Quand Yara rencontre Fadi : l’histoire d’une robe de mariée syrienne dans les décombres de Gaza

lundi 24 décembre 2018

Ils ont enduré d’innombrables épreuves et tribulations pour être ensemble – et leur histoire a captivé Gaza.

Lorsque Yara a mis les pieds pour la première fois à Gaza au milieu de la nuit du 8 novembre, le voyage de cette jeune Syrienne de 22 ans était l’aboutissement de ce qui semblait être un rêve impossible.

Yara allait enfin rencontrer Fadi al-Ghazali – l’homme dont elle était tombée amoureuse cinq ans plus tôt et qu’elle était sur le point d’épouser.

Tout au long de son odyssée depuis sa ville natale de Khan Sheikhoun, dans le nord-ouest de la Syrie, jusqu’à la bande de Gaza sous blocus, les bagages de Yara ont transporté une précieuse cargaison de tulle et de sequins, symbole de l’espoir qui l’a portée au cours de ce long et difficile voyage : sa robe de mariée.

Yara n’aurait jamais imaginé que, cinq jours seulement après son arrivée à Gaza, celle-ci serait ensevelie sous les décombres.

Un amour envers et contre tout

L’amour de Yara et Fadi est né de manière peu conventionnelle en 2013, alors qu’ils n’avaient que 17 ans. « Je suis tombé amoureux de Yara il y a cinq ans. Nous nous sommes rencontrés sur les réseaux sociaux et j’ai immédiatement su qu’elle était la seule et l’unique », a raconté Fadi à Middle East Eye.

Fadi a déclaré qu’ils « partageaient les mêmes souffrances » – lui vivant sous le siège israélien et faisant face aux dangers des conflits répétés, et elle prise dans les ravages de la guerre en Syrie. « Elle traversait une période difficile, surtout il y a un an, lorsqu’elle a été témoin d’une attaque chimique contre sa ville », s’est rappelé Fadi. J’étais terrifié à l’idée que quelque chose de grave puisse lui arriver. »

« Nous nous sommes soutenus tout le temps », a-t-il poursuivi. « Nous avons tous les deux traversé des guerres dévastatrices et des attaques meurtrières, mais cela n’a fait que renforcer notre lien et m’a fait l’aimer davantage. »

Après deux ans de relation amoureuse à distance, Fadi et Yara – qui a demandé à ce que son nom ne soit pas mentionné et à ne pas être photographiée – ont décidé de passer le reste de leur vie ensemble.

Yara est originaire de Khan Sheikhoun, une ville du nord-ouest de la Syrie qui a été la cible d’une attaque chimique en avril 2017 (AFP)

Il aura fallu trois ans au jeune couple pour que Yara puisse rejoindre Gaza. Elle a eu du mal à obtenir un visa pour l’Égypte, d’où elle pourrait ensuite pénétrer à Gaza en passant par le poste-frontière de Rafah.

« Tout le monde doutait que nous puissions nous rencontrer un jour en personne. Ils disaient que c’était presque impossible, mais je n’ai jamais abandonné », a déclaré Fadi. « Ceux qui ont entendu notre histoire ont ri, ils se sont moqués du fait qu’une fille d’une Syrie déchirée par la guerre veuille épouser un garçon d’une ville de Gaza dévastée. »
En revanche la mère de Fadi, Umm Hani, les a soutenus dès le début.
« Je lui ai dit que je n’abandonnerais pas même si nous devions attendre vingt ans. Elle est le choix de mon fils et je l’aime depuis le moment où je lui ai parlé au téléphone », a-t-elle déclaré à MEE. « Elle m’a dit qu’elle n’épouserait jamais un autre homme que Fadi et qu’elle était prête à faire n’importe quoi pour le rencontrer et venir vivre avec nous. »

Umm Hani a fait de son mieux pour aider son fils à rencontrer enfin sa « fille à qui [elle n’a] pas donné naissance ».

« J’ai appelé tous ceux que je connaissais pour nous aider à la faire venir de Syrie », a raconté Umm Hani. « J’ai utilisé tous les moyens pour partager son histoire – certaines pages et groupes sur Facebook m’ont même bloquée parce que je postais trop et que je demandais si quelqu’un pouvait nous aider à lui obtenir un visa. »
Yara a soumis six demandes de visa à l’ambassade d’Égypte en Syrie avant qu’un responsable ne lui annonce qu’il l’aiderait à rejoindre son fiancé.

« Nous étions si heureux que nous n’arrivions pas à le croire », se souvient Umm Hani. « Nos trois années de lutte avaient enfin payé. »

Yara est arrivée en Égypte le 5 novembre, puis a entrepris un autre long et pénible voyage pour rejoindre Gaza. Pendant deux jours, la jeune femme a voyagé en car du Caire à Rafah, en passant par plusieurs contrôles de sécurité.

Après avoir passé toute la journée au poste frontière, elle est arrivée à Gaza le 8 novembre à minuit et a finalement rencontré Fadi en personne.

« Nous avons réalisé l’impossible », a déclaré Fadi à MEE. « J’étais si heureux que j’avais l’impression de pouvoir voler. Je ne savais pas auparavant à quel point on pouvait être heureux de trouver son âme sœur. »

Un avenir fauché

Une fois Yara à Gaza, le jeune couple était impatient de commencer enfin à planifier son avenir.

« Nous avons fixé la date du mariage au 18 novembre, car c’est également l’anniversaire de Fadi », a déclaré Umm Hani. « Fadi et Yara ont déclaré que les préparatifs étaient les plus beaux jours de leur vie. Ils pensaient que leur épreuve était terminée et qu’ils allaient enfin commencer une nouvelle vie ensemble. »

Yara s’entendait bien avec ses nouveaux beaux-parents, qui l’ont aidée à s’installer dans son nouvel appartement, un étage au-dessus du leur, dans un immeuble de Gaza, où Fadi et elle vivraient une fois mariés.

Elle a suspendu sa robe de mariée à la porte de l’armoire de sa nouvelle chambre, prête pour le jour tant attendu.

Malheureusement, Fadi et Yara n’en avaient pas encore fini avec les épreuves.

Lundi 12 novembre – quatre jours après l’arrivée de Yara à Gaza et six jours avant la date de leur mariage –, les forces israéliennes ont lancé des attaques aériennes dans la bande de Gaza.

L’escalade de la violence est survenue à la suite d’une opération israélienne au sol bâclée et meurtrière, poussant le Hamas à contre-attaquer en lançant des centaines de roquettes contre Israël – auxquelles Israël a riposté.

Au moins neuf bâtiments ont été directement touchés dans la ville de Gaza, y compris un bâtiment connu sous le nom d’al-Rahma, à côté du domicile des al-Ghazali.

Les frappes aériennes israéliennes au cours desquelles l’appartement de Yara et Fadi a été endommagé ont provoqué des dégâts considérables dans la bande de Gaza (AFP)

« Yara et ma mère rangeaient ses vêtements dans la chambre à coucher quand les gens dans la rue ont commencé à crier », a déclaré Fadi. « Quelqu’un a frappé à notre porte et a dit que nous devions quitter la maison immédiatement, car les F-16 israéliens étaient sur le point de détruire le bâtiment.

« Je ne savais pas quoi faire, je n’ai rien emporté avec moi. Nous nous sommes juste précipités dans la rue avant que plusieurs frappes aériennes massives ne touchent le bâtiment al-Rahma, provoquant son effondrement. »

Lorsqu’un cessez-le-feu a été conclu mardi, quinze Palestiniens et un Israélien avaient été tués en l’espace de deux jours.

Repartir de zéro

Après l’attaque, Fadi et Yara se sont précipités dans leur appartement.

« Tout a été détruit : les portes, les fenêtres, les meubles, notre chambre à coucher », a raconté Fadi. « La robe de mariée était sous les décombres. Yara était complètement sous le choc. » Des années d’économies pour leur avenir étaient désormais « parties en fumée ».

« Yara m’a dit : “J’ai fui la guerre toute ma vie, mais ce monstre semble m’avoir poursuivie et m’a retrouvée” », a déclaré Fadi.
« J’étais sans voix. Je ne savais pas comment me faire pardonner. Qu’aurais-je pu lui dire ? Désolé de t’avoir sauvée d’une guerre seulement pour t’en faire vivre une autre ? »

Yara avait peur que ses parents en Syrie ne découvrent ce qui s’était passé.
« Ses parents étaient inquiets qu’elle les quitte et vienne à Gaza », a déclaré Umm Hani. « Comment puis-je leur dire maintenant que leurs peurs étaient justifiées ? Son appartement a été détruit et elle serait morte aujourd’hui si elle ne l’avait pas quitté juste avant l’attaque. »

Leurs projets de vie désormais menacés, le couple commence à se demander s’ils ne devraient pas reporter leur union et même renoncer à une fête de mariage.

« Comment pourrions-nous organiser une fête et être heureux à nouveau après avoir tout perdu ? », a demandé Fadi. « Tout ce que je sais maintenant, c’est que je dois me faire pardonner auprès de Yara. Elle a déjà suffisamment souffert. »

Malgré leurs difficultés, l’espoir a refait surface.

Une photo de la robe de Yara suspendue au milieu des bris de ciment et des débris a attiré l’attention à Gaza – et la sympathie a afflué lorsque les détails de l’histoire d’amour improbable du jeune couple se sont fait connaître. Une entreprise locale d’ustensiles de cuisine a annoncé qu’elle ferait don de plaques en céramique pour compenser les dégâts matériels.

Bientôt, d’autres entreprises et particuliers leur ont emboîté le pas : ils ont fait don d’argent, de biens et de services pour aider Fadi et Yara à se remettre sur pied.

Le soutien de la communauté a renforcé l’engagement des deux jeunes gens et Fadi a recommandé à Yara de ne pas abandonner : « Nous parlerons à nos enfants et à nos petits-enfants de toutes les souffrances et de tous les obstacles que nous avons dû surmonter pour rester ensemble. »

Source : Maha Hussaini, Middle East Eye
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation