Pourquoi je suis optimiste à propos de l’« accord du siècle »

mercredi 3 juillet 2019

L’accord représente la plus grande opportunité pour ceux qui ont le plus à y perdre.

Pour vendre l’« accord du siècle » dont la publication se fait attendre, ses principaux auteurs déclarent que les Palestiniens ne sont pas encore capables de se gouverner eux-mêmes (selon Jared Kushner, gendre du président américain), qu’Israël a le droit d’annexer des parties de la Cisjordanie (selon l’ambassadeur américain en Israël David Friedman) ou encore que l’accord en lui-même est probablement inexécutable (selon le secrétaire d’État américain Mike Pompeo).

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Avec de tels amis, a-t-on vraiment besoin d’ennemis ?

L’accord de paix mort et enterré

En tentant de manière aussi effrontée et éhontée de consolider les acquis d’Israël et d’écraser toute possibilité d’un État palestinien ayant Jérusalem-Est comme capitale, en choisissant de traiter le poids accablant de l’histoire des réfugiés en le supprimant, les auteurs ont fait plus qu’une entreprise d’autodestruction.

Ils ont également tué l’idée qu’un accord de paix puisse un jour être construit autour du principe qu’un État à majorité juive cohabite avec un État palestinien en tant que voisin égal et stable.

Ce mythe a passé trop de temps dans l’unité de soins intensifs des négociations internationales. Il a alimenté près de trois décennies de négociations et réside encore au cœur de la politique européenne.

Il a surclassé et remplacé toutes les autres idées.

Vingt-six ans après les accords d’Oslo, il n’y a pas eu d’autre processus que le processus de paix. Les dirigeants palestiniens, qui reconnaissent Israël, ne l’auraient jamais déclaré terminé d’eux-mêmes. Mais la disparition d’Oslo n’a pas non plus été l’œuvre de factions opposées à l’existence d’Israël comme le Hamas, le Djihad islamique ou le Hezbollah. Au contraire, en réécrivant sa charte dans le but de réduire la distance qui le sépare du Fatah, le Hamas a accepté la ligne verte de 1967 comme base de négociation.

Non, les fossoyeurs de la solution à deux États sont deux zélotes : Kushner et Friedman. Ils croient pour l’essentiel qu’Israël a gagné ce conflit et que tout ce que sa résolution demande, c’est que le camp vaincu accepte cette vérité et prenne sa part.

« Mission accomplie » ?

L’accord du siècle ne revient à rien d’autre qu’à dire « mission accomplie », comme l’ont fait d’autres armées d’envahisseurs au Moyen-Orient. L’histoire nous enseigne que de telles déclarations sont prématurées.

Kushner, dont chaque sortie publique a été un désastre en matière de relations publiques, a vendu la mèche à plusieurs reprises.

Notamment lors de l’interview qu’il a accordée à Robert Satlov du Washington Institute, dans laquelle il a déclaré que sa quête était fondée sur l’idée de « dire la vérité ». Première vérité : Jérusalem est la capitale d’Israël. Seconde vérité : Israël possède le plateau du Golan depuis 52 ans, il ne fait donc selon lui « aucun doute » que cette région doit aussi faire partie d’Israël.

La vérité revient-elle ici à reconnaître la réalité ou les faits sur le terrain ? Pas totalement. Il a de nouveau fait référence à la vérité dans la joyeuse ouverture messianique du discours qu’il a prononcé lors de la cérémonie de consécration de l’ambassade américaine à Jérusalem.

« Je suis si fier d’être aujourd’hui à Jérusalem, le cœur éternel du peuple juif », a déclaré Kushner, le visage rougi par cet instant de révélation, avant d’ajouter : « [Le président Trump a déclaré qu’il] finirait par reconnaître la vérité, à savoir que Jérusalem est la capitale d’Israël. »

La vérité se rapporte ici à l’accomplissement d’un destin d’ordre divin. Kushner et Friedman sont les ennemis mortels du sionisme libéral – un projet laïc –, précisément parce qu’ils se pensent investis d’une mission de Dieu. Il suffit d’écouter Kushner décrire Israël, dans le même discours, comme un paradis sur terre – « le seul pays au Moyen-Orient où juifs, musulmans et chrétiens pratiquent leur religion et leur culte librement », « le pays protecteur des droits des femmes », « l’une des nations les plus dynamiques au monde » – pour se faire une idée.

Selon Kushner, aucune vérité, aucune autodétermination, aucune aspiration nationale, aucune histoire, aucune eau, aucune terre, aucune oliveraie autre que celles d’Israël ne peuvent exister dans le pays situé entre le fleuve et la mer et les Palestiniens doivent tout simplement accepter cette vérité.

Ce qui se passe dans la tête de Kushner et de Friedman est mis en scène par les colons dans une réalité grotesque. Alors que les agriculteurs des villages d’al-Mughayyir et de Kafr Malik se préparaient à célébrer l’Aïd el-Fitr, des colons israéliens ont incendié leurs cultures à plusieurs reprises.

Comme pour souligner cela, alors que Kushner était au Moyen-Orient, Ron Dermer, ambassadeur d’Israël à Washington, tente actuellement d’empêcher une résolution bipartite du Sénat approuvant une solution à deux États.

Affirmer cela avec tant de fermeté et de clarté au nom du principal sponsor d’Israël, c’est précipiter le jour où le projet visant à garantir et à sceller un État fondé sur le principe de la suprématie religieuse prendra fin, et c’est pour cette raison que je suis profondément reconnaissant envers Kushner et Friedman. Ils sont engagés dans une remarquable entreprise de démolition.

Mais il y a aussi d’autres raisons.

L’« atelier » bahreïni

Il s’est avéré pénible de faire participer les dirigeants arabes à la conférence économique – qui est maintenant devenue un atelier – à Bahreïn à la fin du mois, là où les sommes allouées à cet accord doivent être annoncées.

La Jordanie, l’Égypte et le Maroc ont apparemment donné leur accord et le Qatar sera également présent.

Mais leur réticence à faire autre chose qu’écouter repose sur la conviction ferme qu’aucun chef d’État arabe ne pourrait approuver un tel plan. C’est une vérité aussi grande mais aussi un fait sur le terrain aussi gros que ce que le fondamentaliste Kushner peut lui-même couver.

Kushner aurait été pris de court par le niveau d’opposition à son plan parmi ses amis. L’ami de Kushner sur WhatsApp, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, a réuni un groupe de réflexion composé de représentants gouvernementaux, d’intellectuels et de chroniqueurs pour mettre l’accord du siècle à l’essai.

« Il a semblé surpris lorsque la majorité des personnes présentes dans la salle ont critiqué son plan et lui ont dit que le roi Salmane insistait sur les droits des Palestiniens », a indiqué une source au Washington Post.

Si Kushner y réfléchit – ce qu’il ne fera pas, car ce processus n’est pas cérébral, c’est un acte de foi puis un acte de force –, cela signifie que les conversations privées qu’il a eues avec des dirigeants arabes ne constituent pas une source d’informations fiable. Il ne doit pas faire confiance aux choses qui lui sont dites en privé, précisément parce qu’elles ne peuvent pas être dites en public.

Le retour de la lutte palestinienne

Loin d’enterrer la cause palestinienne, après une longue période où elle a été marginalisée par les soulèvements arabes de 2011, la contre-révolution ou encore l’essor du groupe État islamique, l’accord du siècle a permis de remettre cette vieille lutte à sa place, au centre de la politique arabe.

À ce stade, aucun gouvernement arabe ne peut l’ignorer, ni faire autre chose qu’affirmer qu’il peut uniquement soutenir un accord que les Palestiniens eux-mêmes acceptent.

Encore une fois, ce n’est pas une mince affaire et nous devons également féliciter Kushner et Friedman pour cela.

L’accord du siècle représente pourtant la plus grande opportunité pour ceux qui ont le plus à y perdre.

Une fois qu’ils auront reconnu qu’ils ne parviendront jamais à créer un État palestinien à côté d’un État israélien, les dirigeants palestiniens auront du pain sur la planche.

Les choses à faire

La première tâche consiste à reléguer les petites rivalités, les guerres d’ego et les intérêts personnels au second plan pour soutenir la cause de l’unification d’un corps dirigeant composé de tous ses partis. Aucun dirigeant du Fatah ne peut continuer de traiter le Hamas comme un ennemi plus grand qu’Israël.

Aucun dirigeant palestinien ne peut représenter son peuple s’il est contrôlé en premier lieu par Israël et Washington.

Si le président palestinien Mahmoud Abbas voulait vraiment envoyer un signal à Israël au sujet de l’accord du siècle, il arrêterait voire suspendrait la coopération en matière de sécurité avec les forces d’occupation. Le message serait reçu instantanément.

La deuxième tâche à accomplir consiste à élaborer un programme conjoint de protestation, de désobéissance civile et d’action. Si l’occupation n’a jamais coûté aussi peu à Israël, il faut en augmenter le prix.

La troisième tâche consiste à utiliser les ambassades palestiniennes dans le monde entier pour faire pression en faveur de la reconnaissance diplomatique de l’État palestinien et faire pression sur chaque parti politique en Europe pour que cette reconnaissance devienne une réalité. On ne peut pas combattre un lobby pro-israélien hautement actif dans le monde entier par l’inaction. Il faut être actif.

Une fin du conflit

De nombreux éléments pourraient constituer la base d’une fin du conflit – la proposition par le Hamas d’une hudna à long terme en fait partie. Une génération post-Oslo de jeunes Palestiniens en quête de leadership en est un autre. Cela ne doit pas forcément reposer sur une seule personne.

Cela peut être collectif.

Une nouvelle génération de Palestiniens de 1948 dont l’exigence d’égalité serait la pierre angulaire de la prochaine phase de cette lutte en est encore un troisième. L’option à un État, ou quelque autre version de celle-ci, est la seule à même d’unifier et de libérer finalement tous les Palestiniens de leurs ghettos soigneusement construits.

Il y a cependant une option qui n’est pas sur la table. C’est celle de ne rien faire.

Le débat est animé parmi ceux qui suivent ces événements en détail quant aux raisons pour lesquelles une déclaration politique est nécessaire, alors que Netanyahou obtient tout ce dont il a besoin – Jérusalem, le plateau du Golan, le retrait du financement accordé à l’UNWRA – sans cela.

Cela a été exprimé de différentes manières, l’une d’entre elles ayant été de dire que l’accord est voué à l’échec, de manière à donner à Netanyahou et à Trump l’excuse selon laquelle il n’y a pas de partenaire pour la paix.

Une ligne dans le sable

Je suis toujours enclin à penser que l’accord du siècle sera publié, même si plus sa publication est retardée, plus il interférera avec la campagne de réélection de Trump. Et ce, pour une raison. Comme les paramètres de Clinton avant lui, ce sera une ligne dans le sable, destinée à enfouir toutes les autres lignes qui la précèdent, en premier lieu la ligne verte de 1967, qui a complètement disparu.

Les plans sont tout aussi meurtriers que les balles. S’ils laissent cette ligne être tracée dans le sable, les Palestiniens pourraient tout aussi bien prendre l’argent, lâcher l’affaire et regarder Abou Dabi émerger sur les rives de Gaza.

Je ne pense pas que les Palestiniens, qui traversent l’enfer depuis sept décennies, abandonneront. Ils sont moins susceptibles d’abandonner aujourd’hui que jamais auparavant. C’est pour cette raison que je suis optimiste.

David Hearst

JPEG - 2.5 ko David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian. Au cours de ses 29 ans de carrière, il a couvert l’attentat à la bombe de Brighton, la grève des mineurs, la réaction loyaliste à la suite de l’accord anglo-irlandais en Irlande du Nord, les premiers conflits survenus lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en Slovénie et en Croatie, la fin de l’Union soviétique, la Tchétchénie et les guerres qui ont émaillé son actualité. Il a suivi le déclin moral et physique de Boris Eltsine et les conditions qui ont permis l’ascension de Poutine. Après l’Irlande, il a été nommé correspondant européen pour la rubrique Europe de The Guardian, avant de rejoindre le bureau de Moscou en 1992 et d’en prendre la direction en 1994. Il a quitté la Russie en 1997 pour rejoindre le bureau Étranger, avant de devenir rédacteur en chef de la rubrique Europe puis rédacteur en chef adjoint de la rubrique Étranger. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.


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