Proche-Orient. 1970, un « septembre noir » rouge de sang

mardi 29 septembre 2020

Le massacre dans les camps palestiniens de Jordanie par l’armée de la monarchie hachémite marque un tournant dans l’histoire du Proche-Orient. Pour la première fois, les pays de la Ligue arabe se démarquent de la cause palestinienne.

Le 17 septembre 1970, le roi Hussein de Jordanie lance son armée contre les camps de réfugiés palestiniens qui se trouvent sur son territoire. L’armée encercle les camps autour de la capitale, Amman, et les bombarde massivement et sans répit. Les fedayin de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) résistent pendant dix jours mais finiront par cesser le combat sur injonction de la Ligue arabe. Le bilan des victimes civiles, bien qu’il varie selon les sources, est estimé à 3 000 morts et 10 000 blessés.
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Certains sont des réfugiés de longue date chassés de Palestine par Israël depuis sa création, le 14 mai 1948. La première grande vague dans les jours et les semaines qui ont suivi, quand l’armée du nouvel État a voulu faire place nette en chassant les populations arabes de Palestine. Près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants sont partis se réfugier dans les pays voisins, Liban, Syrie, Jordanie, Égypte. Ils espéraient revenir chez eux quand les armées arabes de ces mêmes pays auraient chassé les envahisseurs.

Un exode continu

Mais la guerre se conclut dès 1949 par la victoire écrasante d’Israël et le retrait des forces arabes. Sauf celle du roi de Jordanie qui, en accord avec Tel-Aviv et Washington, conserve la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Israël a encore agrandi le territoire que lui avait attribué l’ONU lors du partage de la Palestine en novembre 1947. L’exode continue au fil des ans. Il s’accentue avec une seconde vague de 500 000 personnes après la guerre des Six-Jours, en juin 1967. Israël occupe désormais toute la Cisjordanie, y compris Jérusalem.

Partir vers la Jordanie est la voie la plus facile. Il suffit de franchir un pont sur le Jourdain pour retrouver, souvent, des parents installés là depuis des années ou même depuis toujours. À l’époque, plus de 70 % de la population de Jordanie sont palestiniens. Les nouveaux venus sont parqués dans des camps qui deviennent des bidonvilles. C’est là que s’installent les diverses organisations politiques et de résistance qui composent l’OLP. C’est là que se préparent les opérations militaires et les attentats contre Israël. Ceux du Fatah de Yasser Arafat mais aussi ceux du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) de Georges Habache. Ce dernier se spécialise dans les attentats et les détournements d’avions. Des opérations spectaculaires destinées à toucher Israël et son allié américain, mais aussi à faire connaître au monde la cause palestinienne, le déni du droit international que représentent l’occupation de la Palestine et le drame des réfugiés.

Montée de la guerre civile au Liban

C’est une de ces opérations, le détournement de trois avions de ligne vers la base de Zarka, dans le désert jordanien, qui déclenche l’offensive que le roi Hussein préparait depuis longtemps pour mettre fin à la présence de la résistance palestinienne sur son sol. La condamnation de cette action par Yasser Arafat, qui suspend le FPLP des instances de l’OLP, ne change rien. Les fedayin fuient vers le Liban, où ils vont installer leurs bases dans les camps de réfugiés du Sud et la banlieue de Beyrouth.

Leur présence et les actions qu’ils continuent d’entreprendre contre Israël depuis ces nouvelles bases attireront des représailles israéliennes qui contribueront en partie à la montée de la guerre civile au Liban. Le pays est déjà en grande instabilité en raison d’un système politique confessionnel qui partage les pouvoirs et les postes entre les religions et les grandes familles, source de rivalités et de corruption. La faiblesse de cet État, qui vit de spéculations avec les pétrodollars déposés dans ses banques par les pays du Golfe, permet à l’OLP de constituer un quasi-État dans l’État, comme en Jordanie. Chose que la supposée « communauté internationale » aurait pu éviter si elle avait imposé le droit des Palestiniens à un État, prévu depuis 1947 et réitéré par de multiples résolutions de l’ONU. Cela jusqu’à nos jours, et toujours sans résultat.

Une préfiguration de Sabra et Chatila

Les tueries de ce septembre noir, qui préfigurent les massacres de Sabra et Chatila en 1982, sont un tournant dans l’histoire du Proche-Orient. C’est la première fois que les pays regroupés dans la Ligue arabe se démarquent de la cause palestinienne. Seules la Syrie et l’Égypte font mine de se porter au secours des Palestiniens qu’on massacre, sans résultat. Le président égyptien Nasser meurt d’une crise cardiaque au lendemain de la réunion de la Ligue qui exige le cessez-le-feu, le 28 septembre, et qui n’empêche pas le nettoyage des camps de continuer pour des mois. Mais Yasser Arafat a compris le message et va s’employer à refonder un mouvement indépendant qui suivra sa propre stratégie, faite de diplomatie et de recherche de la paix.

L’organisation Septembre noir

Septembre noir, c’est aussi le nom que prend, un an après le massacre des camps de Jordanie, un groupe armé palestinien pour venger les victimes et punir ceux qui ont trahi la cause, notamment les États arabes. Il signe sa première action le 28 novembre 1971, au Caire, en assassinant le premier ministre jordanien, Wasfi Tall. L’année suivante, il réalise son action la plus spectaculaire en prenant en otages et en tuant les athlètes de la délégation israélienne aux jeux Olympiques de Munich.

Françoise Germain-Robin
l’Humanité