Retenir les dépouilles des Palestiniens tués est une pratique barbare et cruelle

lundi 21 septembre 2020

« Retenir sa dépouille est une autre souffrance » : une famille palestinienne se bat pour récupérer le corps de leur fils.

Mohammad Hreiz, 16 ans, a été tué par les forces israéliennes d’occupation dans des circonstances mal connues le mois dernier – et sa famille se bat maintenant pour pouvoir procéder à ses funérailles. Mohammad Hreiz, du village de Deir Abu Meshaal, dans le centre de la Cisjordanie occupée, a succombé à ses blessures le 20 août, un jour après que les forces israéliennes ont ouvert le feu sur lui et deux de ses amis.

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Les forces israéliennes prétendent que Mohammad – qui a été initialement identifié comme Mohammad Matar – et ses amis avaient posé des pneus sur le sol afin de les faire brûler.

Cependant, un rapport des Nations Unies a cité des témoins palestiniens qui ont déclaré qu’il n’y avait aucun affrontement ni pneus en train de brûler à ce moment-là.

Mohammad a été gravement blessé lors de l’incident, et enlevé par les soldats israéliens, tandis que ses amis ont réussi à s’échapper après avoir eu des blessures légères ou modérées. Selon sa famille, Mohammad a succombé à ses blessures seul, sans ses parents à ses côtés.

Encore sous le choc de la perte de leur enfant, la famille Hreiz doit maintenant faire face à la douleur supplémentaire de savoir que son corps repose maintenant dans une chambre mortuaire israélienne, et pourrait y rester indéfiniment après que les autorités israéliennes ont reconduit cette semaine leur politique de confiscation des corps.

C’est votre fils ?
« Il n’avait pas l’habitude de rester dehors tard », dit la mère de Mohammad, Nasra Hamdan, à Middle East Eye.

Le 19 août, elle avait vu que son fils n’était toujours pas rentré à la maison.
« J’ai commencé à le chercher et à m’enquérir de lui. J’ai pensé qu’il jouait avec ses amis, avant que nous recevions la nouvelle qu’il avait été blessé par des tirs israéliens », nous raconte-t-elle.
La nuit où Mohammad a été abattu, un officier israélien chargé du renseignement dans les villages à l’ouest de Ramallah – connu sous le nom de capitaine Omari – a écrit sur Facebook un message de inquiétant et menaçant : « Ceux qui jouent avec des chats doivent s’attendre à être griffés. ». Malgré la crainte qu’il ait pu être tué, la famille Hreiz avait toujours l’espoir qu’il serait vivant aux mains des Israéliens. Mais ils disent avoir été informés de sa mort de manière brutale.

« L’armée [israélienne] m’a appelé et m’a demandé de venir au point de contrôle de Nilin pour confirmer l’identité de Mohammad », a déclaré son père, Daher Hreiz, à MEE. Le soldat a froidement tourné l’écran de son ordinateur et m’a montré Mohammad mort, puis m’a demandé : « Est-ce votre fils Mohammad ?
« Puis il m’a demandé de partir. »
« Je le contemplais souvent durant son sommeil »

Mohammad est l’un d’un fratrie de cinq frères et sœurs. La famille l’évoque comme un enfant calme qui aimait jouer, mais qui travaillait aussi avec son père dans la construction pour aider à subvenir aux besoins de sa famille.

Hamdan nous dit avoir souvent eu de temps à autre des pensées effrayantes que son fils pourrait finir par être tué par les forces israéliennes comme d’innombrables autres garçons palestiniens.

Je le contemplais souvent durant son sommeil et je me disais : « Mohammad ressemble aux martyrs que l’on voit à la télévision », mais je rejetais cette idée et je priais pour ne pas le perdre », dit-elle. « J’avais peur qu’ils le fasse prisonnier, mais je ne m’attendais pas à le perdre ».

Les amis de Mohammad ont dit qu’ils continueraient à visiter la maison de sa famille jusqu’à ce que son corps soit rendu à sa famille.

« Nous étions ensemble la veille de son départ », a raconté Salem Zahran à MEE. « Il nous a dit qu’il reviendrait nous retrouver dans la soirée … Nous l’avons attendu, mais il n’est jamais revenu. »
PNG - 470.9 ko Photo : MEE/Shatah Hammad - Daher Hreiz, le père de Mohammad, est entouré des amis de son fils – Photo : MEE/Shatah Hammad

Des dizaines de corps dans les morgues israéliennes

Deux semaines plus tard, la famille de Mohammad est toujours dans l’impossibilité de voir ou de prendre son corps. Israël conserve les corps des Palestiniens tués par les forces d’occupation comme une mesure punitive qu’il considère comme un moyen de dissuasion contre les attaques, et qu’il pourrait utiliser comme levier dans d’éventuelles négociations.

Alors que la confiscation des restes avait été limitée ces dernières années aux Palestiniens dont on pensait qu’ils appartenaient au mouvement Hamas, suite à une décision du cabinet de sécurité israélien mercredi, les corps de tous les Palestiniens tués et accusés d’avoir pris part à des attaques contre des Israéliens sont maintenant retenus – indépendamment de leur affiliation politique ou du fait que l’attaque présumée ait fait ou non des victimes israéliennes.

« Le refus de rendre les corps des [prétendus] terroristes fait partie de notre engagement à maintenir la sécurité des citoyens israéliens et, bien sûr, à ramener [les soldats morts ou disparus] à la maison. J’espère que notre ennemi comprend et intériorise bien le message », a déclaré le ministre israélien de la défense Bennett en justifiant cette décision.

Cette politique est contraire au droit international, la Convention de Genève stipulant que les parties dans un conflit armé doivent enterrer honorablement leurs morts respectifs.

Alors que la confiscation des corps se poursuit depuis 1967, Israël a intensifié sa politique depuis une vague de révoltes en 2015. Les corps des dizaines de Palestiniens tués au cours des cinq dernières années sont actuellement conservés dans les morgues israéliennes. Selon le Comité des affaires des prisonniers et des anciens prisonniers de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), 250 autres corps de Palestiniens sont conservés dans des tombes mal entretenues dans les soi-disant « cimetières des nombres » d’Israël.

Les autorités israéliennes ont demandé l’accord de la famille Hreiz pour procéder à une autopsie, mais celle-ci a refusé. Entouré des amis de son fils, qui portaient des chemises arborant le portrait de Mohammad, Daher Hreiz a déclaré qu’il ne faisait pas confiance aux autorités israéliennes.

« Mohammad a été tué par les balles de l’armée [israélienne], nous n’avons pas besoin de plus de détails », a-t-il déclaré à MEE. « Notre seule demande est qu’ils nous remettent son corps. »

Salwa Hammad, coordinatrice de la campagne nationale pour la récupération des corps des martyrs, a déclaré à MEE qu’il était peu probable que l’armée israélienne remette le corps de l’adolescent en cette période, surtout étant donné la récente décision de reconduire cette politique.

« Les corps sont généralement conservés dans des morgues dans de mauvaises conditions et à des températures très basses atteignant -75°C », a-t-elle expliqué. « Ils sont placés dans des positions qui ne tiennent pas compte de leur humanité ».

« Un message »

Après l’annonce de la mort de Mohammad, le village de Deir Abu Meshaal a vécu de violents affrontements avec l’armée israélienne, au cours desquels les habitants ont lancé des pierres sur les soldats israéliens et les véhicules des colons. L’oncle de Mohammad, Ibrahim, a déclaré à MEE que la réaction des habitants était « un message » selon lequel ils ne resteraient pas silencieux.

« L’armée [israélienne] aurait pu simplement arrêter les trois garçons qui ne représentaient aucune menace pour la vie des soldats armés », a-t-il déclaré. « Ils auraient pu les arrêter… mais au lieu de cela, ils ont préféré les abattre, et cela a été fait délibérément dans le but d’intimider les villageois. »

Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les forces israéliennes ont abattu 19 Palestiniens en Cisjordanie depuis le début de 2020, en blessant 81 autres dans le territoire occupé, rien qu’entre le 11 et le 24 août.

La mère de Mohammad affirme que le refus d’Israël de remettre le corps de son fils a multiplié leur chagrin. « Retenir son corps est une autre souffrance », nous dit Hamdan. « Tout ce que je veux aujourd’hui, c’est qu’ils nous remettent son corps pour que je puisse l’embrasser et l’enterrer dans un cimetière et pouvoir visiter sa tombe ».

JPEG - 4 ko * Shatha Hammad est une journaliste palestinienne freelance. En juin 2020, elle a remporté le prix New Voice lors des One World Media Awards pour ses reportages en Cisjordanie.

Septembre 2020 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine