Rapport et recommandations sur les universités palestiniennes

mardi 28 juillet 2015

L’ASSOCIATION DES UNIVERSITAIRES POUR LE RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL EN PALESTINE ( AURDIP ) COMMUNIQUE :
LES UNIVERSITES PALESTINIENNES SOUS L’OCCUPATION

Ce rapport a été préparé par une délégation de 8 universitaires de 5 pays européens représentant la Plateforme européenne pour le boycott académique et culturel d’Israël (EPACBI), qui a visité sept universités et académies palestiniennes en avril 2015. La délégation remercie les nombreux membres du corps professoral et de l’administration de ces établissements qui ont rendu possible cette visite.

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Résumé des conclusions

La délégation n’a pas pu visiter tous les établissements d’enseignement supérieur de la Palestine, le blocus israélien l’a empêchée notamment de visiter les universités de Gaza. Cependant, elle a observé la même tendance dans toutes les universités qu’elle a visitées, et leur nature systémique laisse penser que cette tendance s’applique à chacune d’entre elles.

Cette tendance est une politique cohérente et multiforme d’ingérence israélienne dans le fonctionnement normal de la vie académique. Cette ingérence empêche la libre circulation du personnel et des étudiants ; réduit l’efficacité et la productivité des universités en usurpant le temps du personnel par des restrictions à la mobilité et des obstacles bureaucratiques imposés ; empêche des collaborations efficaces et un partage des ressources intellectuelles entre les universités palestiniennes ; restreint considérablement l’embauche de professeurs étrangers ; interrompt la fourniture en équipement, matériel et livres ; et soumet le personnel et les étudiants à des humiliations et des outrages répétés.

Rapport

I. Introduction

La Palestine mandataire est divisée politiquement en deux parties inégales : les territoires contrôlés directement par Israël, avec 7,5 millions d’habitants sur près de 90% du territoire, et les territoires sous occupation israélienne, mais nominalement administrés par l’Autorité nationale palestinienne (AP) en Cisjordanie et par le Hamas à Gaza, avec une population totale de 4,5 millions d’habitants sur 10% du territoire. [1] Le gouvernement israélien a 60 établissements et 9 universités [2], dont 4, les Israéliens sont fiers de le faire remarquer, figurent parmi les 300 meilleures au classement mondial QS des universités de l’année 2014-2015 (QS World University Rankings). Les universités israéliennes bénéficient de nombreux avantages. Certaines sont construites illégalement sur le territoire palestinien. Toutes contribuent directement ou indirectement aux forces militaires israéliennes qui maintiennent l’occupation illégale, en participant à la recherche et au développement, en fournissant des conseils spécialisés et en formant des recrues potentielles. [3] En échange, elles bénéficient des importantes subventions que les Etats-Unis versent à Israël. Cette année, les Etats-Unis ont versé 3,1 milliards de dollars (2,8 milliards d’euros) d’aide militaire directe à Israël : à peu près 55% du financement total des Etats-Unis pour les armées étrangères à travers le monde et l’équivalent de 20% de son budget d’aide internationale actuel. L’Europe est presque aussi généreuse. Plusieurs pays européens, dont la Grande-Bretagne, promeuvent activement les partenariats de recherche avec des universitaires israéliens. [4] Israël est aussi le seul pays non-européen auquel on a accordé l’adhésion virtuelle à l’Union Européenne qui donne aux universités israéliennes un accès direct aux fonds de recherche de plusieurs milliards d’euros et facilite les partenariats avec les chercheurs de l’espace européen. [5] Malgré l’adoption par Israël de politiques économiques néo-libérales au début des années 2000 et de politiques de réduction des dépenses publiques, les gouvernements successifs ont financé un développement rapide de son système d’enseignement supérieur. [6] Cela reflète une reconnaissance générale de la contribution des universités aux forces militaires et économiques du pays et également à l’image qu’il cherche à véhiculer de membre culturellement avancé du monde développé.

Derrière le mur de l’apartheid qui divise le pays, les universités palestiniennes souffrent de conditions qui pourraient difficilement être plus différentes de celles des universités israéliennes. La Cisjordanie et Gaza disposent ensemble de 14 universités, une université ouverte pour l’enseignement à distance, 18 collèges universitaires et 20 collèges communautaires. Le nombre d’étudiants actuel est de 214,000, dont en gros 54% sont des femmes et 46% des hommes. [7] Ces chiffres se comparent favorablement à ceux du secteur tertiaire israélien où pour une population plus nombreuse, les inscriptions avoisinent les 307,000 et où l’équilibre entre les sexes parmi les étudiants de premier cycle est de 56% de femmes et 44% d’hommes. [8] Le taux remarquablement élevé de participation dans les circonstances les plus difficiles reflète sans aucun doute l’importance que les Palestiniens accordent à leurs universités (et plus généralement à l’enseignement officiel) pour renforcer à la fois leur économie et leur identité nationale.

Mais les universités palestiniennes luttent pour remplir leur rôle sans disposer d’aucun des avantages des universités israéliennes. La difficulté la plus manifeste est le manque dramatique et chronique de financement. En 2011-12, le gouvernement israélien a investi 1.9 milliard d’euros dans l’enseignement supérieur, un niveau qui a augmenté ces dernières années. [9] En 2014-15, l’Autorité Palestinienne a fourni seulement 1.8 million d’euros aux 12 universités publiques ou d’état en Cisjordanie. (L’information sur le soutien des universités à Gaza n’est pas accessible, mais il suffit de noter qu’au moment où ce rapport est écrit, les personnels de la fonction publique n’ont pas reçu leurs salaires depuis plusieurs mois [10]). Cette dotation de misère n’est que légèrement supplémentée par l’aide fournie par des sources extérieures. La Banque Mondiale estime l’aide totale à la Palestine en 2012 à un peu plus de 1.8 milliard d’euros, mais d’autres organisations situent le montant plus bas. De toutes façons, la plupart de ces financements étaient destinés à l’assistance humanitaire et à la réparation des dégâts subis par Gaza après l’attaque d’Israël en 2008-09. Une très faible partie a atteint les universités palestiniennes.

En plus du sous-financement chronique, les universités font face à la même politique malveillante que les gouvernements israéliens font subir à la Cisjordanie et à Gaza en général, de dé-développement, démoralisation et dépopulation. [11] Une illustration manifeste de cette politique a été fournie par les attaques d’Israël contre Gaza en 2008-09 (opération ’Plomb durci’) et à l’été 2014 (opération ’Bordure Protectrice’). Selon une enquête de l’ONU, la première de ces attaques a laissé 220 écoles maternelles et écoles partiellement ou totalement détruites ; l’Université Islamique a été délibérément prise pour cible et d’autres universités ont également été endommagées. [12] Des rapports préliminaires indiquent que la seconde attaque a détruit encore 22 écoles sur un stock déjà bien réduit. [13]

Bien moins connue est la forme de subversion qui caractérise la politique d’Israël vis-à-vis des universités palestiniennes en Cisjordanie occupée. Beaucoup d’universités ont été créées après l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 comme un moyen de résister aux efforts soutenus d’Israël pour détruire la culture et l’identité nationale palestiniennes. Après la première Intifada débutée en décembre 1987, les forces israéliennes ont fermé toutes les universités palestiniennes pendant quatre ans. La signature des accord d’Oslo en 1993 a soulevé l’espoir qu’il leur serait permis de nouveau de fonctionner correctement. Mais ces accords se sont révélés être des chimères aussi bien pour les universités que pour la société palestinienne en général. Ce présent rapport énumère brièvement les moyens utilisés par Israël pour faire obstacle et subvertir le fonctionnement des universités, ainsi que les conséquences de ces politiques et pratiques sur l’enseignement supérieur en Palestine.

II. L’obstruction et la subversion israéliennes de l’enseignement supérieur palestinien

1. Les obstacles à la mobilité à l’intérieur des Territoires palestiniens occupés (TPO)

Les distances entre les villes dans les TPO devraient permettre de voyager en autocar de Jérusalem à chacune des 14 universités palestiniennes en moins de trois heures et pour la plupart en moins d’une heure de temps. Concrètement, cependant, c’est tout à fait différent. Les autorités d’occupation israéliennes impose un blocus de Gaza depuis 2007 et bloquent notamment la circulation des professeurs et des étudiants entre Gaza et la Cisjordanie.

A l’intérieur de la Cisjordanie occupée, la circulation est possible mais totalement imprévisible, du fait d’une politique israélienne délibérée. Aux postes de contrôle permanents établis entre les principales villes, les voyageurs palestiniens doivent généralement descendre de l’autocar et attendre une autorisation de sécurité dont l’obtention peut prendre seulement 15 minutes mais bien souvent elle prend une demi-heure et parfois plus longtemps. Aussi le voyage est fréquemment interrompu de nouveau par des postes de contrôle temporaires et par des barrages non gardés ou juste pour le confort des colons israéliens. Ainsi, en une seule semaine en avril, plus de cinquante villages palestiniens ont été bouclés par les forces de sécurité israéliennes. De plus, la circulation entre Ramallah, la capitale administrative des TPO et Naplouse, où se situe An-Najah, la plus grande université de Cisjordanie, a été interrompue presque toute une journée pour permettre à un marathon pour des résidents de colonies illégales d’avoir lieu. Et dans un autre cas, la circulation à l’entrée et à la sortie de Naplouse a été interrompue pour permettre à des colons de visiter le site du tombeau de Joseph. Paradoxalement, la plupart des transports publics de la Cisjordanie occupée sont suspendus pendant les jours fériés israéliens.

En plus de l’aspect imprédictible du déplacement, les Palestiniens doivent s’attendre à un traitement humiliant aux checkpoints. Le Président de l’Université de Bethléem a rapporté la réponse d’un étudiant de 4ème année à la question “Quelle est l’impression la plus forte que vous retiendrez des années que vous avez passées ici ?” en ces termes : “l’anxiété quotidienne ressentie au checkpoint et l’inquiétude devant ce qu’il pourrait se passer. Me laissera-t-on passer ? Les soldats vont-ils monter dans le bus ? Me demandera-t-on de descendre du bus ? Devrai-je me tenir debout pendant des heures sous le soleil ? Serai-je interrogé ? Serai-je fouillé à corps ?”

Les conséquences de ces obstacles pour les universités palestiniennes peuvent difficilement être exagérées. Tout d’abord, les membres de la faculté, les étudiants et le personnel administratif qui composent la communauté de l’université doivent prévoir plusieurs heures pour effectuer le plus petit trajet. Étant donné que les checkpoints israéliens ferment tôt le soir, imposant ainsi de fait un couvre-feu dans les territoires palestiniens occupés (TPO), le trajet de retour doit commencer bien avant l’heure limite. La conséquence pour la plupart des universités palestiniennes en est que la journée ne peut commencer avant 9 ou 10h et doit s’achever à 17h voire à 16h. Si l’on compare cela avec les universités européennes où la vie du campus commence en général avant 9h et s’étend tard dans la soirée, cela constitue une perte d’au moins 20% d’une journée de travail.

Deuxièmement, les obstacles empêchant le déplacement imposent des dépenses supplémentaires importantes aux membres de la faculté et de l’administration, et surtout aux étudiants. La seule garantie d’arriver en classe à l’heure est d’acheter ou de louer un logement à côté de l’université, afin d’éviter les incertitudes liées au déplacement délibéremment imposées. Il s’agit là d’une taxe effective sur de nombreux étudiants dont les domiciles familiaux se situent à quelques kilomètres mais qui n’osent pas prendre de risques face aux aléas de ce qui, dans d’autres contextes, serait un court trajet quotidien.

Troisièmement, les obstacles empêchant le déplacement découragent toute collaboration au niveau des activités entre les universités. Il y a un certain temps, les universités ont voulu partager leur expertise à travers les visites et les échanges universitaires. Mais un universitaire visitant une université voisine qui devrait se trouvait à seulement une demi-heure de route pour donner un cours d’une heure, doit prévoir toute une journée pour effectuer le trajet aller-retour. Par conséquent, les visites ou échanges de ce genre sont maintenant rares. Cela a pour effet d’isoler les universités les unes des autres et de diminuer la qualité de la vie universitaire.

Quatrièmement, le temps et le coût supplémentaires induits par les obstacles empêchant le déplacement et le traitement abusif fréquemment reçu aux mains de la police des frontières israélienne ont découragé les étudiants de Cisjordanie de fréquenter des universités se situant en dehors de leur villes ou de leur régions. Il est dès lors d’autant plus difficile pour les universités de devenir des centres d’excellence ou de jouer un rôle d’intégration dans la société palestinienne. A la place de cela, chaque université doit proposer tout l’enseignement de base et limiter ainsi ses ambitions à sa seule localité.

2. Obstacles empêchant le déplacement à l’intérieur et à l’extérieur des Territoires Palestiniens Occupés (TPO)

Afin que les universités puissent effectivement fonctionner, les membres de la faculté doivent être libres de voyager à l’étranger pour assister à des conférences, effectuer de la recherche, actualiser leurs qualifications, et garder le contact avec les intellectuels du monde. Pour assurer la circulation de la connaissance, ils doivent aussi pouvoir recevoir des visites d’intellectuels et d’universitaires étrangers, et permettre à leurs étudiants de prendre part à des échanges. Les universités palestiniennes rapportent qu’Israël empêche systématiquement toutes les activités de ce genre.

Les membres de la faculté, de l’administration et les étudiants palestiniens, à l’exception de la petite minorité possédant des permis de résidence à Jérusalem, ne disposent que d’un seul point de sortie et d’entrée du territoire : le pont d’Allenby qui relie la Palestine à la Jordanie. En raison du statut légal ambigu de la Palestine, les Palestiniens ont souvent besoin d’un visa pour visiter les pays étrangers. Mais l’obtention d’un visa est problématique, parce que les bureaux qui les délivrent se situent souvent en Israël et que la plupart des Palestiniens ont besoin d’un permis spécial pour s’y rendre. En plus de la difficulté d’obtenir des visas et des obstacles internes empêchant le déplacement décrits dans la section précédente, les universitaires palestiniens nous ont dit à plusieurs reprises qu’ils étaient fréquemment retenus au Pont d’Allenby pour de longues durées de 8h. Les refus d’autoriser la sortie de territoire, sans jamais donner d’explication, sont légion. Pour d’autres personnes ayant l’intention de voyager, l’autorisation de sortie peut être délivrée à la condition de signer un document stipulant qu’ils ne reviendront pas pour une durée pouvant aller jusqu’à 5 ans : un ordre de déportation en somme.

De nombreux obstacles sont placés sur la route des universitaires (souvent, il ne s’agit pas exclusivement de membres de la diaspora palestinienne, y compris ceux qui viennent des États-Unis et du Canada) invités à travailler dans les universités palestiniennes. Le statut de résident ne leur sera pas accordé, et quiconque affirme lors de son arrivée en Israël qu’il est là pour prendre un poste dans une université palestinienne se verra refuser l’entrée. L’unique possibilité pour entrer est de se faire passer pour un touriste, séjour qui est habituellement limité à 3 mois. La nécessité de cacher leur statut dans les TPO les rend constamment sujets à l’expulsion, et la limite de 3 mois a d’autres conséquences sur leur capacité à contribuer à la vie universitaire, particulièrement pour ce qui est des cours magistraux. Le président d’une université palestinienne auquel on a refusé le statut de résident rapporte qu’il dispose d’un visa à entrées multiples pour les TPO délivré par Israël, mais qu’au pont d’Allenby les représentants d’Israël affirment régulièrement que son visa est expiré, menaçant de le renvoyer chez lui et lui faisant subir une attente variant entre une demi-heure et une demi-journée.

Les conséquences pour les universités palestiniennes de ces obstacles empêchant les voyages internationaux sont comparables à celles des obstacles internes au déplacement. Tout d’abord, le temps supplémentaire nécessaire est vraiment considérable. Les membres de la faculté souhaitant assister même à un bref événement à l’étranger doivent prévoir un jour supplémentaire pour être sûrs d’arriver à destination, et un jour supplémentaire pour revenir chez eux. Deuxièmement, cela induit des dépenses supplémentaires importantes, ne serait-ce que parce que la probabilité qu’il y ait de l’attente, voire des refus, signifie que les billets d’avion ne peuvent être réservés en avance. Troisièmement, cela enlève l’envie de voyager, isolant ainsi les membres de la faculté, de l’administration et les étudiants de la communauté internationale et les rendant moins aptes à effectuer de la recherche. Quatrièmement, cela grève sérieusement le moral.

3. Entraves israéliennes à l’entrée de visiteurs étrangers dans les universités palestiniennes

Les entraves déjà décrites s’adressent à tous les visiteurs universitaires étrangers, pas seulement à ceux qui souhaitent travailler dans les universités palestiniennes, mais aussi aux étudiants. Ceux qui ont l’intention d’entrer sont fréquemment retenus ou interdits par les autorités israéliennes. Par exemple, en 2014, les autorités israéliennes ont refusé à cinq de ses 75 participants étrangers l’autorisation d’assister à la première conférence mondiale des universitaires palestiniens à l’université An-Najah, et n’ont accordé l’autorisation à trois ou quatre autres, dont des orateurs essentiels, que le dernier jour de la conférence, trop tard pour être de quelque intérêt que ce soit. L’université d’Al-Qods raconte qu’un professeur de droit de l’université de Harvard, qui souhaitait récemment leur rendre visite, a subi un interrogatoire de quatorze heures à l’aéroport Ben Gourion (Tel Aviv) avant d’être autorisé à poursuivre son voyage. L’université de Birzeit raconte qu’en avril 2015, l’autorisation d’entrer à l’université a été refusée au ministre de l’Enseignement Supérieur d’Afrique du Sud, Blade Nzimande, et à trois autres éminents universitaires sud-africains.

Les universitaires étrangers invités à assurer un cours d’un semestre et les étudiants étrangers qui souhaitent suivre des cours pendant un semestre dans n’importe quelle université palestinienne se voient régulièrement accorder un visa de tourisme de trois mois seulement. Les universités palestiniennes, comme la plupart des universités européennes, fonctionnent sur la base de cycles de quatre mois. Les visas ne permettent donc pas aux visiteurs de séjourner un cycle entier. Et les demandes de renouvellement de visas ressemblent à une loterie, ce qui fait que l’organisation des cours peut se retrouver complètement bouleversée au dernier moment par des décisions bureaucratiques opaques et absurdes. Les universités expliquent que beaucoup d’universitaires et d’étudiants étrangers renoncent à essayer de leur rendre visite à cause des obstacles mis sur leur chemin.

Les conséquences de ces entraves sont évidentes. Tout d’abord, les administrateurs des universités palestiniennes sont confrontés à des problèmes logistiques incessants lorsqu’ils s’efforcent d’assurer le passage de visiteurs à travers les barrages israéliens. Selon un administrateur principal de l’Université d’Al-Quods, 30% de son temps de travail est dévolu à des problèmes de ce genre. Deuxièmement, l’enseignement et l’apprentissage sont interrompus par des départs prématurés ou déstabilisés par l’impossibilité pour les universitaires ou les étudiants d’atteindre le campus. Troisièmement, les universités sont isolées de la communauté internationale et quatrièmement, ces difficultés sont frustrantes et démoralisantes pour la faculté et pour les étudiants.

4. Obstacles à l’importation de livres, d’équipements et de matériel

Les obstacles à la circulation des personnes sont la cause la plus commune de plaintes dans les universités palestiniennes. Mais à peine moins frustrants sont les obstacles mis par Israël sur la possibilité d’importer des livres, des équipements et du matériel. Certains types de machines et de fournitures, surtout les équipements électroniques et les produits chimiques, sont absolument interdits par Israël qui déclare qu’on pourrait s’en servir à des fins terroristes. Mais les autorités israéliennes retiennent régulièrement pratiquement tous les types de machines et de fournitures pendant des semaines, des mois ou même des années avant d’autoriser leur livraison aux universités. Ce fut la source de difficultés, plus spécialement pour la recherche et l’enseignement des sciences pures et appliquées. La délégation a été alertée sur des cas d’universitaires qui avaient reçu une bourse d’un an pour entreprendre un projet de recherche et qui ont été incapables de le mener à bien parce que le matériel nécessaire n’était pas arrivé pendant leurs douze mois de présence. Mais le problème ne concerne pas que les disciplines universitaires. Le directeur d’une Académie des Beaux Arts s’est plaint de sérieux retards dans l’importation d’oeuvres et de livres d’art.

5. Arrestation arbitraire et détention d’universitaires palestiniens

Le 6 décembre 2014, Imad al-Barghouti, professeur d’astrophysique à l’université d’Al-Quods, essayait de partir à un congrès de l’Association Arabe d’Astronomie et de Sciences Spatiales à l’université de Sharjah, dans les Emirats Arabes Unis, lorsqu’il a été arrêté au checkpoint vers la Jordanie et placé en détention administrative sans accusation ni procès. Il ne fut relâché qu’environ sept semaines plus tard, après que l’annonce de sa détention ait été diffusée dans la communauté scientifique internationale. En octobre 2014, Israël retenait plus de 470 Palestiniens en détention administrative, terminologie bureaucratique qui signifie un emprisonnement sans jugement ni formulation des motifs de la détention. Selon B’Tselem, Centre d’Information Israélien pour les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupés, Israël viole la législation internationale par son utilisation grossièrement excessive de la détention administrative. Les administrateurs des universités palestiniennes estiment que, parmi les presque 500 détenus, 40 étaient des universitaires de Cisjordanie et 60 de Gaza.

Les conséquences de cette pratique sont évidentes. Mais ce ne sont pas que les facultés qui sont visées : des étudiants sont eux aussi fréquemment détenus sans charge ni procès. En réalité, c’est si courant que plusieurs universités ont organisé des programmes spéciaux pour l’éducation des étudiants emprisonnés.

6. Le cas particulier de l’Université Al-Qods

L’Université Al-Qods fonctionne sur cinq campus dont trois sont situés dans ou à proximité de la ville de Jérusalem du côté israélien du mur de l’apartheid et dont deux, notamment le campus principal, sont en zone B, du côté palestinien. L’Université est ainsi exposée à des pressions exceptionnellement fortes de la part d’Israël qui prétend que Jérusalem est sa capitale et prend n’importe quel prétexte pour expulser des habitants palestiniens. Ne fût-ce qu’en raison des difficultés auxquelles est confrontée la population palestinienne de Jérusalem (nom arabe : Al-Qods), l’Université cherche à maintenir et à étendre son rôle public dans la Vieille ville. Israël répond de façon très hostile : refus de reconnaître le statut non lucratif des opérations de l’Université à Jérusalem et poursuites judiciaires répétées de l’Université au motif d’activités éducatives non autorisées dans la Cité. Au Printemps 2015, Israël a réclamé 24 millions de NIS (5,7 millions d’euros) et saisi des biens de l’Université à Jérusalem, dont le bureau du président et ce qui s’y trouvait. Israël a également refusé de reconnaître les diplômes délivrés par l’Université. Les enseignants titulaires d’un diplôme de premier cycle de l’Université Al-Qods et d’un statut de résident en Israël sont payés comme des enseignants simplement bacheliers. Des médecins diplômés d’Al-Qods n’ont pas été autorisés à pratiquer du côté israélien du mur de l’apartheid. Une décision récente de la Cour Suprême a permis aux diplômés d’études de médecine d’Al-Qods de se présenter à l’examen d’accès à la profession de cette année. Mais rien ne dit que la décision de justice sera considérée comme un précédent dans les années à venir.

Le principal campus d’Al-Qods est à Abou Dis, à la sortie de Jérusalem et bien visible depuis la ville. Pour autant, bon nombre d’usagers de l’Université n’ont pas le statut de résident et la cité leur reste hors d’atteinte. Le Président de l’Université, le Dr Imad Abou Kishek n’a pas le droit de se rendre à Jérusalem ni en Israël. L’action d’Israël ne se limite pas à une obstruction bureaucratique. Une caméra placée haut au-dessus du mur de l’apartheid, à peine à cent mètres de la porte principale, surveille en permanence le campus d’Abou Dis. Des unités de l’armée en limitent l’accès régulièrement en installant un checkpoint juste devant la porte principale, ce qu’elles semblent faire encore plus fréquemment pendant les périodes d‘examens. Elles ne s’arrêtent pas non plus à la porte. Rien qu’en 2013, des unités de l’armée ont envahi le campus pas moins de 26 fois, blessant presque 1800 étudiants et enseignants. Des traces de balles qui se sont répandues sur la porte en verre à l’entrée de la faculté de médecine sont des signes évidents de l’incursion du printemps 2015. Les forces israéliennes ont récemment détruit la maison familiale proche du directeur du département de musique d’Al-Qods pour des raisons qui restent obscures.

L’un des éléments les plus réputés de l’Université Al-Qods est son Institut d’archéologie. Celui-ci est en expansion, alors que d’autres universités réduisent leurs départements d’archéologie. Il supervise actuellement des fouilles dans trois sites, à Ramallah, Beit Sahour et Sebast près de Naplouse. Israël a néanmoins refusé un permis de fouilles dans la zone C des Territoires Occupés où sont situés 60% des sites archéologiques de Cisjordanie. Des archéologues israéliens ont réalisé ou supervisé des fouilles dans 1 200 des 8 000 sites environ et autres éléments identifiés en Cisjordanie sans permettre aux Palestiniens l’accès à ces sites ni aux éléments découverts. Les membres de l’Institut ne sont pas en capacité d’enseigner l’archéologie de Jérusalem puisque ni eux ni leurs étudiants n’ont le droit de visiter la cité. Ils ont aussi des doutes sur la probité de l’activité archéologique israélienne, dont l’essentiel semble orienté par le désir de trouver des preuves des revendications bibliques sur l’ancienne civilisation juive. Leur exclusion systématique des sites des Territoires Occupés (sans parler d’Israël 48), fait soupçonner que des éléments trouvés puissent être transportés d’un site à un autre pour renforcer les revendications historiques juives sur le territoire et que les preuves d’autres civilisations soient détruites.

7. L’impact du blocus de Gaza sur les universités palestiniennes

Jusqu’à la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en juin 2007, plusieurs milliers d’étudiants de Gaza fréquentaient les universités de Cisjordanie. La blocus de Gaza par Israël qui s’est ensuivi a porté un coup d’arrêt immédiat à pratiquement toute la mobilité étudiante vers Gaza ou vers l’extérieur de Gaza. Cela a été particulièrement fâcheux pour plusieurs catégories d’étudiants. Les étudiants de Gaza qui avaient commencé leurs études en Cisjordanie et qui se trouvaient à Gaza lorsque le blocus a été imposé n’ont pas pu retourner finir leur cycle d’études ; d’autres se trouvant en Cisjordanie n’ont pu rentrer chez eux, car ils couraient le risque de ne plus pouvoir sortir. Les étudiants en médecine inscrits à l’antenne de Gaza d’Al-Qods doivent finir leurs études à Abou Dis, mais depuis 2007, ils n’ont pas été en mesure de le faire. Israël justifie ses huit années de blocus pour des raisons de sécurité. Mais il ne peut y avoir de justification à refuser en bloc aux étudiants et enseignants de Gaza, la permission d’étudier ou d’enseigner en Cisjordanie. C’est un déni de leurs droits humains, fortement nuisible au bien-être de Gaza et qui affaiblit toutes les universités de Palestine.

Recommandations

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Les recommandations suivantes s’adressent aux universitaires et autres personnes concernées : les institutions académiques et les syndicats, les organisations de défense des droits de l’Homme et autres organisations non gouvernementales, et bien sûr à la société civile de façon générale, en Europe et au-delà.

Recommandation 1 : Aider les universités de Palestine en promouvant des échanges, du partenariat et des visites

Les universités palestiniennes sont extrêmement isolées et lancent constamment des appels à l’aide pour permettre aux enseignants de voyager et de collaborer avec leurs homologues à l’étranger, aux étudiants d’étudier à l’étranger, de recevoir des professeurs en résidence et d’organiser des échanges pour les étudiants. Des actions de ce type, ne dissuaderont malheureusement pas Israël de poursuivre et intensifier sa politique de blocus académique. Aussi, d’autres niveaux d’action sont nécessaires.

Recommandation 2 : Faire pression sur les gouvernements européens et sur la Commission européenne

Ces entités doivent accepter leur part de responsabilité dans la situation lamentable observée par la délégation, et prendre des mesures pour redresser des décennies de discrimination. Depuis des années, l’UE et des pays européens traitent Israël comme un partenaire privilégié, tout en ne faisant presque rien pour aider la Palestine. Il conviendrait de mettre fin à la pratique de délivrance limitée de visas aux visiteurs palestiniens des universités et, lorsque c’est approprié, à leurs familles. Les gouvernements devraient faire une priorité de la mise à disposition de fonds généreux pour le soutien à des partenariats et à des échanges d’enseignants et d’étudiants avec la Palestine.

Recommandation 3 : exercer une pression directe sur Israël en soutenant le boycott académique des universités israéliennes

Il est regrettable, et l’histoire récente le confirme, que, de façon générale, les gouvernements occidentaux agissent face à un enjeu important au plan de l’éthique uniquement lorsque la société civile se mobilise pour son soutien. Mettre fin à la politique d’apartheid en Afrique du Sud a été un de ces enjeux, sur lequel les gouvernements ont suivi avec retard. Les 48 ans d’occupation illégale par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, comme la mise en coupe réglée des universités sont un enjeu similaire, même s’il n’est pas identique. Ainsi que les administrateurs et les enseignants des universités ne cessent de le souligner, les universités israéliennes ont largement bénéficié de la générosité des gouvernements occidentaux, sans faire le moindre effort pour soutenir leurs homologues palestiniens ou pour leur témoigner de la solidarité. La seule tentative organisée pour encourager la solidarité des universitaires israéliens avec leurs homologues palestiniens a été un fiasco. En mars 2008, un groupe d’universitaires israéliens connus a fait circuler une pétition de soutien au principe d’un accès non entravé à l’enseignement supérieur pour les Palestiniens des territoires occupés, dont le texte est le suivant :

« Nous, membres actuels et anciens du corps enseignant des universités israéliennes, exprimons notre grande préoccupation sur la détérioration du système d’enseignement supérieur en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Nous protestons contre la politique de notre gouvernement qui crée des limites à la liberté de circulation, à l’étude et à l’instruction, et nous en appelons au gouvernement pour qu’il permette aux étudiants et aux chargés de cours un libre accès à tous les campus des Territoires et qu’il permette aux chargés de cours et aux étudiants détenteurs de passeports étrangers d’enseigner et d’étudier sans être menacés de se voir retirer leurs visas de résidence. Laisser la situation en l’état portera gravement atteinte à la liberté de mouvement, à l’étude et à l’instruction – atteinte au fondement de la liberté académique à laquelle nous sommes attachés. »

Sur les quelque 8 500 universitaires jeunes et chevronnés ayant reçu le mail les invitant à signer la pétition, 407 au total – soit moins de 5% - ont accepté de signer. Il semble qu’encore moins d’universitaires signeraient une telle pétition aujourd’hui.

Le boycott appelle ceux qui le soutiennent à refuser la collaboration avec les universités israéliennes, qu’il s’agisse de chargés de cours invités, de chercheurs, d’examinateurs ou de juges (referees). Cela ne vise pas des universitaires ou chercheurs israéliens individuels dont la liberté de se déplacer, de faire des conférences ou de collaborer à des recherches n’est pas affectée. Le dialogue ou la liberté de parole n’en sont donc pas gênés. [14]

En conclusion

Les Israéliens sont démesurément fiers de leurs universités pour la qualité du travail en science et en technologie, leurs prix Nobel et leur classement. Mais les Israéliens ne peuvent jouer sur les deux tableaux : revendiquer l’appartenance au monde démocratique tout en menant une politique violente de nettoyage ethnique et de sape de l’enseignement supérieur palestinien. Les auteurs de ce rapport sont convaincus que le boycott académique est le moyen non violent le plus efficace pour que la société civile occidentale mette les Israéliens devant la nécessité de choisir.

Pour en savoir plus sur le boycott académique, contactez les organisations nationales affiliées à EPACBI

The British Committee for the Universities of Palestine (BRICUP)

Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine, France (AURDIP)
http://www.aurdip.fr/

Akademisk og Kulturell Boikott av Staten Israel, Norway (AKULBI)

Academic and Cultural Boycott of Israel, Sweden (PSABI)

Belgian Academic and Cultural Boycott of Israel (BACBI)

BDS academico por Palestina (bdspbai[at]gmail.com)

[1] Les territoires contrôlés directement par Israël comprennent Jérusalem-Est, la zone C des Territoires palestiniens occupés et d’autres territoires colonisés illégalement en Cisjordanie ainsi qu’Israël de 1948, mais exclut le Plateau du Golan, pris illégalement à la Syrie. Source : Israel Central Bureau of Statistics.

[2] En plus des 8 universités recensées par des sites internet israéliens officiels anglophones, Ariel College, situé dans une colonie illégale, a été élevé au statut d’université en décembre 2012.

[3] Uri Yacobi Keller, “Boycott académique d’Israël et la complicité des institutions universitaires israéliennes dans l’occupation des territoires palestiniens”, Alternative Information Center, N° 23-24, October 2009

[4] La plus importante initiative britannique est the Britain Israel Research and Academic Exchange Partnership (BIRAX), co-gérée par le British Council.

[5] A propos de l’adhésion virtuelle d’Israël à l’UE, voir David Cronin L’Alliance de l’Europe avec Israël : son concours à l’occupation, Ed. La Guillotine, décembre 2012

[6] Ministère des Affaires étrangères d’Israël, Higher education in Israel – selected data, 28 novembre 2012.

[7] Voir le site du Ministère palestinien d’enseignement et d’enseignement supérieur, Sur l’équilibre des sexes, voir le rapport de RASIT.

[8] Israel Ministry of Foreign Affairs, Higher Education in Israel – selected data 2010/11.

[9] Commission Européenne “Higher Education in Israel - EACEA - Europa” (2013).

[10] The New York Times International Weekly, 14 June 2015, p.3

[11] Sur la politique israélienne de dé-développement, voir Robert Wade, ‘Organised Hypocrisy on a Monumental Scale’, LRB Online, 24 octobre 2014.

[12] Assemblée générale, Distr. GÉNÉRALE A/HRC/12/48 25 septembre 2009, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés. Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza.

[13] Dan Cohen, ‘In the last days of ‘Operation Protective Edge’ Israel focused on its final goal — the destruction of Gaza’s professional class’ (Dans les derniers jours de « l’opération Frontière protectrice » Israël s’est concentré sur son objectif final – la destruction des professions libérales à Gaza’) Mondoweiss, 13 octobre 2014. Selon l’International Middle East Monitoring Center, l’attaque a laissé 277 écoles , soit environ 70% de l’équipement éducatif, endommagé ou détruit.

[14] Voir : Les directives du PACBI pour le boycott académique international d’Israël (révisées en juillet 2014).