Rallumer la flamme de l’engagement pour la Palestine

mercredi 6 avril 2022

Plusieurs personnalités françaises, surtout à gauche, continuent contre vents et marées de dénoncer la politique du gouvernement israélien. Et malgré les oukazes des pro-israéliens, l’engagement pour la Palestine est une valeur à la hausse. À l’occasion de la journée de la Terre en solidarité avec le peuple palestinien, nous publions le troisième volet de notre enquête sur les candidats à l’Élysée, Israël et la Palestine, et une lettre de Pierre Laurent à Emmanuel Macron.

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« Israël est le seul pays d’extrême droite ouvertement raciste qui est célébré comme une démocratie. C’est une réussite diplomatique certaine pour Israël, mais une réussite devenue discutable : les juifs américains s’éloignent à grande vitesse des pro-israéliens, les drapeaux israéliens et les collectes pour l’armée israélienne sont bannis des synagogues américaines, et c’est un sujet d’embarras pour un nombre croissant de juifs, y compris en France », explique Rony Brauman, natif de Jérusalem, ancien président de Médecins sans frontières, dont l’engagement pour la Palestine est ancien, constant et sans faille. La bataille électorale pour la présidentielle le laisse de marbre, car il sait bien que la Palestine ne sera pas un enjeu les 10 et 24 avril 2022.

Bien sûr, Brauman déplore « un sentiment général d’impuissance et de lassitude », pour reprendre les mots du député La République en Marche (LREM) Gwendal Rouillard, lui aussi engagé de longue date pour la cause palestinienne, non sans mal, dans les partis dont il a été membre : le Parti socialiste puis LREM. Rouillard, comme d’autres élus sortants de la « Macronie », ne se représente d’ailleurs pas.

Combien de fois ces derniers mois, enquêtant sur les politiques françaises et Israël-Palestine, j’ai entendu les mots : « Vos pauvres Palestiniens », « vos histoires de Palestine ». Malgré ces formules méprisantes, il est faux de dire, comme le font l’extrême droite, la droite, une partie de la Macronie, mais aussi de la gauche, que la cause palestinienne est « perdue », « ringarde », « morte » et que, comme me l’affirme un partisan du président sortant, « pour les jeunes Français, c’est un gigantesque "je ne sais pas", car la société israélienne en fascine beaucoup ». Rien n’est plus faux, même si publiquement, ce sont surtout quelques vétérans endurcis qui s’expriment sans ambages.

Une jeunesse mondiale sur la brêche

Certes, les combats pour la planète, contre les inégalités sociales, mobilisent avec ardeur une partie de la jeunesse mondiale. Mais les jeunes Américains ont défilé en masse pour la Palestine en mai 2021, avec des manifestations géantes à New York et Chicago. Sur la plupart des campus à travers les États-Unis, c’est une cause importante ; Sylvain Cypel s’en fait l’écho pertinent dans L’État d’Israël contre les Juifs. Toujours au printemps 2021, beaucoup de jeunes se sont aussi mobilisés en Espagne, au Royaume-Uni, en Irlande, et dans de nombreux autres pays, accompagnant le soulèvement de la jeunesse palestinienne. Dans ces pays, le combat du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) est considéré comme légitime, et reçoit le soutien d’associations estudiantines et syndicales. Un mouvement d’une ampleur mondiale, revival des combats anti-impérialistes et anticoloniaux des années 1970 voit le jour. Dans la foulée de Black Lives Matter et du printemps palestinien de 2021, des connexions s’établissent via les réseaux sociaux ; des rencontres par visioconférence entre jeunes Palestiniens et Américains se tiennent. Les uns comme pour les autres se parlent et s’épaulent.

Signe des temps, la mode chez les jeunes Palestiniens et Palestiniennes de Jérusalem ou de Nazareth est à la coiffure afro, à la Angela Davis, figure du mouvement des droits civiques depuis les années 1970.

La jeunesse mondiale est sur la brèche, sauf en France, même si le BDS attire dans notre pays pas mal de jeunes. Toute manifestation de solidarité est dénoncée comme antisémite, le président de la République persistant, il y a quelques jours encore en présence du président israélien Haïm Herzog, à affirmer que « l’antisémitisme et l’antisionisme sont les ennemis de notre République ». Son zélote ministre de l’intérieur, Gérard Darmanin, a donc interdit toute manifestation de solidarité en France au printemps 2021, arguant que des slogans antisémites avaient été lancés lors de manifestations en 2014 à Paris et à Sarcelles. C’est, hélas ! parfaitement exact, mais quelques imbéciles se trompant de combat ne font pas une cause.

Les drapeaux du voisin

Nos dirigeants, les candidats à cette élection présidentielle et aux législatives qui vont suivre devraient méditer cette histoire que me racontait fin mars 2022 un habitant palestinien rencontré à Nof Hagalil, banlieue majoritairement juive de Nazareth, capitale arabe musulmane et chrétienne de la Galilée :

Je n’ai rien contre les juifs, absolument rien, j’ai quelque chose contre l’État d’Israël. Mon voisin est juif, on partage une maison mitoyenne. Quand je me suis installé il y a quelques années, le jour de l’indépendance — fête nationale en Israël —, il avait décoré sa part de maison de dizaines de drapeaux. J’ai râlé, il a râlé. Mais le lendemain il n’y avait plus qu’un drapeau. Et depuis, on se parle et en saison on partage nos surplus de tomates, de courgettes. On se respecte.

Mon interlocuteur, catholique et fils de communistes, ajoute en souriant qu’il a « bien plus à voir » avec un juif mizrahim venu d’Irak, fût-il de droite, qu’avec un bourgeois ashkénaze venu d’Europe, fût-il de gauche. « D’abord, il n’habiterait pas ici »…

Le symbole d’une injustice

En France donc, il est entendu que la solidarité avec la Palestine est suspecte d’antisémitisme, et que de toute façon « les gens », pour parler comme Georges Marchais et Jean-Luc Mélenchon, seraient indifférents à ce sujet. Pourtant, ajoute Rouillard, « quand il y a des opérations militaires à Gaza, les Français se mobilisent. C’est le symbole d’une injustice pour les jeunes générations ». Un autre député sortant de la majorité, Bruno Joncour du Mouvement démocrate (Modem) fait le même constat : « Les Français sont assez sévères avec Israël, notamment sur la question palestinienne, parce qu’ils pensent que c’est une cause juste ». Et Lydia Samarbakhsh, la responsable internationale du Parti communiste français (PCF) ajoute :

Je ne crois pas à un prétendu revirement de l’opinion française. Certes, le gouvernement israélien et les colons ont des relais puissants en France, en invoquant en permanence l’antisémitisme contre la critique d’Israël.

Sur ce point précis, les sondages confirment le ressenti de mes interlocuteurs. Selon deux sondages Ipsos et Ifop réalisés ces dernières années, 83 % des Français pensent qu’« il est possible de critiquer Israël sans être antisémite ». Ils jugent aussi à 71 % qu’« Israël a une lourde responsabilité dans l’absence de négociations avec les Palestiniens » et ont pour 57 % d’entre eux une « mauvaise image » d’Israël, et même pour 69 % une « mauvaise image » du sionisme. Mais semblent confus à ce propos : 54 % des Français pensent que l’« antisionisme est une forme d’antisémitisme ». Mais ils ne savent pas très bien ce que veut dire ce mot. Ils sont 43 % à penser que l’antisionisme veut dire « disparition d’Israël », 19 % que c’est « critiquer la politique des gouvernements israéliens » et 38 % ne savent « pas vraiment ». Signe que le bourrage de crâne et la circulaire Alliot-Marie sur le boycott (jugé contraire au droit par la justice européenne) n’ont pas produit leurs effets, 26 % des Français estiment qu’il est « justifié » de boycotter Israël.

Soutien gazeux et discours schizophrénique