technologies. Des membres de la famille Shuheibar ont porté plainte auprès du parquet du pôle judiciaire spécialisé dans les crimes de guerre, ce 29 juin, en France. Les plaignants accusent l’entreprise française de s’être rendue coupable de complicité de crime de guerre ou, au minimum, d’homicide involontaire, s’il est établi qu’elle a vendu le capteur à une entreprise de défense israélienne.

« L’industrie de l’armement française ne peut plus échapper à sa responsabilité morale et juridique. Vendre du matériel qui sert à commettre des crimes de guerre doit être sévèrement sanctionné », souligne Ingrid Metton, avocate des plaignants. « Au-delà du cas d’Exxelia, nous appelons la France à faire preuve de responsabilité, elle qui a joué un rôle moteur dans l’élaboration et l’adoption du traité sur le commerce des armes », rappelle Hélène Legeay, de l’Acat. Le Proche et le Moyen-Orient représentent, sur la période 2010-2014, 38,1 % des prises de commandes françaises dans le monde, selon la Direction générale de l’armement (DGA). Ce qui n’empêche pas le ministère français d’affirmer : « Nous devons également renforcer notre engagement au service d’une politique de non-prolifération des armes et matériels militaires vers les pays en crise ou en conflit. » (sic)
Pierre Barbancey - Vendredi, 1 Juillet, 2016